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Intervention - explications et épilogueC'est à ce moment que le représentant du CERPI se rend au grenier pour y réaliser le rituel qui s’impose. Avant de se lancer dans l'opération, il envoie un SMS à une médium du groupement, un message convenu, laconique, qui l’avertit qu'il a besoin d'aide, qu'il serait bienvenu que celle-ci lui envoie "de la lumière", des "énergies positives", de "bonnes vibrations" afin d'entrer en synergie, d'obtenir un effet catalytique qui devrait l'aider dans son effort. Malheureusement pour lui, il oublie un détail : le numéro de téléphone se trouvant dans son répertoire ne mentionne pas le préfixe international pour la Belgique, or nous sommes en France. C'est probablement pour cette raison que le SMS ne parviendra jamais à destination. Il est contrarié et ne se prive pas de le faire savoir. Les gens s’inquiètent un peu de cet état de choses mais il les rassure rapidement : « Ne vous inquiétez de rien, cela aurait simplement été plus facile. Vous pourrez d’ailleurs m’aider vous-mêmes si vous le voulez bien. Il vous suffira, vous ici – en bas – de vous concentrer tous ensemble en exprimant mentalement, le plus fort possible, votre volonté que cette entité s’en aille de chez vous. La conjonction devrait largement suffire. Je peux compter sur vous ? » Ils acceptent bien sûr de concert, trop contents de pouvoir être enfin libérés. Un quart d’heure plus tard environ, il reviendra à la table des E. pour son compte-rendu. « Mais vous êtes sûr que cela ne reviendra pas ? » demande madame. Voilà la question habituelle, traditionnelle, classique, prévisible et parfaitement humaine ! Et la réponse l'est tout autant : « Et est-ce que Océane est une sorcière ? » « Ce doit être une idée fixe ! La réponse est : certainement pas ! Ou alors c'est une bien jolie sorcière ! (La jeune fille dit "Merci !") Elle n'est certainement pas trop grosse comme elle le croit, ou alors moi je suis Obélix ! L'important est d'être bien dans sa peau. C'est aussi de bien se rendre compte que la perfection n'est pas de ce monde. Que le Yin et le Yang démontrent très bien que chaque partie, qu'elle soit noire ou blanche, comporte le germe de son contraire en elle : la partie blanche comporte un point noir et vice versa. Se tourner exagérément vers l'un des deux pôles c'est provoquer un déséquilibre qui entraîne des problèmes et c'est donc là qu'il faut se recentrer. Je ne pourrai pas le faire à votre place, il y a un travail sur vous-mêmes, en communauté, en vous faisant aider au besoin par un BON psychologue et non les espèces de charlatans tyranniques que vous avez vus jusqu'ici. En tous cas, cessez aussi de vous adresser à tout bout de champ à des magnétiseurs et autres prétendus médiums qui ne visent que le portefeuille et leurs intérêts personnels. Soyez déjà extrêmement méfiants à partir du moment où l'on vous demande de payer, a fortiori si les sommes sont importantes. Pour revenir à notre sujet, non : Océane n'est donc pas une sorcière, je dirais plutôt que c'est une belle petite fée incomprise, à commencer par elle-même. Elle a probablement une forte sensibilité, voire certaines facultés médiumniques, à vérifier, à développer, mais son domaine est celui des arts et ce n'est pas du tout incompatible. Le problème réside plutôt dans son inexpérience et ses problèmes relationnels. Il faudra qu'elle ait la tête bien sur les épaules, qu'elle sache exactement ce qu'elle veut et sache naviguer dans un monde souvent très dangereux. Par exemple celui de la photo qui la passionne. Vous savez bien que de nos jours et de longue date, une jeune fille bien de sa personne risque fort de tomber entre les mains de qui saura y faire et demandera bien plus qu'un book. Avant de lui proposer un contrat, on lui demandera par exemple des photos plus dévêtues, je ne dois pas vous faire un dessin ! Remarquez aussi au passage que cette passion pour la photo est aussi affaire de lumière et d’obscurité : la lumière nécessaire à la réalisation des photos et la chambre noire indispensable… (formulation imagée de circonstance, afin de souligner le contraste, puisque les APN existent déjà !) » « Et toutes les manifestations surnaturelles que nous avons constatées chez nous, c'est de l'affabulation ? » « Je crois qu'il vous faut vraiment apprendre à faire la part des choses. Si on reprend la liste de ce que vous nous aviez exposé au début et ce qui a déjà été dégagé, décortiqué, expliqué, que reste-t-il ? Je crois avoir donné une explication à chaque manifestation, sauf quelques rares qui subsistent peut-être. Celles-ci devaient être provoquées par les entités qui étaient présentes et dont je vous ai débarrassés. Si de votre côté vous faites le nécessaire pour retrouver une certaine harmonie dans votre mode de vie, que vous ne mélangez plus les torchons et les serviettes, si vous vivez désormais en adéquation avec votre religion et vos psychologies, vous retrouverez rapidement une vie tout à fait normale. De toute façon, vous ne tarderez pas à être fixés et d’ici quelques jours vous me direz si votre situation s’est améliorée ou pas. Mais elle le sera ». On se dirigeait vers