Les mystères autour de la maison de Nicolas Flamel
Nicolas Flamel a légué beaucoup de trésors et de mystères à la postérité. Et pourtant, tout un monde semble nous en séparer tant par les siècles qui dénaturent toutes choses et leurs interprétations qu'un certain mode d'expression, soit inhérent à l'époque soit délibéré. Ainsi, la maison de Nicolas Flamel existe encore bel et bien et malgré qu'elle soit six fois centenaire, non seulement elle tient encore debout mais en plus elle fait les beaux jours d'un restaurant (et de ses convives) tout autant que des touristes.
Pour la petite histoire, disons que la maison, dite de Nicolas Flamel (ou des pignons), sise au 51 de la Rue Montmorency à Paris, est considérée comme la plus vieille de la capitale française. Il s'agit donc déjà d'une curiosité en soi. Cependant, mis à part la façade qui a conservé une partie au moins de son lustre d'antan, pratiquement tout le reste a fait l'objet d'une multitude de transformations et de restaurations successives (normal dans un restaurant, direz-vous !) ainsi que de fouilles systématiques visant à découvrir, à l'instar de l'illustre propriétaire des lieux, le fameux secret de la pierre philosophale.
De pierre philosophale, on n'en a trouvé aucune trace concrète, par contre on a trouvé (et elles sont encore visibles) bien d'autres pierres plus énigmatiques les unes que les autres qui sont peut-être autant de messages testamentaires et alchimiques.
La maison est située dans le quartier du marais, non loin de l'église Saint Jacques où Flamel a été inhumé, selon sa volonté, d'une manière bien déterminée. Il y a une raison particulière à cela en dehors de la proximité influençant le côté pratique : Saint Jacques est le patron des alchimistes. Cela permet de mieux comprendre les motivations du pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle. Mais il y a une autre singularité à ce point, que nous avons découverte au gré de nos recherches : Nicolas Flamel aurait eu un concurrent sérieux en la personne de
Jan Baptiste Van Helmont (1577-1644), chimiste (et alchimiste ?) belge qui possède, quant à lui, une rue à son nom, près de la place Rouppe, à deux pas du philatéliste de renom Philagodu, dans la capitale belge cette fois. Le caractère extravagant de ce médecin avant la lettre n'est plus à démontrer et nous en parlons ailleurs dans ce site, il prétendit toutefois avoir également pu transmuter du métal ordinaire en or et avoir mis au point une panacée, un autre volet de la pierre philosophale. Cependant, l'un et l'autre n'ont pu se connaître car ne vivant pas à la même époque. Un commentaire qui perdrait tout son sens si l'élixir de longue vie existait ! Or, la panacée de Van Helmont était également supposée détenir ce pouvoir...
Or donc, il paraît (et cela se confirme) que l'ancienne maison de Nicolas Flamel est devenue un restaurant et qu'il fait également office d'hôtel ou d'auberge ce en quoi il aurait donc conservé l'une de ses vocations premières puisque le maître des lieux acceptait d'héberger gratuitement de pauvres gens à l'unique condition qu'ils récitent quotidiennement un Pater et un Ave. Ce point figure d'ailleurs dans le testament de Nicolas Flamel, lequel est parvenu jusqu'à nous (de manière déformée on s'en doute mais il est redevenu intelligible grâce à une "traduction" du vieux français au français actuel.
Il suffit de jeter un regard sur la photo ci-contre, qui représente l'intérieur de ce rendez-vous des gourmets pour se rendre compte que cela n'a évidemment plus à rien à voir avec ce qui existait à l'époque.
Mais en attendant, cela vous intéresserait peut-être d'en savoir plus, pour le cas où vous seriez dans le coin et où vous auriez une petite fringale. Le lieu est tout indiqué pour une invitation galante que vous pourriez agrémenter des commentaires très étonnants que ces pages pourraient vous suggérer. C'est promis, nous ne dirons rien et ferons comme si cela provenait de votre seule science !
Toutefois, vous vous en doutez, nous allons aussi vous parler de ce qu'était la maison de Nicolas Flamel par le passé.
Sur un plan général, on peut dire de cette maison que sa façade comprend trois étages percés chacun de deux fenêtres rectangulaires; trois portes donnent accès dans les deux grandes salles du rez-de-chaussée et dans un corridor qui conduit a l'escalier. Une cloison longitudinale sépare les deux salles; une grosse poutre transversale, soutenue par un pilier carré à console moulurée en quart de rond et par deux corbeaux sur le mur, porte le plafond, qui repose à ses extrémités sur une autre poutre en partie encastrée dans le mur et soulagée par des corbeaux. Ces grosses poutres transversales se retrouvent au premier et au second étage. Au fond une étroite cour est bordée, à droite et à gauche, par des constructions; on y reconnaît encore la place d'un ancien puits. Sous la maison deux belles caves voûtées en berceau sont desservies par un escalier qui se trouve au fond de la courette.
