Centre d'Etudes et de Recherches

sur les Phénomènes Inexpliqués

L'affaire de Marchienne-au-Pont

Un appel nocturne, au milieu de la nuit, cela impressionne toujours. Surtout lorsque l'interlocuteur, qui est d'ailleurs une interlocutrice se fait pressante à souhait, lançant presque un appel au secours tant la maison où elle demeure avec son compagnon est le théâtre de phénomènes pour le moins mystérieux.

cette heure tardive, nous n'avons pas pu décrocher à temps et le répondeur s'est déclenché. Spécial : l'interlocutrice explique brièvement son cheminement pour en arriver au CERPI et donne ensuite le numéro de téléphone de son compagnon. Ne pouvait-elle pas expliquer elle-même ? N'habiterait-elle pas toujours avec son compagnon ou bien y aurait-il une autre raison ? Peu importe, en donnant le numéro en question, la dame parle "dans ses moustaches" (elle n'en a pas, rassurez-vous ! Ce n'est qu'une expression pour dire que l'élocution n'est pas excellente.)
Mais si les choses sont si urgentes que cela, pourquoi ne pas y aller franchement et jalonner la piste de détours ? D'autant que l'habitation, sans être située à l'autre bout du monde, n'en est pas moins pas vraiment la porte à côté. C'est la région de Charleroi. Une cinquantaine de kilomètres. On a vu pire, mais on a fait mieux aussi... Mais quand il est question d'une possibilité de possession démoniaque, d'agressivité et de couteau, on comprend vite qu'il est urgent de ne pas trop se presser : on ira, c'est entendu, mais il est hors de question d'envoyer un agent seul. Il faudra aussi que ce soit de préférence un homme et, pour bien faire, un solide gaillard averti.

Soyons clairs : si les choses se présentent de cette façon, c'est de toute façon à la police d'intervenir en premier lieu. S'il est question de possession démoniaque, c'est prioritairement l'Église qui doit se charger de l'intervention. Nous allons mettre tout cela au point dès le lendemain à la première heure. D'abord en récoltant le numéro de téléphone correct, ensuite en joignant l'individu, le compagnon. Aïe : les choses ne se présentent guère mieux que précédemment : qu'ont donc les gens chez qui se déroulent apparemment des phénomènes mystérieux à s'exprimer comme des TGV, en mangeant la moitié de leurs mots, en ponctuant leurs phrases d'expressions très personnelles mais peu compréhensibles, tout cela en présentant une situation embrouillée au possible, en parlant à plusieurs en même temps aussi, bref c'est la cacophonie absolue et il faut beaucoup de patience pour y voir clair ou seulement commencer à comprendre un peu mieux ce qui se passe.

Le premier point à retenir c'est que le compagnon en question se croit effectivement possédé mais ne veut pas entendre parler de religion, ni de prêtre, ni d'église, etc. Et pourtant, il réclame un exorcisme. Faudrait savoir... Nous, de toute façon, nous ne procéderons pas à ce rituel. Ce n'est pas notre job. Mais puisque l'on est dans le paradoxe, autant y poursuivre. En effet, les requérants ont bel et bien fait appel à un prêtre afin de venir bénir la maison. Mais ce dernier aurait adopté un comportement pour le moins bizarre. Il aurait bredouillé quelques paroles incompréhensibles et se serait éclipsé vite fait bien fait sans avoir pu mener sa mission à bien. (Et ces gens nous donnent le numéro de téléphone du prêtre en question). Nous allons devoir aller sur place mais ce n'est pas possible dans l'immédiat, en raison d'un manque d'effectifs et d'obligations professionnelles. Eh oui : le CERPI est bénévole et chacun de ses éléments doit d'abord penser à faire bouillir la marmite, surtout en période de crise... Une date est fixée et le délai sera mis à profit pour tenter de faire quelques vérifications et mises au point.

Les gens de Marchienne-au-Pont, dont nous tairons le nom par respect de la confidentialité (pour des raisons évidentes que le lecteur aura tôt fait de comprendre, notamment) semblent vraiment très perturbés par les phénomènes qui les assaillent et qui sont aussi nombreux que variés et parfois très spectaculaires. Il y a une grande sincérité qui se dégage du son de leurs voix. Pourtant, on le sait, cela ne veut rien dire. On ne peut en tous cas pas se baser uniquement sur cela pour authentifier quoi que ce soit.

