Rupert Sheldrake est l'une des personnalités de la recherche parapsychologique qu'il nous fallait absolument vous présenter. Notamment pour ses champs morphiques ou champs morphogénétiques, un point controversé, disons-le tout de suite.
Né en 1942, cet ancien biochimiste titulaire d'un doctorat en 1967 en biochimie de l'université de Cambridge est aussi auteur et parapsychologue. Il est anglais, pas américain. Depuis 1981, ses écrits et ses intérêts sont surtout centrés sur la résonance morphique qui découle du concept de champ morphognétique.
L'idée n'est pas nouvelle car elle avait déjà été formulée en 1920 par Hans Spemann, Paul Weiss et Alexander Gurwitsch. De quoi s'agit-il ? C'est ce que nous allons voir.
Disons malgré tout encore que les recherches de Rupert Sheldrake concernent entre autres le comportement animal et végétal, la métaphysique, les perceptions extrasensorielles et plus précisément la télépathie. Pour comprendre ce dont il s'agit en parlant de résonance morphique et de champs morphiques ou morphogénétiques, il convient de s'intéresser premièrement aux travaux de Rupert Sheldrake en matière de comportement animal et végétal.
En tant que biochimiste, Sheldrake fait des recherches sur le rôle de l’auxine, une hormone végétale, dans la différentiation du système vasculaire végétal. Au terme de ses recherches, il conclut : Le système est circulaire, il n’explique pas comment la différentiation est établie initialement. Après 9 ans de recherches intensives, il m’est clairement apparu que la biochimie n’aiderait pas à savoir pourquoi les choses ont la forme qu’elles ont.
Plus récemment, s’appuyant sur les travaux du philosophe français Henri Bergson, Sheldrake a formulé l’hypothèse selon laquelle la mémoire serait inhérente à toutes structures ou systèmes organiques. Bergson avait déjà contesté le fait que la mémoire personnelle et les habitudes se trouvaient dans le cerveau, mais Sheldrake va plus loin et avance que les formes corporelles et les instincts, bien qu’exprimés à travers les gènes, n’y trouvent pas leurs origines. Il propose au contraire l’hypothèse selon laquelle les organismes se développent sous l’influence d’organismes similaires antérieurs grâce à un mécanisme qu’il nomme la résonance morphique.
Dans son premier ouvrage, Une Nouvelle Science de la Vie : l’Hypothèse de la Résonance Morphique, Sheldrake propose l’idée suivante : les phénomènes, en particulier biologiques, sont d’autant plus probables qu’ils se produisent souvent et de ce fait la croissance et le comportement biologiques s’inscrivent dans des schémas établis par d’autres évènements similaires précédents, une forme de Lamarckisme. Il suggère que ceci est à la base de nombreux aspects scientifiques, de l’évolution aux lois de la nature, et que ces dernières seraient ainsi des habitudes mutables qui ont évolué depuis le Big Bang.
À sa sortie, cet ouvrage fait l’objet de débats dans des publications scientifiques et religieuses variées et reçoit des critiques mitigées. Puis en 1981, le journal Nature publie un éditorial intitulé : Un livre à brûler ? » écrit par son principal éditeur John Maddox. Il y écrit : « L’étude de Sheldrake est un exercice pseudo-scientifique. Beaucoup de lecteurs penseront qu’il a réussi à trouver une place pour la magie dans les débats scientifiques, et c’est sûrement l’un des objectifs de l’écriture d’un tel ouvrage.»
Les critiques de Maddox provoquent ce qu’Anthony Freeman qualifie de « tempête de controverses ». Dans une parution ultérieure, Nature publie plusieurs lettres en désaccord avec la position de Maddox concernant Sheldrake. Le journal New Scientist remet alors en cause l’abandon par Nature de la méthode habituellement utilisée dans le monde scientifique du « procès par éditorial ».
Selon Freeman, « la fureur provoquée par l’attaque de Nature [et l’obstination de Maddox] ont mis fin à la carrière académique de Sheldrake et ont fait de lui la persona non grata de la communauté scientifique ». En 1994, dans un documentaire de la BBC sur la théorie de Sheldrake, Maddox développe son point de vue : « La théorie de Sheldrake n’est pas scientifique. Sheldrake met en avant la magie plutôt que la science, ce qui est condamnable avec les mots utilisés par le Pape lui-même pour condamner Galilée et pour les mêmes raisons : c’est une hérésie ».
