CDV-Nag Hammadi, contenu: suite
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Centre d'Études et de Recherches
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sur les Phénomènes Inexpliqués
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Parmi les écrits découverts à Nag Hammadi en 1945, on trouve donc un évangile selon Saint
Thomas. Son étude est extrêmement complexe et a été très controversée, elle n'est d'ailleurs pas réellement terminée.
Nous tenterons donc d'en dégager les points essentiels qui nous intéressent plus particulièrement.
Ce manuscrit date du
IVe siècle,
mais des fragments, en grec, de l'Évangile selon Thomas étaient déjà connus par les
papyri d'Oxyrhynque dont le plus ancien est daté de l'an 200 environ. Il pourrait être d'origine syriaque.
C'est un recueil de logia (transcription du
pluriel du mot grec λογιον qui signifie "réponse d'oracle"), c'est-à-dire de paroles rapportées
de Jésus, au nombre de 114, le plus souvent précédés de la mention «Jésus a dit». Les trois-quarts ont leur parallèle dans les textes
canoniques, à la différence qu'aucun d'eux ne met Jésus en situation par des références de temps ou de lieu. Il n'est pas fait mention de
sa mort ni de sa résurrection. Il n'y est pas non plus question de miracles et Jésus apparaît surtout comme un maître de sagesse.
Cependant, cette sagesse semble être à rapprocher de philosophies orientales ce qui est assez prévisible vu l'auteur, telles que les
occidentaux apprécient de nos jours, avec des notions gnostiques que n'appréciait donc pas l'église et qui mettaient surtout l'accent sur
l'importance de l'esprit sur le corps. Dans un certain sens, l'évangile selon Saint Thomas, qui est aussi considéré par certains
comme "le cinquième évangile" apporte des éléments nouveaux quant aux premiers temps du christianisme, son état avant les modifications
du Concile de Nicée et la chasse aux sorcières de l'église.
L'auteur de cet évangile serait donc, selon l'incipit du manuscrit, Thomas, l'apôtre «Thomas, appelé Didyme»
(Jn 11, 16), et ici Didyme Jude Thomas. Didyme n'est que l'équivalent grec de l'araméen Thomas, et signifie «le jumeau»
(le Livre de Thomas l'athlète précise : «Le Sauveur, frère de Thomas, lui a dit... Écoute ; je te révélerai ce à quoi tu penses
dans ton cœur: Comment l'on dit que tu es véritablement mon jumeau et mon compagnon...; comment l'on t'appelle mon frère»), ce qui, dans une
perspective gnostique, en fait le «parfait initié» (cf. Claudio Gianotto, Écrits apocryphes chrétiens I, 1997). Le nom
de Jude est associé à celui de Thomas dans plusieurs écrits orientaux, en particulier les Actes de Thomas, composés en
syriaque à Édesse sans doute au début du IIIe siècle, où on peut lire (chapitre 39) : «Jumeau du Christ, apôtre du Très-Haut, toi
aussi associé à la parole secrète du Christ et qui a reçu de lui des paroles cachées...».
Il faut noter que, selon toute vraisemblance, ce ne serait pas vraiment Thomas qui aurait écrit cet évangile ou en tous cas pas
complètement mais plusieurs personnes écrivant en son nom comme cela se faisait fréquemment alors. Par ailleurs, le fait que Thomas
était considéré comme le jumeau du Christ ne doit pas être entendu au sens premier et physique mais sur un plan plus mystique et philosophique, dans
l'esprit gnostique. Il s'agit donc d'un initié, quelqu'un qui lui ressemble dans la sagesse. Pourtant, il y a une double notion de jumeau
dans le nom en question et le fait ne manque pas de frapper, d'autant que ce sera repris dans la théorie majeure qui sort des
découvertes de Nag Hammadi et de Qûmran. Il y a effectivement des contradictions puisque dans les évangiles canoniques, Saint Thomas est
présenté comme celui qui doutait (de la résurrection de Jésus) et le Sauveur avait du montrer la trace des clous et celle de la
lance pour qu'il croie enfin, ce à quoi Jésus avait dit: "Heureux ceux qui croiront sans avoir vu, le Royaume des Cieux leur appartient".
En dehors de l'Évangile selon Thomas et des Actes de Thomas, d'autres apocryphes ont été placés sous
l'autorité de Thomas : L'Évangile de Thomas l'israélite, qui est un récit de l'enfance de Jésus, et l'Apocalypse de
Thomas sur la fin des temps.
Selon Jean Doresse, qui a fait la première publication des textes de Nag Hammadi, il s'agit d' un
apocryphe où ce qui correspond aux Évangiles a toutes chances d'avoir été tiré d'eux, et non de leur source première, tandis que ce que Thomas offre
d'inédit, même si cela mérite la qualification de logia, risque d'avoir été l'objet non seulement d'approximations mais aussi de retouches.» (Jean
Doresse, L'Évangile selon Thomas, 2e éd. 1988).
Autrement dit, il est impossible de séparer ce qui relève d'une ancienne tradition chrétienne extra-canonique de la
réinterprétation gnosticisante ultérieure, même s'il arrive que certains logia paraissent représenter un état plus ancien d'un passage parallèle des
Évangiles ou, absents de ceux-ci, peuvent donner une impression d'authenticité : Par exemple celui (n°82), déjà connu d'Origène qui s'interrogeait à
son sujet, où il est question du feu (est-ce le feu de Dt 9,3 ou de Lc 12, 49 ?) : «Celui qui est près de moi est près du feu, et
celui qui est loin de moi est loin du Royaume.»
Bon ! Voilà pour la théorie, quant aux interprétations, c'est tout autre chose. Bien sûr, si l'on s'en réfère à certains
spécialistes de la question des évangiles, celui de Thomas ne mérite pas tout le mystère dont on l'entoure. On lui reproche notamment de ne rien
dire de Jésus (et pour cause puisque c'est ce dernier qui parle, or relater les dires de quelqu'un n'est-ce pas parler de lui ?). On prétend
également qu'il faut résister à la théorie du complot, que l'on peut voir dans l'obstination de l'Église à ne pas parler de ces
écrits ni forcément de celui de Thomas et d'avoir retardé autant que possible l'édification générale. Selon eux, l'Église n'en aurait pas parlé
parce que ces écrits étaient perdus. C'est aller vite en besogne et jouer assez maladroitement sur les mots puisque c'est bien l'Église qui
s'est érigée contre ceux qu'elle qualifiait elle-même d'hérétiques, avec des moyens plutôt puissants et radicaux à un point tel que de très
nombreux individus ont été obligés de s'exiler et de dissimuler ces écrits afin d'éviter ses foudres ! La réalité des faits est à la fois
difficile à établir en raison des manoeuvres de brouillage des pistes réalisées par les pères de l'église mais aussi du fait que chacun des écrits pris
séparément présente des éléments certes précieux mais insuffisants pour rassembler les pièces du puzzle.