Un dessin ancien du XVIIIe ou peut-être même du XVIIe siècle, qui reproduit avec plus de détails et de précision, le plan et la façade de la même maison nous permet d'en rétablir les anciennes dispositions. Le corridor et l'escalier actuel n'existaient pas. La cage d'escalier, circulaire, était accolée à la façade : on y pénétrait par la porte centrale, les deux autres portes permettant d'entrer directement dans les deux grandes salles séparées par une cloison en partie intacte aujourd'hui. On a reconnu dans le solivage du plancher du premier étage une pièce plus forte que les autres, de 0m30 environ d'équarrissage, placée parallèlement et environ à 2 mètres de la façade, en face de la porte centrale : elle devait border la cage d'escalier. Les solives portent encore des traces de couleur qui montrent, qu'autrefois elles étaient apparentes.
Une porte surélevée de deux marelles permettait de monter directement de la salle de gauche aux étages. Deux grandes cheminées, une dans chaque salle, étaient accolées aux murs latéraux : leurs hottes passaient derrière et le long des corbeaux qui soutiennent la grosse poutre transversale et qui sont coupés de ce côté à angle vif; un sondage exécuté en cet endroit a montré la présence de bistre de fumée sous les enduits. Au fond, la courette renfermait un puits indiqué a l'endroit où l'on voit encore aujourd'hui des ferrures : à gauche était un abri, peut-être un bûcher, et à droite une petite pièce carrée.
Ces points sont intéressants car ils permettent d'évoquer les activités de Flamel : on sait en effet que les manipulations alchimiques nécessitaient l'usage du feu, lequel présente aussi un danger certain dans toute habitation, surtout à l'époque. A la fois pour préserver une ventilation correcte à ses travaux tout autant que pour leur ménager un caractère secret, Flamel a donc dû apprécier cette courette arrière ainsi que la présence d'un puits qui devait lui fournir l'eau en cas de problème. Il est probable que la petite pièce carrée lui servait à remiser ses différents éléments et autres ustensiles.
La partie la plus originale de la maison est la façade. Elle comprenait autrefois deux étages et se terminait par un haut pignon flanqué de cheminées, comme on peut le voir sur le dessin... Elle est ornée à sa partie inférieure d'une série de médaillons sculptés et d'inscriptions que la très habile restauration de M. Selmersheim vient de mettre au jour. Les jambages en pierre de liais reposent sur une base moulurée. Au-dessus de la façade règne une corniche dont le profil date du début du XVe siècle. Les portes et les fenêtres du rez-de-chaussée étaient munies d'impostes garnies de barreaux verticaux : on voit encore les trous où ils étaient encastrés : le haut de la porte centrale était décoré d'une scène paraissant représenter l'Adoration des Mages. Le premier étage était orné d'un grand panneau de pierre sculpté.
Nous allons à présent nous pencher sur ces étranges décorations.
Les remarquables (à plus d'un titre) décorations dont l'ancienne demeure de Nicolas Flamel est parsemée n'appartiennent assurément pas au commun des mortels et cette caractéristique ne manque pas de figurer parmi les arguments tendant à prouver que ce dernier aurait acquis, quasi miraculeusement, une fortune incroyable. Si certaines sources le disent issu d'une famille modeste ou à la fortune médiocre" (ce qui n'est déjà plus pareil !) d'autres qualifient Nicolas Flamel de riche bourgeois, lorsqu'ils ne vont pas jusqu'à insister sur une fortune déjà initialement appréciable.
Quoi qu'il en soit, une chose est certaine, c'est que le jeune Flamel, dès l'âge de 13 ans fréquente les cours universitaires ce qui représenterait un tour de force à n'importe quelle petite gent du peuple. Ses fonctions initiales, après son apprentissage, résident dans la calligraphie, puis dans une espèce de gestion de biens, qui en font une sorte de clerc de notaire. Tout autant par ses qualités propres que par intérêt stratégique, Nicolas Flamel se fait connaître dans le milieu des gens riches et puissants. C'est ce que, de nos jours, on appellerait "cibler la clientèle" et nul doute que cela ait porté ses fruits en l'occurrence Il est donc aussi possible qu'il ait profité de spoliations exercées contre les juifs durant la guerre de cent ans, mais de cela nous nous garderons de nous prononcer tant l'affaire est incertaine. On a également trop tendance à sous-estimer sa fonction d'écrivain-juré. Nicolas Flamel est désormais un lettré, contrairement à la plupart de ses semblables de l'époque. Sa fonction de "clerc" lui permet donc éventuellement aussi de jouer sur des actes testamentaires. En somme, il s'agirait alors d'un clerc obscur.