La Mémoire de l’Univers : Résonance Morphique et les habitudes de la nature (1988) met en avant la résonance morphique, un aspect de l’hypothèse de la «causalité formative » introduite par Sheldrake dans Une Nouvelle Science de la Vie.
Sheldrake y écrit : « Puisque ces organismes précédents sont plus similaires entre eux qu’identiques, lorsqu’un organisme ultérieur est sous leur influence collective, ses caractéristiques morphogénétiques ne sont pas précisément définies ; elles se composent plutôt d’une combinaison de formes similaires ayant déjà existé. Ce processus est semblable à la photographie composite, dans laquelle une photo « standard » est créée grâce à la superposition de plusieurs images analogues. Les caractéristiques morphogénétiques sont des structures de « probabilité » dans lesquelles l’influence des types passés les plus répandus se combinent pour augmenter la probabilité que ces types réapparaissent ».
Pour appuyer son hypothèse, Sheldrake cite la reproduction de l’expérience sur des rats dans un labyrinthe aquatique de William McDougall et la reproduction par Mae-Wan Ho de l’expérience de Conrad Hal Waddington sur des drosophiles, ainsi que plusieurs expériences psychologiques impliquant l’apprentissage humain (aucune de ces dernières n’a été réitérée). Sheldrake soutient qu’un certain nombre d’anomalies biologiques sont résolues grâce à la résonance morphique, notamment la mémoire personnelle (qui sans quoi requiert l’existence d’un mécanisme de stockage d’information élaboré dans le cerveau), l’atavisme et l'évolution parallèle. Il soutient que l’existence de caractéristiques organisatrices, avec ou sans mémoire inhérente, expliquerait des phénomènes allant du comportement social coordonné entre insectes, aux vols d’oiseaux et aux bancs de poissons en passant par la régénération de membres coupés chez les salamandres ou la sensation de membre fantôme chez les amputés. Dans ce dernier cas, les caractéristiques organisatrices du membre resteraient présentes même après la disparition du membre lui-même.
En 2003 Sheldrake publie La sensation d’être observé par quelqu’un sur l’effet psychique du regard, comprenant une expérience au cours de laquelle des sujets aux yeux bandés doivent deviner si on les regarde eux ou d’autres cibles. Il rapporte qu’en une dizaine de milliers d’essais, les résultats sont systématiquement supérieurs à 60 % quand le sujet est effectivement regardé mais n’atteignent que les 50 % (hasard) lorsque le sujet n’est pas regardé. Ces résultats suggèrent une faible capacité à ressentir le regard de quelqu’un, mais aucune capacité à ressentir le fait de ne pas être observé. Il affirme aussi que ces expériences ont été largement répétées, dans des écoles du Connecticut et de Toronto et dans un musée des sciences à Amsterdam avec des résultats comparables.
Ces résultats sont néanmoins critiqués par l'AFIS.
En 2003, Sheldrake publie une étude sur la télépathie humaine, dont une expérience où les sujets doivent deviner qui, parmi quatre personnes est sur le point de leur téléphoner ou de leur envoyer un courriel. Sheldrake rapporte que le sujet devine la personne correcte dans environ 40 % des cas, contre un résultat attendu de 25 %.
Les travaux de Sheldrake font l’objet d’une séance plénière intitulée « les Anomalies de la Conscience » à la conférence Vers une science de conscience de 2008. Sheldrake y présente ses travaux sur la télépathie animale et humaine, suivis par trois critiques de ses travaux sur la sensation d’être regardé. Il répond aux questions posées par les autres intervenants lors des débats qui suivent.
Toutefois, si ces sujets méritent que nous y revenions (ce que nous ferons ultérieurement), ce qui nous intéresse ici principalement réside donc dans les champs morphiques et la résonance morphique. Revenons-y donc.
Le champ morphogénétique (ou « champ morphique », « résonance morphique » ou « champ de forme ») est une expression qui définit un champ hypothétique qui contiendrait de l'énergie et/ou de l'information sans être constitué de matière (atome, électrons, etc.). Ces champs seraient déterminants dans le comportement des êtres vivants notamment en ce qu'ils hériteraient d’habitudes de l’espèce par « résonance morphique » et que leurs actions influenceraient les dits «champs de forme ».
Il s'agit d'un concept qui n'est pas scientifiquement validé, donc qui se limite à une croyance.
Les promoteurs de cette croyance, dont actuellement Rupert Sheldrake, rapprochent cette notion de celle du champ de force, mais contrairement aux champs mesurables par des appareils de mesure, les champs de forme n'ont aucun support vérifiable ni réfutable, et échappent donc à toute expérimentation actuellement.