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Thomas, dans son évangile, nous apporte cependant des notions très importantes en rapport
avec l'étude des phénomènes surnaturels ou paranormaux au travers de certaines définitions qui proviennent donc
indirectement de la bouche de Jésus, lequel semble les tirer lui-même de philosophies orientales. On comprend mal
d'ailleurs pourquoi le fils de Dieu aurait du avoir recours à des principes d'autres religions, notamment préconisant
l'existence d'autres dieux (à moins qu'il ne s'agisse du même présenté sous un autre nom ?) pour exposer son enseignement et
cela suppose donc bien, une nouvelle fois, que le christianisme aurait été calqué sur d'autres courants philosophiques
préexistants. Voilà qui perturbe fortement les vues des chrétiens pour qui Dieu est unique et qui ne connaissent que
trop bien le "credo" (je crois) provenant en droite ligne de Nicée. Ce même credo est d'ailleurs la négation
systématique des tendances gnostiques, un peu comme une sorte d'exorcisme au sein de même religion. Gênant !
Le credo
Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de
l'univers visible et invisible.
Je crois en un seul Seigneur, Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles ; il est Dieu, né de
Dieu, lumière, née de la lumière, vrai Dieu, né du vrai Dieu. Engendré, non pas créé, de même nature que le Père, et par lui
tout a été fait. Pour nous les hommes, et pour notre salut, il descendit du ciel; par l'Esprit Saint, il a pris chair de la
Vierge Marie, et s'est fait homme. Crucifié pour nous sous Ponce Pilate, il souffrit sa passion et fut mis au tombeau. Il
ressuscita le troisième jour, conformément aux écritures, et il monta au ciel; il est assis à la droite du Père. Il reviendra
dans la gloire, pour juger les vivants et les morts; et son règne n'aura pas de fin.
Je crois en l'Esprit Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie; il procède du Père et du Fils.
Avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire; il a parlé par les prophètes. Je crois en l'Église, une,
sainte, catholique et apostolique. Je reconnais un seul baptême pour le pardon des péchés. J'attends la résurrection des morts,
et la vie du monde à venir. Amen
Or, lorsque l'on lit cette profession de foi, on se rend compte qu'elle s'oppose pratiquement point par point à
tous les écrits gnostiques. Le Père tout-puissant s'oppose à l'androgynie (Dieu est à la fois homme et femme), sa
toute-puissance est actuellement mise en doute et remplacée par une nuance : "tout puissant d'amour" (Mais dans ce cas on
s'écarte notablement du Dieu vindicatif, jaloux et "violent" - disons au moins "autoritaire" de l'ancien testament. On
remarque d'ailleurs une énorme différence à ce propos entre l'ancien et le nouveau testament, laquelle ne laisse pas de
troubler, comme si l'on avait plus à faire à la même "personne". "Créateur du ciel et de la terre" s'oppose au Noun, aux visions
cosmogoniques de la mythologie égyptienne. "Jésus-Christ, fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles"
renseigne de manière évidente sur le problème de substance du Christ et rejette les influences orientales puisqu'il est
supposé antérieur; le reste est du même acabit, mais il y a bien pis encore : en rassemblant les découvertes et en
réalisant une étude très fouillée, il semblerait qu'il ne soit pas impossible que la crucifixion ait été une vaste mise en
scène, que Jésus ne soit pas mort sur la croix et qu'il n'ait donc pas pu ressusciter, qu'il se soit au contraire exilé avec
ou sans Marie (Madeleine) laquelle lui aurait donné un ou plusieurs enfants (là encore, ce n'est pas tout ! Mais
essayons de ne pas assommer le lecteur déjà soumis à rude contribution !)
L'évangile selon Thomas nous renseigne aussi sur nos existences et l'on comprend qu'il ait fallu "un certain temps" avant de
mettre ces notions au propre, voyons plutôt.
Bien évidemment, des problèmes de traductions se sont également posés et il faudra encore interpréter
l'interprétation ou plutôt les interprétations, travail de longue haleine s'il en est mais rassurez-vous, nous tacherons de
couper au court et de vous donner le fruit de ce travail plutôt que ses très nombreux détours. Pourtant, dans un souci
d'authenticité et d'exhaustivité, il fallait au moins que nous vous donnions le substrat du travail en question.
Vous pourrez trouver tout d'abord ci-dessous le texte même (en français) des 114 sentences émanant donc de Jésus
et retranscrites par Thomas. |
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L'évangile selon Thomas
celles-ci sont les paroles cachées
que jésus le vivant a dites
et qu'a écrites didyme judas thomas
L'envoi de cet évangile nous en révèle l'auteur : Didyme Judas Thomas. Didyme signifie jumeaux en grec. Judas était un prénom fort
commun à l'époque. Thomas signifie également jumeaux, mais en araméen cette fois. Ce double dénominatif réfère vraisemblablement
au lien spirituel unissant Jésus à son disciple. Chaque disciple sera pareil à son maître est une parole de Jésus dans l'évangile de
Luc. (Lc 6. 40) Thomas nous est surtout connu par l'évangile de Jean. Le dénominatif Didyme lui est accordé dans Jn 11. 16 et 21. 2.
Dans Jn 14. 22 il est tout simplement appelé Judas. Le nom Judas Thomas revient également dans diverses variantes de l'évangile de
Jean.
Le sens de paroles cachées peut prêter à discussion. Comme la connaissance, dont témoigne Jésus, est d'un ordre spirituel et donc
difficilement communicable, il fait souvent appel à un langage imagé : sa connaissance est cachée dans l'image. À chaque auditeur ou
auditrice d'en dévoiler le contenu. Voilà le sens probable de paroles cachées. Au début de l'ère chrétienne circulaient toutefois
un grand nombre d'écrits, qui ne reflétaient pas ce qui aujourd'hui est considéré comme la doctrine véritable. Ces écrits sont appelés
apocryphes, en provenance du mot grec apocruphos, utilisé ici, et signifiant secret ou caché. Une traduction par paroles secrètes nous
semble toutefois moins indiquée. On pourrait en effet en déduire que le message de Jésus est ésotérique et qu'il ne s'adresse qu'à des
personnes initiées. Son enseignement est par contre universel et destiné à chacun de nous.
Jésus est appelé le vivant. Dans cet évangile le sens de vie et de mort est différent de leur sens biologique. La prise de conscience
d'un lien unissant l'inférieur - le biologique - au supérieur - le spirituel - donne à cette vie une dimension absolue. Celui ou celle,
qui a accédé à cet état de conscience, est devenu vivant. C'est la qualité dont témoigne Jésus.
1
et il a dit
celui qui découvrira l'interprétation de ces paroles
ne goûtera pas la mort
Jn 8. 51-52 : En vérité je vous dis : si quelqu'un garde ma parole... jamais il ne goûtera la mort.