Donc, par ses économies et grâce à l'heureuse gestion de ses affaires, bien plutôt que par des pratiques d'alchimie dont il fut longtemps accusé, Nicolas Flamel, écrivain public, et maître d'écriture des fils des seigneurs de la cour, puis plus tard libraire de l'Université, avait réussi à amasser une assez grosse fortune.
(Les exemples d'écrivains publics riches sont assez nombreux au début du XVe siècle : Jean Harengier échange avec la fabrique de Saint-Jacques sa maison de la rue du Porche pour une antre située rue Marivaux, vis-à-vis de celle de Nicolas Flamel ; un autre, Ansel Chardon, est marguillier de Saint-Jacques et achète une maison dans la rue des Écrivains. (Villain : Histoire critique de N. Flamel, p. 8-9.)
II était propriétaire de plusieurs maisons à Paris, possédait des cens sur un certain nombre d'autres, et dépensait de notables sommes d'argent à la construction et à l'embellissement de monuments religieux. C'est ainsi qu'il fit élever et décorer à ses frais plusieurs arcades du cimetière des Innocents, le portail nord de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, et qu'il contribua à élever le portail de Sainte-Geneviéve-des-Ardents.
Il habitait, à l'angle occidental de la rue Marivaux, une maison assez vaste qu'il s'était fait construire en face de ses échoppes d'écrivain, logées entre les piliers de Saint-Jacques : c'est dans cette maison qu'il logeait des élevés pensionnaires. Après la mort de sa femme Pernelle, survenue le 11 septembre 1397, Flamel acheta ou construisit plusieurs maisons dans la rue Saint-Martin et la rue Montmorency.
Les hôtes payaient loyer; quelques-uns peut-être étaient logés gratuitement. Flamel, qui paraît avoir fort encouragé les institutions charitables, pensait peut-être à transformer ces maisons en asiles. Il existait à cette époque, dans Paris, un grand nombre de maisons où les pauvres étaient logés gratuitement. La rue Montmorency était alors bordée de vieilles masures et de terrains délaissés et abandonnés (Villain, op. cit., p. 143-151). Flamel y acheta un terrain appartenant au prieuré de Saint-Martin et situé près d'une masure dont il était déjà propriétaire (février 1400). A l'est, des bâtiments, qui avaient autrefois servi d'étuves, tombaient en ruines, et nous savons par les pièces conservées aux Archives nationales quelles difficultés eut Flamel avec ses voisins.
Le 22 juin de cette même année, il achetait encore «certains louages et deux petites estables à chevaux», qui se trouvaient entre le terrain qu'il avait acquis et la maison d'angle de la rue Saint-Martin. Enfin, le 17 novembre, après de longs pourparlers avec les moines de Saint-Martin, et en échange de renies cédées au prieuré, celui-ci abandonnait à Flamel a tous ses droits sur ces terrains pour bâtir «des édifices de telle ordonnance qu'il lui plairoit, soit maisons d'aumône par manière d'hôpital ou autrement». Flamel mit aussitôt les ouvriers, et la maison s'éleva dans le cours de l'année 1407. On l'appela le Grand Pignon, pour la distinguer des maisons voisines qui étaient restées basses.
Le 16 janvier 1408, le mur mitoyen, avec les étuves,était achevé, en moellons et plâtre, bordé sur la rue par une « jambe etrivière en pierre de liais », comme en font foi les rapports rédigés le 30 janvier, après les visites de Jehan Luillier et Jehan Petit, maçons, et de Jehan Delahaye, charpentier, jurés du roi. A sa mort, le 22 mars 1418, Flamel donna cette maison à la paroisse Saint-Jacques, et, malgré l'inscription gravée sur la façade, et que nous étudierons plus loin, elle continua à être louée dans de bonnes conditions.