L'idée a été adoptée par diverses pensées pseudo-scientifiques. Les ondes et champs de forme ont été popularisés par la spiritualité New Age.
Le concept de champ morphogénétique était lié au début du vingtième siècle à l'embryologie, il a d'abord été introduit en 1910 par Alexander Gurvich. Un soutien expérimental a été fourni par les expérimentations de Ross Granville Harrison qui transplantait des fragments d'embryon de tritons à différents endroits.
Harrison put identifier des « champs » de cellules qui produisaient les organes comme les membres, les queues ou les branchies et démontrer que ces « champs » pouvaient être fragmentés ou se voir ajouter des cellules indifférenciées pour donner dans tous les cas une structure normale. Il fut ainsi considéré que c'étaient des « champs » de cellules, plutôt que des cellules individuelles, qui possédaient une structure qui déterminait le développement d'organes particuliers. Le concept de champ fut encore développé par l'ami de Harrison Hans Spemann, et puis par Paul Weiss et d'autres.
Dans les années 1930, les travaux des généticiens, notamment Thomas Hunt Morgan, ont démontré l'importance des chromosomes et des gènes dans le développement.
Le concept a été recyclé par le docteur Rupert Sheldrake, en déplaçant le concept de champ morphogénétiques à un domaine invisible et transcendant réfutable), concept qui résonne avec des notions comme l'inconscient collectif ( Carl Gustav Jung ) ou la notion d'égrégore de l'ésotérisme occidental.
« La résonance morphique est l’idée que des choses identiques influencent en conséquence d’autres choses identiques à travers l’espace et le temps. Tous les systèmes qui s’organisent eux-mêmes possèdent une sorte de mémoire inhérente. Par systèmes auto-organisés, je fais référence aux atomes, aux molécules, aux cristaux, aux cellules, aux tissus, aux organes, aux organismes, aux animaux, aux sociétés, aux écosystèmes. » (Rupert Sheldrake interviewé dans Rupert Sheldrake, un hérétique des temps modernes ? [archive], article Revue Acropolis).
Il est assez réconfortant de constater que d'autres personnes peuvent réaliser le même travail que nous en certaines circonstances. Cela a notamment été le cas ci-dessous :
DU CENTIEME SINGE AUX CHAMPS MORPHIQUES
DE LA LEGENDE A L'HYPOTHESE SCIENTIFIQUE
Peut-être connaissez-vous déjà le phénomène du 100ème singe, cette observation par des scientifiques en Asie, dans les années '50, concernant la transmission de l'apprentissage d'une communauté de singes à d'autres communautés sans qu'il n'existe de moyen connu de communication entre les singes concernés. Si vous ne la connaissez pas, en voici la version relatée dans le livre « Le centième singe » de Ken Keyes Jr. Ce livre est libre de droits d'auteur ( copyrights ) et le matériel peut être reproduit en tout ou en partie.
« Une espèce de singe japonais, le macaque japonais ( macaca fuscata ), a été observée à l'état sauvage sur une période de 30 ans.
En 1952, sur l'ile de Koshima, des scientifiques nourrissaient les singes avec des patates douces crues en les jetant sur le sable. Les singes aimaient le goût des patates douces, mais trouvaient leur saleté déplaisante.
Une femelle âgée de 18 mois appelée Imo pensait quelle pouvait solutionner le problème en lavant les patates dans un ruisseau tout près. Elle enseigna ce truc à sa mère. Ses compagnes de jeu apprirent aussi cette nouvelle façon de faire et l'enseignèrent aussi à leur mère.
Cette innovation culturelle fut graduellement adoptée par différents singes sous les yeux des scientifiques. Entre 1952 et 1958 tous les jeunes singes apprirent à laver les patates douces remplies de sable pour les rendre plus agréables au goût. Seulement les singes adultes qui imitèrent leurs enfants apprirent cette amélioration sociale. Les autres singes adultes conservèrent leur habitude de manger des patates douces sales.
Alors quelque chose d'étonnant se produisit. À l'automne de 1958, un certain nombre de singes de Koshima lavaient leurs patates douces -- leur nombre exact demeure inconnu. Supposons que lorsque le soleil se leva un matin, il y avait 99 singes sur l'île de Koshima qui avaient appris à laver leurs patates douces. Supposons encore qu'un peu plus tard ce-matin là, le centième singe apprit à laver les patates.