Une juste appréciation de la connaissance cachée dans les paroles de Jésus donne donc accès à la vie véritable. La qualité de toute
interprétation est directement dépendante de la conscience individuelle. C'est la raison pour laquelle une interprétation ne
pourra jamais être imposée à autrui comme une vérité. Ceci implique également qu'une interprétation sera toujours personnelle et
évoluant en fonction de l'évolution de la conscience individuelle. L'accès au contenu de son enseignement nécessitera donc temps et
patience...
L'expression ne goûtera pas la mort semble étrange, mais est également présente dans les évangiles canoniques. Notez en passant
la subtile différence entre découvrir et garder la parole... Celui ou celle qui découvrira le contenu véritable des paroles cachées, qui
recevra donc sa connaissance, vivra. La mort est absence de vie, comme l'obscurité est absence de lumière, comme l'ignorance est
absence de connaissance. Dans le milieu gnostique la connaissance appelée gnose est associée directement à la notion de vie. Accéder à
la gnose est la condition première pour avoir accès à la vie véritable. La mort physique, toujours présente comme l'aboutissement
de la vie biologique, ne gênera toutefois pas celui ou celle qui a retrouvé son port d'attache absolu...
2
a dit jésus
celui qui cherche qu'il ne cesse de chercher jusqu'à ce qu'il trouve
et quand il aura trouvé il sera bouleversé
et s'il est bouleversé il sera émerveillé
et il sera roi sur le tout
Mt 7. 7-8 - Lc 11. 9-10
Quiconque désire accéder à la connaissance de sa parole, se trouve donc dans l'obligation de s'engager dans la voie d'une recherche
personnelle. Ceci constitue un défi, qui remet en question des idées ou des convictions reçues, dans lequel est relativisée l'importance
du moi à la lumière d'une connaissance nouvelle. Cette démarche mène à une expérience dérangeante, car elle concerne la pierre d'angle de
nos «certitudes» religieuses. Qui s'ouvre au nouveau se pose, comme Jésus, en conflit par rapport à l'ancien. S'en suit un
bouleversement évident... Mais celui ou celle qui, en toute sincérité avec soi-même, parvient à résoudre cette situation conflictuelle,
accèdera finalement à un état d'émerveillement, qui réside dans la prise de conscience de sa participation responsable dans la royauté
du Père.
Jadis la dignité royale était associée aux notions d'autorité et de responsabilité. Plus tard cette conception évoluera vers des valeurs
tels que règne et pouvoir. Pour cette raison nous considérons la traduction : et il règnera sur le tout comme inopportune, vu
l'association qui y est faite avec la notion de pouvoir. (voir les logia 81 et 110)
3
a dit jésus
s'ils vous disent ceux qui vous attirent
voici le royaume est dans le ciel
alors les oiseaux du ciel vous devanceront
s'ils vous disent il est dans la mer
alors les poissons vous devanceront
mais le royaume est à l'intérieur de vous
et il est l'extérieur de vous
quand vous aurez reconnu vous-mêmes alors vous serez reconnus
et vous saurez que vous êtes les enfants du père le vivant
si en revanche vous ne vous reconnaissez pas
alors vous êtes dans une pauvreté
et vous êtes la pauvreté
Lc 17. 21 : ...on ne dira pas : voici il est ici ou voilà il est là, car le royaume de Dieu est au-dedans de vous. (en grec : entos ùmôn
estin)
Ici commence la confrontation avec la connaissance nouvelle. Se rendre dépendant d'un savoir d'autrui n'est pas le bon cheminement !
La voie est celle de la connaissance de soi... Il ne s'agit toutefois pas de savoir «qui suis-je ?» dans le sens de : quelle est ma
personnalité, en quoi je me distingue des autres ? La question est plutôt : qui suis-je, être humain sur cette terre, quelle est ma
tâche, quelle est ma finalité... ? Quel est le sens de la merveille biologique appelé homme... ?
L'avènement du royaume est un vieux rêve du peuple d'Israël. Pour le juif Paul ce rêve était si intense et sa réalisation si proche,
qu'il conseilla aux hommes de Corinthe une abstention sexuelle... Ceci leur serait sûrement bénéfique le jour tout proche du jugement
dernier... (1Cor 7. 29) Moyennant une adaptation progressive et nonobstant la parole de Jésus rapportée par Luc, ce rêve de
l'avènement du royaume fait aujourd'hui toujours partie d'une expectative, reportée il est vrai vers l'au-delà. L'influence de
Paul fut de toute évidence plus déterminante que celle de Jésus...
En dévoilant que la réalité représentée par le royaume est aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de soi, Jésus précise qu'il
s'agit bien d'une réalité présente dans cette vie terrestre. En effet, comme la nature toute entière, chaque cellule de notre corps
est à l'écoute d'une loi absolue. La prise de conscience de cette unité implique la reconnaissance d'une source de vie à l'intérieur
de soi. Quiconque la reconnaîtra, sera reconnu... La reconnaissance d'une source intérieure engendre donc une reconnaissance par la
source elle-même. Par elle nous serons reconnus et recevrons la lumière dans laquelle seront dissipées les ténèbres de notre
ignorance. Si nous ne la reconnaissons pas, nous demeurons dans une pauvreté. C'est l'état dans lequel Jésus a retrouvé les siens,
l'état qui est toujours le nôtre... (voir logion 28)
Afin de préciser le caractère intime du lien qui le relie à sa source de vie intérieure et absolue, Jésus utilise l'image du lien
unissant le fils à son père. (voir logion 15) Mais ce lien n'est pas une exclusivité qui ne reviendrait qu'à lui ! Unis dans une même
union spirituelle, nous sommes tous et toutes enfants du père le vivant. Notons également que, dans cet évangile, le ciel
n'appartient pas au domaine du divin mais que, comme la mer, il fait partie de la création relative. Il n'empêche que, comme toute image
relative, le ciel peut aussi être utilisé dans un sens symbolique pour le «supérieur».
4
a dit jésus
dans ses jours l'homme âgé n'hésitera pas
à interroger un petit enfant de sept jours
au sujet du lieu de la vie
et il vivra
car beaucoup de premiers se feront derniers
et ils seront un.
concernant « premiers et derniers » : Mt 10. 30 - Mc 10. 31 - Lc 13. 30
De cette parole de Jésus seule l'avant dernière ligne a survécu dans les évangiles canoniques, dans le désordre il est vrai... C'est une
rencontre insolite qui nous est présenté dans ce logion. L'homme âgé a vécu une vie entière, l'enfant sept jours seulement. Il va de soi
que le chiffre sept, symbolisant le parfait, n'est pas choisi par hasard... Le petit enfant vit insouciamment, inconscient encore de son
moi, toujours uni dans la paix et l'harmonie de sa source de vie. Et pourtant il est le catalyseur, qui touche à tel point la conscience
de l'homme âgé, que celui-ci se réalise soudainement le lien qui, comme l'enfant, l'unit à l'Être absolu.