Un point va cependant nous chiffonner. Car nous avons pris contact avec le prêtre en question et celui-ci nous expose une version des faits totalement différente. Apparemment, il connaît ces gens qui se seraient montrés peu regardants à propos des convenances en l'appelant à "des heures indues" (En cela, nous retrouvons la même tendance que lorsqu'ils nous ont téléphoné). Tout du moins les connaît-il de nom, mais il ne sait pas où ils habitent et "il ne veut pas le savoir" (?) Mais le pire de l'affaire c'est que le prêtre, que nous n'avons a priori aucune raison de croire menteur, signale qu'il lui aurait été impossible de se rendre sur place comme stipulé par les requérants pour la simple raison qu'il est handicapé et incapable de se déplacer. Voilà donc qui sonne très mal à nos oreilles, avides d'objectivité.

Dans une autre conversation téléphonique, un autre point va contribuer à rendre l'affaire moins engageante encore : le compagnon s'avoue alcoolique. Il n'aurait jamais vraiment pu s'empêcher de boire, malgré de nombreuses tentatives. Naturellement, l'alcool n'est pas incompatible avec une éventuelle possession démoniaque. Un alcoolique peut lui aussi voir des "soucoupes volantes"...(et que ce soit vrai) ou des éléphants roses (là, c'est beaucoup moins évident !) et l'un des deux pourrait être réel, mais voilà qui va compliquer notre tache, même s'iln'est question ni de socuoupes ni d'éléphants.

Entre temps, nous avons trouvé une bonne âme pour accompagner le président du CERPI lequel, comme d'habitude lorsque les choses présentent un certain danger ou même un danger certain, s'est directement désigné pour l'enquête. La situation n'a pas été cachée, ni son caractère scabreux. Le nouvel enquêteur n'est pas aguerri : ce sera même sa première enquête avec le CERPI car, jusque là, il n'était que correspondant. La conjoncture a voulu que les étapes puissent exceptionnellement être brûlées mais il faut dire aussi qu'une activité de très bonne augure, une assiduité sans faille et une formation professionnelle entrant en adéquation ont aussi pesé dans la balance.

Sur place, nous remarquons tout d'abord que la région de Charleroi mérite sa réputation de Chicago belge. Enfin, "belge" c'est une façon de parler, si vous voyez ce que nous voulons dire ! Il règne dans ces rues un climat d'insécurité à fleur de peau et nous le ressentirons plus encore en rentrant chez nous, après l'entrevue, lorsque l'heure sera avancée. Pourquoi donc n'avons-nous pas emporté, nous aussi, une Kalashnikov ? Que les Carolos ne se vexent pas pour autant, leur ville est loin d'être la seule à connaître une forte criminalité, ce n'est pas moi qui dirai le contraire et j'ajouterai même que certaines "petites villes" ne sont pas à la traîne dans le domaine.

L'appartement ne paie pas de mine, à défaut d'être complètement minable. On ne roule pas sur l'or ici, c'est évident. Il s'agit en fait d'un deux pièces légèrement agrandi, meublé correctement. Monsieur est affalé dans le canapé, la télévision trône dans le salon. Madame s'occupe de la petite, toute petite d'ailleurs. C'est encore un bébé. Mais nous apprendrons plus tard qu'il y a des enfants un peu partout, en fonction de la composition, décomposition et recomposition des couples. Dans certains cas, on ne sait même plus les noms et encore moins les âges ! Waw ! Super !

L'enquêteur adjoint est décidément animé des meilleures intentions et il ouvre instantanément le feu, surprenant le "patron". Ce dernier le laissera faire car il constatera très rapidement qu'il sait s'y prendre. Il ne commet aucune gaffe majeure, ses questions sont bien construites et opportunes, l'anamnèse se fait très correctement, comme s'il en avait déjà une longue habitude. Un gros bon point pour le nouveau. Il faut dire que sa profession "dans le civil" l'y aide bien. En fait, il est sur un terrain connu. C'est un peu comme s'il faisait des heures sup. Et non, il n'est pas flic.