Flamel n'avait donc pu atteindre le but qu'il s'était proposé de loger gratuitement les pauvres gens (En 1560, on voulut saisir ces vieilles maisons, et, entre autres, celle de la rue Montmorency, sous prétexte que « ces maisons étoient hôpitaux », mais le contraire fut prouvé et la fabrique obtint levée de la saisie.) Une des particularités les plus notables de cette maison, ce sont les inscriptions qui sont gravées sur la façade. L'abbé Villain nous apprend que, dans toutes les constructions élevées par Flamel, constructions civiles ou religieuses, les inscriptions étaient très nombreuses; tantôt elles étaient peintes sur des banderoles tenues par des personnages, tantôt elles étaient gravées dans la pierre et concouraient à la décoration du monument. Elles se rapportaient toujours à la religion ou à la morale. Ces inscriptions, que l'on rencontre rarement aussi nombreuses sur les maisons du Moyen Âge, ont longtemps intrigué les alchimistes, qui espéraient y trouver la clef des problèmes d'hermétique. Dès le lendemain de la mort de Flamel, on fouilla dans sa maison de la rue Marivaux, espérant y trouver de l'or ou, du moins, la pierre philosophale et, près de deux siècles et demi après, cette idée était encore vivace.
En 1756, des particuliers, se disant désireux de réparer la maison, obtinrent de la paroisse Saint-Jacques d'y mettre les ouvriers; ils démolirent pierre par pierre le rez-de-chaussée et remplacèrent les anciennes pierres gravées par de nouvelles, mais ils ne trouvèrent rien, et disparurent sans payer les maçons. L'abbé Villain avait noté quelques détails de l'ornementation de cette maison de la rue Marivaux [ Essai..., p. 150-163.] :
«Flamel y est représenté à genoux avec deux jeunes gens derrière lui, peut-être des enfants qu'il avait alors. On voit aussi la Vierge et saint Jean assis comme sur le calvaire; il y avait peut-être autrefois une croix: on lit en effet au-dessous d'une corniche ces paroles tirées des Lamentations : Mes amis, qui passez la voie, regardez s'il est douleur pareille à la mienne. Au bas du pilier est un saint Christophe ; il est à croire qu'il était accompagné d'un saint Jacques, patron de la paroisse.
Les hauts pignons de la maison de Nicolas Flamel, si caractéristiques de l'époque, finirent par disparaître au cours des ans tandis que le reste, moins exposé, tenait bon. Là est l'explication du surnom de "maison aux pignons". Les très nombreuses gravures de la bâtisse n'ont pas encore révélé leurs secrets, mais peut-être n'y avait-il aucun secret et Flamel était-il simplement quelqu'un de très pieux ce que tout semble corroborer. Il était d'ailleurs d'usage, à l'époque, pour les personnes jouissant que quelque fortune, de faire ainsi étalage de leur dévotion, soit sur leurs maisons, mais plus traditionnellement sur des arcades de cimetières ou dans certaines parties d'églises.
Nous l'avons vu, il n'y a dans cette maison que bien peu de choses qui soient de nature à prouver les résultats des expériences alchimiques de Nicolas Flamel. Mais peut-être s'y est-on mal pris ? Il conviendrait selon nous de nous intéresser plutôt aux figures hiéroglyphiques et autres écrits, supposés expliquer la marche à suivre pour réussir le prodige que de nous attarder sur le plan religieux.
C'est pourtant par celui-ci que nous terminerons ce chapitre en signalant que Nicolas Flamel aurait réussi, par trois fois successives, la transmutation fabuleuse, le 17 avril 1382. Or, né en 1330 et décédé en 1418, cela fait de lui un honorable octogénaire de 88 ans, un âge plutôt record pour l'époque. A ce moment, il lui reste donc encore 36 ans avant de mourir. Que se passe t'il pendant ce temps ?
De deux choses l’une :
1) Ou bien comme en attestent de nombreux témoignages qui sont remontés jusqu'à nous, il continue de vivre normalement, sans changer quoi que ce soit à son train de vie et Dame Pernelle vient à mourir en 1392, soit 26 ans avant lui. Contrairement à bien des gens qui auraient été placés dans la même situation, il n'aurait donc pas désiré accroître sa fortune au moyen de sa recette miraculeuse, malgré que celle-ci pouvait encore profiter aux pauvres et à l'église. (Notons au passage que Dame Pernelle avait également fait un testament, elle-même était riche).
2) Soit malgré un échec en matière de transmutation, une vingtaine d'années de recherches, le décès de sa femme et son pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle, il n'éprouve apparemment aucun ressentiment quant au rêve prémonitoire et au sort divin et poursuit malgré tout ses activités charitables.
Décidément, cet homme est un bien étrange personnage qui semble vivre au dessus des valeurs humaines traditionnelles. Et il n'a pas fini de nous étonner...
Suite de l'investigation (en docx, suite à un problème technique)
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