Lui aussi fut un jour un enfant de sept jours, tout pur encore, libéré de toute contrainte exigeante de son moi dominant.
Aujourd'hui il a vécu sa vie, terminé son combat avec soi-même et les autres et il se réalise que le crépuscule est proche... Une
réflexion rétrospective s'impose à lui. Sa vie fut vécue au sein d'une communauté croyante. Comme les autres il avait respecté les
règles religieuses qui lui avaient été inculquées. Pourtant, il ne pouvait se souvenir de quelque influence divine concrète durant sa
vie. Au sein sa communauté la vie n'était pas vraiment devenue meilleure. L'importance du moi individuel avait en fait toujours
pris le pas sur la présence du grand protecteur d'en haut. Bien sûr il avait pris conscience que toutes les possibilités dont il
disposait provenaient de Dieu, mais, comme les autres, il s'était toujours accordé à lui-même les mérites de ses acquits... Et de ses
acquits il devrait bientôt se séparer...
Était-ce bien en accord avec la volonté divine que de s'acquérir pour lui-même des biens dont il devrait bientôt se séparer...?
Était-ce bien là le plan que Dieu avait eu avec lui ? En considérant son moi comme son maître, ne s'était-il pas trompé de maître, ne
s'était-il isolé de son véritable Seigneur, qui lui avait tout donné... ?
Peut-être étaient-ce de telles pensées qui troublaient la conscience de l'homme âgé... Vint le moment de la rencontre... Comme illuminé par
une inspiration soudaine il se réalisa que lui, le premier, car né le premier, était uni à l'enfant, le petit dernier, dans une même
union avec une même source de vie. Car le lieu de la vie, le lieu où l'enfant demeurait toujours, celui de l'unité, représentait pour lui
aussi l'unique état de conscience, dans lequel il pouvait réaliser sa véritable tâche de serviteur...
5
a dit jésus
connais ce qui est devant ton visage
et ce qui t'est caché se dévoilera
car il n'y a rien de caché qui n'apparaîtra
Mc 4. 22 - Mt 10. 26 - Lc 8. 17 et 12. 2
Ce logion nous invite à porter une attention particulière à ce qui est devant notre visage. Il s'agit donc de la connaissance de
l'aspect extérieur du royaume : la nature et ses lois, le domaine de la science. Par la voie scientifique aussi nous pouvons prendre
conscience de la richesse présente dans le vide absolu, source de toute vie relative. L'homme moderne s'est donné les moyens pour
pénétrer les lois de la nature, pour sonder la physiologie et le psychisme de l'homme, pour évaluer le subtil équilibre naturel. Par des moyens audiovisuels nous
avons aujourd'hui le privilège d'apprécier le merveilleux naturel. Qu'il s'agisse du monde minéral,
végétal ou animal, à chaque fois nous sommes en émerveillement devant un processus de vie, guidé par une loi, qui ne peut être
d'origine humaine. Et pourtant, malgré que l'homme lui-même est l'expression suprême de cette loi, lui et lui seul est capable d'en
perturber l'évolution, aussi bien à l'intérieur de lui-même qu'à l'extérieur... La vie ne peut pourtant lui révéler sa plénitude qu'à
la condition qu'elle soit intégrée dans cette loi universelle d'harmonie.
De ce logion peut également être déduit ce message particulier : que toute connaissance scientifique exacte ne pourrait s'opposer à une
juste appréciation religieuse...
6
ses disciples l'interrogèrent et lui dirent
veux-tu que nous jeûnions
et de quelle manière prierons-nous et donnerons-nous l'aumône
et qu'observerons-nous en matière de nourriture
a dit jésus
ne dites pas de mensonges
et ce que vous récusez ne le faites pas
car devant la face du ciel se dévoilent toutes choses
il n'y a rien en effet de caché qui n'apparaîtra
et rien de recouvert qui ne sera dévoilé
La croyance juive est le substrat religieux des disciples. Elle leur impose nombre de règles et de rites. La pratique de ceux-ci est la
condition première pour espérer accéder un jour au royaume divin. La voie que Jésus nous propose est celle de la recherche personnelle et
intérieure. Cette voie ne requiert ni rites, ni commandements. Celle ou celui, qui a pris conscience de la source et de sa loi, n'est
plus concerné par des prescriptions humaines. L'inspiration en provenance de la source est un guide unique et infaillible. Mais
l'homme qui s'engage dans cette voie reste lui aussi tributaire de ses faiblesses et de ses manquements. Son guide principal sera dès
lors une sincérité, dans ses paroles comme dans ses actes. Celui qui accomplit des actions justes ici bas, agit en harmonie avec le monde
créateur, celui d'en haut. Qui échoit dans l'erreur en subit la loi. Toutes choses - le bien comme le mal - se dévoileront - lui seront
imputées - devant la face du ciel - ce qui veut dire : ici et maintenant. C'est cette loi qui, en Orient, est appelé la loi de
karma. (voir le logion 58)
Des actes rituels, en tant que gestes symboliques, ne sont pas forcément dénués de tout sens, dans la mesure où ils peuvent servir
à vivifier un juste état d'esprit dans notre conscience. Les rites juifs étaient toutefois perçus comme un moyen contraignant, afin de
se certifier d'un accès au royaume. Cette conception n'est pas celle de Jésus ! Mais, et ceci est quand même remarquable, même la prière
ne retient pas son attention...
a dit jésus
heureux est le lion que l'homme mangera
et le lion sera homme
et méprisable est l'homme que le lion mangera
et le lion sera homme
Émanant de la bouche de Jésus cette parole nous semble effarante... À maintes reprises elle fut utilisée pour attester du caractère
extravagant de cet évangile. Nous convenons que l'interprétation n'en est pas évidente. Certains traducteurs, et non des moindres, se
sont même permis de modifier la succession des mots et donc de changer le sens de la phrase, afin de parvenir à une interprétation
valable à leurs yeux.
Le royaume n'est pas une réalité imaginaire qui ne serait accessible que dans l'au-delà, mais la finalité même de cette vie terrestre.
Par rapport au vécu de cette vie alors et maintenant - vingt siècles d'évolution n'ont apparemment pas changé grand-chose - Jésus
témoigne pourtant d'une lucidité étonnante.
Ce logion nous présente une double confrontation entre l'homme et le lion. Bien que l'issue en soit différente, la conclusion est la même
: et le lion sera homme. Le lion, en tant que souverain dans le monde animal, peut être considéré comme le symbole du pouvoir
dominateur dans ce monde inférieur, dans lequel l'homme vit biologiquement mais est toujours mort face aux valeurs supérieures.
La finalité de la vie n'est pas de demeurer dans les ténèbres de la pauvreté, mais d'avoir pleinement accès aux possibilités qui nous
sont déléguées. Pour réaliser cela l'homme doit diriger son attention vers la source qui délègue, vers le supérieur à
l'intérieur de lui-même. S'il demeure séparé de cette source il reste dépendant du monde inférieur, là où le lion dicte sa loi. La
loi du lion est celle du plus fort, qui incite continuellement l'homme à une confrontation avec les autres, le pousse à se prouver
soi-même selon des règles conçues par lui-même.