Au fait, cela nous fait penser qu'une des premières préoccupations de ces gens (au téléphone) à été de s'enquérir du fait que nous aurions pu être de la police. Ce n'est pas le cas, évidemment. Mais cette inquiétude laisse songeur. On ne s'inquiète pas d'habitude, de ce genre de choses lorsque l'on n'a rien à se reprocher. Mais nous n'allons pas tarder à comprendre.
D'abord, le boss du CERPI demande à changer de place : il serait préférable de s'installer sur la table de salon (en dur et de taille plus respectable) de manière à pouvoir écrire, installer des appareils, etc. Avec l'autorisation des habitants, la conversation est enregistrée par deux dictaphones, un appareil servira aux enregistrements de TCI, les APN partiront à la recherche d'orbes, les différences de température seront objectivées au thermomètre, le pendule est prêt à servir et l'on prendra d'ailleurs aussi les taux vibratoires respectifs. Dans la foulée, il sera procédé à des tests de Rhine. Quant à l'anamnèse, elle révélera un nombre impressionnant de phénomènes en tous genres, qui ne se limitent pas à cette seule habitation ni à ce seul couple. En de nombreuses occurrences, nous remarquerons des points de similitude avec l'affaire d'Arc-Wattripont. Sauf que les déplacements d'objets sont beaucoup moins évidents et moins spectaculaires et puis surtout qu'il n'y a eu aucun gendarme ni aucun policier pour en être témoin. Le catalogue qui nous est livré est particulièrement exhaustif, à un point tel que l'on croirait lire une encyclopédie des phénomènes surnaturels et paranormaux à laquelle il ne manquerait que le bestiaire ! Ennuyeux toutefois : on y retrouve aussi souvent des situations étrangement semblables à certains films, à certaines émissions spéciales. Ces gens sont d'ailleurs des acharnés de télévision et surtout de productions d'un type particulier peuplé de fantômes, de médiums, de démons, de vampires et toute la clique des humanoïdes déviants. Ils feront souvent allusion aux Warren pour évoquer leur cas !

Sur place, nous ne remarquerons aucun phénomène, même minime, aucun orbe, rien de probant à première ouïe quant à la TCI. Les taux vibratoires sont un peu bizarres mais peuvent s'expliquer contextuellement : d'un côté par un accouchement récent et de l'autre par une double personnalité ambigüe. Les tests de Rhine sont soit révélateurs d'une possibilité de capacité extrasensorielle (chez madame), soit particulièrement nulle (chez monsieur). Mais l'on sait que la "médiumnité négative" est également à étudier et puis surtout qu'il faudrait répéter l'expérience de manière à récolter un nombre suffisant d'itérations, sans quoi le test ne signifie pas grand chose. Le thermomètre indique bien des différences de température, lesquelles correspondent en fait à l'interruption de fonctionnement de la chaudière. Bref : on n'a pas grand chose si ce n'est des témoignages ahurissants.

Lorsque nous évoquons la réponse du prêtre, voilà qui embarrasse apparemment ces gens qui avouent ne pas comprendre. Tout bien réfléchi, le prêtre était effectivement malade. Oui mais, malade ne signifie pas "handicapé" et il reste que la version des faits était complètement différente.
Au gré de nos questions, il appert que le compagnon est également héroïnomane et traité pour cela à la méthadone. Quant à madame, elle fume un petit joint de temps en temps... Aïe, aïe, aïe ! Il ne nous appartient pas de juger les gens, mais cela commence à faire beaucoup de points négatifs dans toute cette histoire. Nous prenons congé de nos requérants non sans avoir formulé quelques conseils d'usage, des évidences d'hygiène de vie et de traitement de base d'éventuelles présences indésirables, appelées par les intéressés eux-mêmes (psychoplasmes). Nous allons procéder aux différentes analyses possibles et notamment un examen poussé sur le plan TCI, une étude probabiliste pour les tests de Rhine, envisager d'autres tests plus nombreux, l'examen des photos. Nous allons aussi remettre de l'ordre dans nos notes de manière à disposer d'une bonne chronologie et puis vérifier certains points comme celui, très interpellant de "la maison interdite".

De quoi s'agit-il ?

A en croire monsieur, il y a de cela une dizaine d'années des phénomènes tellement aberrants se seraient déroulés chez lui, alors qu'il habitait une maison située du côté de la frontière allemande, que cette habitation aurait désormais été impossible à louer, traînant derrière elle une réputation trop sulfureuse. Elle n'aurait donc plus jamais été habitée. Et il nous a communiqué l'adresse dont il se souvenait parfaitement bien. Il ne pouvait mal de l'oublier, pensez !

Et, bien sûr, nous avons vérifié.

Il nous a fallu trois minutes et sept secondes, ordinateur éteint et après avoir consulté nos messages, pour repérer la maison sur Google Earth et constater qu'il y avait des rideaux aux fenêtres, que la maison semblait bien entretenue et donc pas abandonnée, qu'elle servait probablement à des fins commerciales. Deux minutes de plus et nous avions le nom des occupants et leur numéro de téléphone. Nous avons donc téléphoné et c'est là que les choses se sont compliquées...