la fin de l’entretien lorsqu’il se produisit un événement très anecdotique qui marqua toutefois fortement les esprits par la simplicité de la coïncidence, l’art de la répartie et l’effet hilarant qui détendit l’ambiance. Océane réitéra la question de sa mère : « Vous êtes bien certain que tout ce qui était néfaste a bien été expulsé de notre maison ? » C’est à ce moment précis que l’un des chiens, qui se trouvait tout près, émit un pet, un gaz sonore ! L’enquêteur leva les mains au ciel et répliqua : Après la séance de fous rires qui s’ensuivit, la famille E. raccompagna le leader du CERPI sur le pas de la porte. Mais avant de procéder aux adieux, Madame E. avait encore une question à lui poser : Il l’interrompit : « Madame, lors de vos premiers coups de fil au CERPI, vous étiez très déprimée et vous vous exprimiez dans un flot de paroles qui semblait intarissable. J’avais d’ailleurs bien du mal à vous suivre dans ce marathon que vous meniez au grand galop. Fort heureusement, j’ai retenu ce détail que vous m’aviez bel et bien exposé. Si j’avais été l’un de ces charlatans qui pullulent hélas dans ce domaine, j’aurais fait tout un tas de salamalecs pour vous faire croire que je détenais cette information d’une source mystérieuse. En fait, je n’ai fait que restituer les éléments que vous m’avez fournis et que vous aviez perdus de vue, sauf que j’y ai remis de l’ordre et que j’ai vu clair dans votre histoire. J’ai aussi ressorti cela au bon moment, afin d’illustrer mes propos avec l’impact nécessaire ». « Et comment saviez-vous que nous avions mangé du cassoulet, car il n’y a pas que ça qui puisse provoquer les… euh… productions gazeuses ? » « Il fut un temps, Madame, où j’exerçais la profession de détective privé. Cela implique le sens du détail et un esprit très observateur. Les écuelles des chiens m’ont renseigné à ce sujet. » ÉPILOGUEMonsieur et madame E. se sont finalement mariés. Cela ne s’est certainement pas passé en grande pompe. Il n’y avait que très peu de monde au mariage car la famille n’a guère de contacts. Cela s’est donc fait en toute simplicité ce qui n’enlève rien au caractère officiel. Mais surtout, la cérémonie n’a été émaillée d’aucune intervention malveillante, rien n’est venu s’interposer dans les festivités. La prétendue malédiction était donc éteinte. La santé de Madame s’est améliorée. Elle était d’ailleurs déjà en bien meilleure forme lors de la venue de l’enquêteur, probablement en réponse à l’effet « blouse blanche ». Océane a dû faire preuve de beaucoup de courage pour vaincre sa phobie sociale car il ne suffit pas de prodiguer des conseils, encore faut-il pouvoir les mettre en pratique. Mais en faisant la part des choses, les occupants n’ont plus accordé la même valeur aux « phénomènes » qui pouvaient se produire. Ils les ont intégrés parmi les bizarreries sporadiques que rencontre tout un chacun. Le facteur apporte toujours les mêmes factures, parfois très déplaisantes, mais on n’y voit plus l’œuvre d’une entité malveillante, qui de toute façon n’y aurait été pour rien. Finalement, dans toute cette histoire, c’est l’aspect psychologique qui était primordial. A ce niveau, nul doute que le fondateur du CERPI s’était surpassé. Ses explications détaillées, sa façon d’exposer les choses, sa stratégie sans faille et son art de toucher juste ont porté leurs fruits. Pourtant, il le savait bien, cela n’aurait jamais été suffisant face à ces gens qui voulaient trop croire à une influence surnaturelle. C’est là que se glisse la supercherie de l’histoire, mais elle est bien innocente et complètement inoffensive. En fait, c’est probablement l’un des rares cas dans lequel une supercherie ne porte aucun préjudice et qu’elle a même un effet bénéfique. Il fallait en effet qu’il abonde dans le sens de ces personnes très superstitieuses qui ne se seraient jamais rangées aux seules explications psychologiques, si pertinentes et opportunes soient-elles. Il leur fallait impérativement une action qui soit d’un autre ordre, une intervention convaincante contre ce petit quelque chose de mystérieux, ce reliquat d’obscurantisme qui leur faisait croire à une obscure hantise. Un rituel pseudo-magique s’imposait donc et il suffisait d’être bon acteur, de pousser le stratagème jusqu’à inventer une difficulté imprévue qui ferait plus vrai tout en permettant aux intéressés de participer « activement » à l’opération. La réussite du rituel les impliquait donc et c’était aussi leur victoire. Les supercheries sont parfois utiles, quand elles sont menées à bon escient. En médecine, on utilise bien des « médicaments » dépourvus de principe actif que l’on nomme « placebo ». Leur efficacité est pourtant parfois remarquable et les études à ce sujet sont plus que surprenantes. Par exemple, elle peut dépendre de la nationalité des personnes. Ainsi, Daniel Moerman, un anthropologue de l’Université du Michigan, a consulté les analyses de différents essais cliniques et constaté, dans le cas de l’ulcère, que la réponse des brésiliens avait été de 7%, celle des danois montait à 22% et la réponse des allemands atteignait les 59%[7]. [7] Source : Science & Vie n°256 (Hors série) PRECEDENTE - SOMMAIRE - HAUT - ACCUEIL |