Il nous arrive d'entendre la réflexion suivante : dans la vie il y a deux sortes d'hommes, les vainqueurs et les vaincus. Les vainqueurs
sont ceux, qui dans leur lutte avec le lion ont triomphé. Ils ont réalisé leurs objectifs et demeurent dans l'illusion de posséder un
pouvoir. Mais en réalité leur pouvoir est totalement dépendant des lois du lion, qui s'appellent dollar, euro ou tout simplement
ivresse de pouvoir. En conséquence : heureux est le lion... Car celui qui possède un pouvoir est aussi devenu son esclave. Par l'entremise
de l'homme le lion règnera : et le lion deviendra homme. Le puissant ne peut régner que par la grâce du lion. C'est la raison pour
laquelle l'homme détenteur de pouvoir est le plus cruel parmi les animaux...
Les vaincus sont ceux qui, dans leur lutte avec le lion, se sont inclinés. Un sort bien moins enviable leur est réservé, car
impuissants ils doivent subir la loi du lion. Une dépendance totale en est la conséquence. Conclusion : méprisable est l'homme, car du
pouvoir du lion il est devenu la pâture. Comme l'animal dans la jungle ou la savane, son sort au quotidien ne sera plus de vivre
mais de survivre. En lui aussi l'animal prévaudra : et le lion deviendra homme...
Quelle leçon est-elle à déduire de cette métaphore ? Bien que le territoire de l'homme soit également celui du lion, sa tâche est
élevée au-dessus de toute confrontation avec le lion. Celui ou celle qui accepte le défi du pouvoir sera toujours perdant ! Car pouvoir
fait partie du monde inférieur. Sa tentation n'a qu'un nom : orgueil. S'abstenir de toute implication dans les objectifs du lion
est donc le message évident. Quiconque cherche à s'affirmer selon des lois d'un ordre inférieur et à devenir puissant, ignore la
source même de son potentiel et s'engage dans une confrontation avec le lion. Qu'il triomphe ou qu'il s'incline, toujours l'inférieur -
le lion - prendra possession de l'homme.
L'ambition est un stimulant naturel, qui nous aide à développer et à exprimer nos qualités et qui se concrétise dans d'une confrontation
avec les autres. Ceci est le propre d'une période limitée de la vie. Toutefois, un éveil s'impose ... Car lorsque nous avons pris
conscience que toutes les facultés dont nous disposons ne nous appartiennent pas, mais sont mises à notre disposition par une
source absolue, rien ne nous permet plus de réclamer pour nous-mêmes une quelconque position de pouvoir... (voir logia 81 et 101) Seule une
reconnaissance s'impose. Notre tâche sera dès lors d'exprimer harmonieusement ce que nous recevons selon une loi qui ne nous
appartient pas. Cette loi ne découle pas du monde inférieur mais d'une réalité supérieure.
L'interprétation que nous accordons à cette parole de Jésus corrobore le principe d'ahimsa dont a témoigné Gandhi et plus tard
Martin Luther King. L'utilisation de la violence, aussi bien par le plus fort que par le plus faible, comme une expression de puissance
ou d'impuissance, n'est jamais le bon choix... !
8
et il a dit
l'homme est semblable à un pêcheur avisé
qui avait jeté son filet à la mer
il le retira de la mer rempli de petits poissons
parmi eux le pêcheur avisé trouva un gros poisson excellent
il jeta tous les petits poissons dans la mer
sans peine il choisit le gros poisson
celui qui a des oreilles pour entendre qu'il entende
Mt 13. 47-50 : Encore le royaume des cieux est semblable à un filet jeté à la mer et qui rassemble toute sorte de choses. Une fois
plein, l'ayant remonté sur le rivage et s'étant assis, ils ont recueilli les bonnes choses dans des paniers et ils ont jeté les
mauvaises. Ainsi en sera-t-il à la fin du monde. Les anges viendront et sépareront les mauvais des justes et les jetteront dans la
fournaise du feu. Là il y aura des pleurs et des grincements de dents.
Comparer Thomas à Matthieu est plus relevant que cent commentaires... ! Il est probable que la présence de pêcheurs parmi les disciples ne
soit pas étrangère à l'image choisie. Mieux que quiconque ils pouvaient apprécier la valeur du gros poisson excellent. L'homme est
un pêcheur avisé, qui se donne la peine d'examiner attentivement sa prise. Ainsi il découvre le gros poisson.
Le message est évident : faites usage de votre intelligence, discernez le précieux, ne vous souciez pas de valeurs mineures... De
ces valeurs-là nous sommes pourtant bien pourvus dans cette vie ! Nombreuses sont en effet les théories et idéologies de pseudo
scientifiques ou de voyants illuminés. Développer une ouverture d'esprit est important. Mais tout aussi important est l'apport d'un
sens critique, afin d'établir, suite à une expérience de vie, une juste échelle de valeurs. Ce qui est périssable ne peut avoir qu'une
valeur périssable... La valeur unique et donc exceptionnelle, qui fait l'objet de notre recherche, n'appartient pas au monde de l'avoir
mais à celui de l'être. Une valeur existentielle a une portée absolue, car issue de la source même de l'Être.
Parmi les nombreux poissons, que représente la découverte de Nag Hammadi, cet évangile pourrait lui aussi être considéré comme un
gros poisson excellent...
9
a dit jésus
voici que sortit le semeur
il remplit sa main et jeta
quelques graines en fait tombèrent sur le chemin
des oiseaux vinrent et les picorèrent
d'autres tombèrent sur la rocaille
et ne prirent racine dans la terre
et ne firent s'élever d'épis vers le ciel
et d'autres tombèrent sur les épines
elles étouffèrent la semence et le vers la mangea
et d'autres tombèrent sur la bonne terre
et elle donna un fruit excellent vers le ciel
il vint soixante par mesure et cent vingt par mesure
Mt 13. 1-9 - Mc 4. 1-9 - Lc 8. 4-8
Ce logion témoigne d'une qualité exceptionnelle dans la parole de
Jésus : celle de saisir à la fois et la voie et la finalité de la vie dans une image simple, compréhensible pour tous. Dans les trois
évangiles synoptiques il s'agit du premier de ses paraboles. Celle ou celui qui en a saisi la signification profonde, a également perçu
l'essentiel de son enseignement. La simplicité de l'image n'est pourtant pas une garantie pour une compréhension unanime...