Nous avons appelé, rappelé, rappelé encore et encore, à différents moments de la journée et en soirée ainsi que le week-end : rien. Nous n'avons obtenu qu'un répondeur dans le meilleur des cas. Nous avons donc laissé un message avec un numéro de rappel, mais rien.
Alors nous nous sommes adressés à la police qui nous a confirmé que la maison était bien occupée et sans interruption, qu'il n'y avait eu aucune intervention de leur part ni pour des faits classiques ni pour des choses moins courantes et cela même en considérant que les faits pouvaient remonter à une dizaine d'années et plus...
Comme ce n'était pas encore suffisant, nous nous sommes adressés aux voisins, lesquels confirment eux aussi que la maison est bien habitée et "vierge de toute activité surnaturelle ou paranormale", exempte de toute réputation particulière en la matière et cela même en remontant quarante ans en arrière !
A ce stade de l'affaire, un résumé s'imposait et il était affligeant :

- le requérant est alcoolique pratiquant et toxicomane en traitement
- la requérante consomme une drogue "douce" et boit sporadiquement
- nous n'avons remarqué aucun phénomène sur place, même minime.
- il n'existe aucun témoin oculaire qui soit accessible
- les requérants ont coupé les ponts avec toute personne qui aurait pu corroborer quoi que ce soit.
- les requérants semblent très influencés par la télévision et les films spécialisés surnaturel et paranormal
- les signes idiopathiques sont absents ou insuffisants, induisant tout au plus une légère suspicion
- les tests de Rhine sont insuffisants faute de réitérations suffisantes
- il n'y a pas d'orbes sur les photos
- nous ne disposons d'aucune indication TCI probante
- les différences de température sont objectivées mais explicables rationnellement
- l'épisode de la bénédiction de la maison par un prêtre semble fallacieux
- certains éléments chronologiques sont contradictoires
- la prétention de la maison interdite est fausse.

Comme on peut le comprendre, il ne semblait guère indiqué de poursuivre cette enquête, manifestement inscrite sur une mauvaise base. En dépit de toutes les objections formulables à ce sujet, nous ne croyons pas pouvoir aller plus loin en considérant que les requérants consomment - même sporadiquement (et a fortiori régulièrement) mais avec excès - de l'alcool et surtout de la drogue. Nous ne pouvons pas aller plus loin non plus en constatant que l'on nous aurait menti déjà par deux fois au moins. Enfin, nous ne pouvons pas nous baser uniquement sur le témoignage des requérants, si extraordinaire soit-il et plus particulièrement encore dans ce cas. En effet, plus les revendications sont importantes plus celles-ci se doivent d'être sévèrement investiguées. Or rien ne nous permet d'authentifier un seul phénomène. Notre rôle consiste à étudier les phénomènes présents et non à présumer de leur existence sur base de seules paroles de personnes probablement influençables, perturbées, en états de conscience artificiellement modifiés.

Nous déplorons une situation sociale très délabrée et dommageable pour certains membres de cette famille, les requérants y compris. Mais le CERPI ne fait pas dans l'assistance sociale ou la désintoxication. Nous ne nous substituons pas non plus ni à la police ni à la médecine. Nous ne pratiquons pas non plus d'exorcismes et même la mise en œuvre d'un rituel "bidon" spécialement conçu afin de tromper les individus en agissant sur leur psychologie de manière à induire chez eux un "dégagement" éventuel en abondant stratégiquement dans leur sens ne nous paraît pas recommandable.

Il nous semble que ce dont ces gens ont besoin ne réside pas dans les associations de recherches sur les phénomènes inexpliqués mais bien dans les spécialistes de la sphère psy, la médecine et les institutions ad hoc.

Le fait que Monsieur ait évoqué à plusieurs reprises certaines velléités à mon égard a mis un point final à cette affaire. C'est surtout simplement par principe (parce qu'en fait nous venions chez eux pour les aider, leur porter secours, les délivrer peut-être) et non par peur de devoir en découdre. Pour terminer sur une note humoristique, le requérant en question ne connaissait pas du tout le passé et les capacités de notre Président (ancien portier-sorteur, agent de gardiennage, détective privé, ancien instructeur commando, ceinture noire 4è dan de karaté et bleue de judo, garde du corps de certaines vedettes du show business, etc.) Si bien que l'on aurait pu dire qu'en cas de bagarre, même s'il l'avait raté, le seul déplacement d'air l'aurait plongé dans un état très modifié de conscience qui n'aurait, lui non plus, aucun rapport avec le surnaturel !