En effet, dans les évangiles synoptiques ce parabole est suivi d'une interprétation, que Jésus aurait donnée, quant aux graines qui ne
sont pas tombées sur la bonne terre. Cette interprétation ne fait toutefois pas l'unanimité parmi les trois évangélistes... Raison pour
laquelle les auteurs du «Synopse des quatre Évangiles» de l'École biblique de Jérusalem concluent à un ajout non pas de Jésus mais de
la communauté ecclésiastique primitive. En plus il s'agit là de ce qui, dans le logion précédant, nous est présenté comme de petits
poissons : des graines qui n'ont pas réalisé leur finalité... Autre question, qui depuis des siècles a fait l'objet de maintes
discussions, concerne l'origine des nombreux fruits : sont-ils produits par la semence ou par la bonne terre... ? À la lumière de cet
évangile cette discussion aussi s'avère stérile...
Comme ce n'est ni le spermatozoïde masculin, ni l'ovule féminin qui
est à l'origine de la vie biologique, mais l'unité nouvelle issue de leur union, de la même manière ce n'est ni la semence, ni la bonne
terre qui produit les fruits, mais l'unité nouvelle engendrée par leur union !
La question essentielle qui nous concerne tous est celle-ci : comment l'homme peut-il réaliser la finalité de sa vie, qui est de
produire de nombreux fruits dont il peut lui-même bénéficier ? Avant d'être semence la graine fut elle-même le fruit issu d'une plante
portée par la bonne terre. Pour réaliser sa finalité la graine doit retourner à l'endroit où fut son propre commencement. (voir logion
18) Aussi longtemps que la graine reste graine elle ne pourra réaliser sa finalité, qui est de servir comme semence. Quand, dans
l'union avec la bonne terre, elle se libère de son enveloppe extérieur et cesse donc d'être graine, alors elle servira
l'évolution de la vie en produisant de nombreux fruits. Voilà sa finalité.
Comme la nature nous en donne l'exemple, le nouveau ne peut se manifester dans l'homme que par un démantèlement de l'ancien... Le
détachement de l'ancien est la condition première pour que, dans l'union avec l'endroit où est le commencement, le lieu de la vie où
demeure toujours l'enfant de sept jours, puisse s'épanouir la vie nouvelle. Aucune raison de regretter l'ancien... Dans une prise de
conscience de l'ancien, de l'orgueil qui est nôtre, des idées prétentieuses dont nous nous sommes parés, d'une prétendue
connaissance du divin, réside ici et maintenant la condition pour une naissance nouvelle...
Comme le nirvana pour le Bouddha, l'intégration dans la royauté du Père est pour Jésus une réalité à réaliser dans cette vie. Dans
cette conception des paroles de Jésus, de l'importance qu'il donne à la notion d'unité, est valorisée la parole rapportée par Jean : afin
que tous soient un, comme vous Père en moi et moi en vous... afin qu'ils soient parfaits dans le un...
10
a dit jésus
j'ai jeté le feu sur le monde
et voici que je le préserve jusqu'à ce qu'il enflamme
Lc 12. 49-50
Voici une parole de Jésus qui pourrait bien être prophétique... Sans doute s'était-il rendu compte de la difficulté qu'éprouvaient ses
disciples à accéder à une connaissance - symbolisée ici par le feu, qui jadis était également source de lumière - trop nouvelle et trop
perturbante pour eux. Trop souvent une incompréhension était le sort réservé à ses paroles. L'embrasement, la prise de conscience qu'il
espérait vivifier en eux, a du lui sembler bien illusoire... Son enseignement serait donc mis en veilleuse jusqu'au jour où
l'humanité puisse en réanimer la flamme et en assumer la responsabilité.
La nouvelle apparition de cet évangile dans la seconde moitié du vingtième siècle ne serait donc pas le fait du hasard... Depuis
quelques décennies en effet nous observons, dans une partie minoritaire bien sûr de l'humanité, de multiples indices qui
révèlent une aspiration à une spiritualité nouvelle. Dans cette perspective cet évangile pourrait bien faire office de catalyseur
dans un éveil spirituel de la conscience universelle...
11
a dit jésus
ce ciel passera et celui au-dessus passera
et ceux qui sont morts ne vivent pas
et les vivants ne mourront pas
les jours où vous mangiez ce qui est mort vous en faisiez du vivant
quand vous serez dans la lumière que ferez-vous (*)
le jour où vous étiez un vous avez fait le deux
mais étant deux que ferez-vous (*)
Mt 24, 34-36 - Mc 13, 30-32 - Lc 21,32-33
(*) Une touche interprétative consisterait à terminer la première ligne marquée par (*) par ...! et la seconde par ...?
Le processus biochimique, par lequel dans notre corps la matière morte se transforme en matière vivante, appartient à une loi
absolue, qui conditionne la vie biologique. Passer, en conscience, de la mort à la vie constitue une naissance spirituelle, qui ne peut
s'opérer que par une intégration de la lumière du supérieur dans l'inférieur. C'est la voie par laquelle dans chaque être peut se
réaliser le retour à l'unité originelle. L'histoire biblique du péché originel symbolise la séparation, la dégradation du un vers le
deux. Dans cette séparation réside notre mort spirituelle. L'image du semeur précise notre tâche : réaliser en nous-mêmes le retour à l'unité originelle.
Notons que, comme au logion 3, le ciel réfère à une réalité concrète et non pas à l'endroit où demeure le divin. Le ciel englobe cette
vie terrestre, dans laquelle biologiquement nous sommes vivants mais spirituellement toujours morts... S'engager dans une voie de prise de
conscience spirituelle signifie : reconnaître le lien qui nous unit à l'Être absolu et apprécier à sa juste valeur notre responsabilité
qui en découle. Celui ou celle qui porte son regard vers cette source intérieure et reçoit sa lumière, peut se libérer de
l'illusion de la valeur prétentieuse accordée au moi et accéder à la vie. Un ciel nouveau englobera sa vie. Car non plus la lueur d'une
loi dualiste mais la lumière de l'unité illuminera la voie d'un vécu nouveau. Cette expérience sera pourtant elle aussi limitée par le
temps. Car dans l'unité du biologique et du spirituel le biologique sera toujours temporel...
Celle ou celui qui demeure dans l'obscurité de la séparation, subit la loi de l'inférieur. Qui reçoit la lumière, reçoit la vie et ne
goûtera pas la mort...
12
ont dit les disciples à jésus
nous savons que tu nous quitteras
qui sera notre guide
jésus leur dit
vu l'endroit où vous êtes vous irez vers jacques le juste
ce qui ressort du ciel et de la terre lui revient
La traduction de la dernière ligne pose quelques problèmes.
Littéralement il en effet est écrit :
celui que le ciel et la terre ont été à cause de lui
Une traduction littérale n'a donc pas de sens. Ou bien nous avons à faire ici à une erreur de transcription ou bien il s'agit d'une
expression spécifique, qui ne peut être traduite littéralement.
Vraisemblablement les disciples ont appris de Jésus que sa présence parmi eux serait de courte durée. (*) En plus il est à déduire de
ses paroles, qu'au moment où il leur donne cette réponse, il a renoncé à l'illusion de pouvoir les élever à un niveau de conscience
digne de lui. La voie de recherche, qui aurait du être la leur - comme la nôtre d'ailleurs - n'a toujours pas abouti, car toujours
ils témoignent du besoin d'un guide...
Jacques est plus que probablement l'apôtre, frère de Jésus (voir Mt 13. 55 et Mc 6. 3), qui après la disparition de Jésus prit sur lui
la responsabilité de la communauté primitive. Lui aussi sera d'ailleurs éliminé par les autorités juives. Il est appelé le juste.
Il lui est donc accordé une connaissance des droits et devoirs nécessaires au maintient de l'harmonie dans le monde inférieur... car
ciel et terre passeront. Quelque soit la valeur de son savoir, jamais pourtant il ne pourra apporter la lumière dont témoigne les
paroles de Jésus. (voir logion 38)
(*) Dans la tradition chrétienne il est reconnu que la durée de la
vie publique de Jésus aurait été de trois ans. Une estimation basée sur la présence dans l'évangile de Jean de trois Pacques. Cette
représentation des faits serait, selon l'École biblique de Jérusalem, introduite dans la troisième rédaction de cet évangile.
La deuxième rédaction aurait présenté la durée de sa vie publique en six semaines. Le temps écoulé entre chaque semaine reste toutefois
une inconnue. Quoi qu'il en soit la durée de son témoignage - cette durée ne pourrait par ailleurs en altérer la valeur - aurait été
bien plus courte qu'imaginée aujourd'hui. En outre il est peu probable que les autorités juives eussent toléré un témoignage aussi
dérangeant durant trois années...
13
a dit jésus à ses disciples
comparez moi dites moi à qui je ressemble
simon pierre lui dit
tu ressembles à un ange juste
matthieu lui dit
tu ressembles à un philosophe sage
thomas lui dit
maître ma bouche n'acceptera d'aucune façon que je dise à qui tu ressembles
a dit jésus
je ne suis pas ton maître
car tu as bu et tu t'es enivré à la source jaillissante
que moi-même j'ai mesurée
et il le prit se retira et lui dit trois mots
lorsque thomas revint vers ses compagnons ils l'interrogèrent
que t'a dit jésus
Thomas leur dit
si je vous disais une des paroles qu'il m'a dites
vous prendriez des pierres et les jetteriez contre moi
et un feu sortirait des pierres et elles vous brûleraient
Mt 16. 13-20 - Mc 8. 27-30 - Lc 9. 18-21
Le logion précédant situait le niveau des disciples. Ce sont toujours des soucis bien humains qui font l'objet de leurs
préoccupations. Et parmi eux, celui d'être le plus méritant parmi les disciples. C'est également l'objet de la discussion dont
témoignent Mc 9. 33-34 et Lc 9. 46. La question de Jésus ressemble à un test. Seul Thomas n'a pas de mots pour exprimer une comparaison.
Pour ce dire il s'adresse à Jésus comme à un maître. S'en suit une réprimande de Jésus. Comment expliquer cette réaction ? Il est
probable que Jésus reconnaît ici son disciple comme son égal. La tâche première de tous ceux ou celles, qui se sont reconnus comme
enfants du Père le vivant, est de servir comme sert Jésus. Un serviteur n'est pas un maître... !
Quels pourraient bien être les trois mots qu'a dits Jésus à Thomas ? Peut-être était-ce : je suis toi ou tu es moi... Quoi qu'il en soit,
Thomas était bien conscient que la reconnaissance qu'il reçut ne serait pas acceptée de bon cœur par ses confrères. Elle susciterait
une jalousie qui engendrerait une réaction négative, voir agressive, dont ils seraient, selon la loi de karma, eux-mêmes les victimes.
14
leur dit jésus
si vous jeûnez vous engendrerez une faute
et si vous priez vous serez condamnés
et si vous donnez l'aumône vous ferez du mal à vos esprits
et si vous allez vers quelque pays que ce soit
et que vous parcourez des régions
si vous êtes accueillis mangez ce qui vous est présenté
soignez ceux qui sont malades
car ce qui rentrera dans votre bouche ne vous souillera pas
mais ce qui sortira de votre bouche cela vous souillera
Mt 10. 11-14 et 15. 11 - Mc 6.10-11 et 7. 15 - Lc 10. 5-11
Au logion 6 les disciples n'ont pas reçu de réponse concrète à leurs questions. Jésus les esquiva en disant : soyez sincères avec
vous-mêmes dans vos paroles comme dans vos actes. Il est probable qu'ils aient insisté afin d'obtenir plus de clarté. Cette fois plus
question d'esquives ! Les rites propres à la croyance juive ne sont pas compatibles avec sa conscience religieuse. Car quiconque a le
désir de se rendre réceptif à l'inspiration du Père, n'a que faire de gestes rituels trompeurs ! Dans Mt 9. 14, Mc 2. 18 et Lc 5. 33
également Jésus se voit adressé le reproche que ses disciples ne respectent pas le jeun. (voir le logion 104) Plus remarquable
toutefois est la phrase : si vous priez vous serez condamnés...
Une fois de plus nous sommes confrontés au nouveau dans son enseignement. Nous prions Dieu. Mais que signifie Dieu ? Que
représente le Dieu des juifs, le Dieu de notre imagination et quelle est la réalité cachée dans l'image d'un père... ? Voilà des questions
provocantes pour chaque croyant ! Dans cet évangile la notion juive du Divin ne correspond pas à la réalité pour laquelle Jésus à
recourt à l'image de l'union entre le père et de son fils... (voir le logion 15)
Communiquer avec une réalité imaginée appartient au monde de l'imagination et est donc trompeur. La communication qu'un juif
croit avoir avec son Dieu au moyen de la prière n'est qu'imaginaire... La réalité, que Jésus nous présente par l'entremise de l'image d'un
père, est une réalité absolue qui transcende donc les limites de l'état de conscience humain. Toute tentative de communication
endéans cette conscience ne peut être qu'illusoire. (voir le logion 53)
Enfin Jésus nous rappelle notre devoir le plus élémentaire : servir.
Celui ou celle qui demeure dans un juste état d'esprit n'a besoin ni de s'occuper de rites, ni de s'inquiéter d'une alimentation non
appropriée. Il importe certes d'être attentif à une alimentation harmonieuse, afin de maintenir un juste équilibre biologique. Mais
quiconque observe les règles d'une nutrition saine, tout en proclamant de fausses vérités, se souillera davantage que ne
pourrait le faire une nourriture malpropre...
15
a dit jésus
lorsque vous verrez celui qui n'a pas été engendré de la femme
prosternez vous sur votre visage et glorifiez-le
celui-là est votre père
Il va de soi que le verbe voir ne réfère pas à une expérience sensorielle mais symbolise une vision intérieure, une prise de
conscience. Non pas la glorification d'une réalité imaginaire doit être l'objet de notre préoccupation mais bien la juste appréciation
de la réalité que Jésus nous propose par l'entremise de l'image d'un père. Cette réalité transcende le monde relatif, car : qui n'a pas
été engendré de la femme... Elle donc est absolue et ne peut par conséquent être connue par l'homme... La prise de conscience d'un lien
qui nous unit à une réalité absolue ne peut être confondue avec une connaissance de l'Être absolu en soi...
L'expérience de cette union intérieure représente pour Jésus une richesse illimitée. Cette richesse il désire la partager avec ses
frères et sœurs. Mais leur état de conscience ne permet pas une communication directe. Pour témoigner de son expérience il est
obligé de recourir à des images, pour lesquelles leur conscience est réceptive. Il visualise donc son union intérieure dans l'image du
lien intime, qui unit le fils à son père.
Dans la culture juive le statut du père était nettement différent de ce qu'il représente aujourd'hui chez nous. Le père était non
seulement le possesseur du bien familial, il était non seulement le procréateur biologique de ses enfants, il représentait surtout
l'autorité qui dicte la loi, qui inspire et guide ses enfants. Sans son père le fils était désemparé... Cette image fait office de lien
entre une réalité intérieure d'un ordre absolu et la conscience de ceux que Jésus tente d'instruire. Hélas, comme ce fut le cas pour
l'histoire d'Adam et Ève au paradis terrestre, l'image du père ne fut pas perçue dans son sens symbolique mais reconnue comme une
réalité. Lorsque Jésus parlait de son père en termes absolus, il ne pouvait s'agir que de Jaweh, le Dieu des juifs. Ainsi fut-il
compris...
Pourtant, au chapitre 6 de l'évangile de Jean, Jésus précise clairement la distinction :
Vos pères ont mangé la manne dans le désert et ils sont morts... non pas Moïse vous a donné le pain du ciel mais mon Père vous donne le
pain véritable... je suis le pain de la vie... si quelqu'un mange de ce pain il vivra pour toujours...
Dans Ex 16. 15b Moïse dit : «Ceci est le pain que Jaweh vous a donné à manger»... Non pas Moïse mais Jaweh a donné la manne dans le désert...
! La distinction entre Jaweh et le Père est donc évidente. Il ne s'agit ni du même pain ni du même boulanger... Mais cette distinction
est pour le moins dérangeante pour les rédacteurs évangéliques. Pour la dissiper un des rédacteurs de Jean a donc eu une inspiration
canonique en accordant la manne non pas à Jaweh mais à Moïse... L'identification du Père en tant que Jaweh était préservée ! La
différence essentielle entre Jaweh et le Père est que Jaweh est un Dieu totalement séparé des hommes, tandis que l'image du père
symbolise une réalité intérieure à laquelle tous nous sommes unis spirituellement.
La confrontation entre la vision nouvelle et les idées anciennes engendre inévitablement un conflit intérieur. À chacun et chacune de
relever ce défi en toute sincérité avec soi-même. Remarquons quand même qu'à la fin du logion Jésus ne dit pas : celui-là est mon père,
mais bien : celui-là est votre père... Dans son union spirituelle avec le Père il n'est donc pas le fils unique !
Ce qui, pour tout enfant du Père, constitue sa glorification, réside dans une humble reconnaissance de cette grande richesse, dans
laquelle lui-même il participe. La prise de conscience d'une participation dans la royauté du Père implique la reconnaissance à
la fois d'une autorité absolue et d'une responsabilité personnelle au service de cette autorité. En cela réside le sens de l'offrande
véritable : le serviteur élève le fruit de son service vers le Père donateur. Cet état d'esprit se doit d'être permanent et ne nécessite
aucun acte rituel...
16
a dit jésus
sans doute les hommes pensent-ils que je suis venu jeter la paix sur le monde
et ils ne savent pas que je suis venu jeter des divisions sur la terre
le feu l'épée la guerre
car cinq ils seront dans une maison
trois seront contre deux et deux contre trois
le père contre le fils et le fils contre le père
et monachos ils se tiendront debout
Mt 10. 34-36 - Lc 12. 51-53
Ce logion confirme la réflexion faite au logion précédent. L'invitation de Jésus pour accéder à une vision nouvelle mène
inévitablement à un conflit intérieur, qui ne peut trouver une solution que dans une démarche personnelle et sincère.
Le thème du conflit intérieur est présent dans toutes les traditions religieuses. Il fait l'objet du décor de la Bhagavad Gita. Dans sa
connaissance de dharma Arjuna, l'archer aux valeurs morales élevées, ne peut trouver une solution valable à son conflit intérieur.
Krishna, qui personnifie le divin dans l'homme, lui enseigne la voie par laquelle le divin peut se révéler dans chaque être. Dans l'islam
nous connaissons la notion de jihad, qui nous est présenté aujourd'hui comme une lutte contre les «incroyants», mais qui dans
sa conception originelle référerait à un combat intérieur. C'est également le cas pour les gestes rituels des moines bouddhistes, qui
nous sont présentés aujourd'hui comme des moines combattants. Ces rites furent introduits au VI° siècle par Bodhidharma et symbolisent
un combat intérieur, que chaque disciple doit mener avec soi-même.
Les facultés exceptionnelles dont témoignait Jésus furent perçues par ses disciples à la lumière de l'histoire biblique. Pour certains
il était un prophète, pour d'autres peut-être même le Messie. La raison de sa présence aurait été de rétablir l'ordre, de redonner
paix et confiance au peuple juif et de préparer l'avènement du royaume de Dieu. Cette conception de sa personne est un malentendu...
La connaissance nouvelle dont il témoigne est dérangeante ! Quiconque reçoit sa parole se voit confronté non seulement aux
vérités de la croyance existante, mais également à soi-même, à des valeurs personnelles et par là même à des liens relationnels.
Celui ou celle qui renonce à des valeurs trompeuses, qui se libère de ses attaches relatives, dans ce détachement retrouve une liberté
intérieure. Un isolement en est toutefois le prix. La racine du mot monachos est monos, qui signifie seul. Dans cette racine nous
reconnaissons le mot moine. Les notions de détachement, liberté et solitude sont toutes présentes dans le mot monachos. Une traduction
exacte en est donc plus que problématique... Il représente pourtant une notion essentielle dans le cheminement que nous propose Jésus.
Cette notion ne concerne pas un comportement extérieur mais un état d'esprit intérieur. Quiconque désire accéder à l'expérience du lien
qui nous unit à l'Être absolu, la source de vie à l'intérieur de nous-mêmes, se voit confronté à des valeurs relatives dont il doit
se défaire, afin de se libérer intérieurement et de servir comme sert la graine.
17
a dit jésus
je vous donnerai ce que l'œil n'a pas vu
et ce que l'oreille n'a pas entendu
et ce que la main n'a pas touché
et qui n'est pas monté au cœur de l'homme
Mt 13. 14-15 - Lc 10. 23-24
1 Cor 2. 9 : mais, comme il est écrit, nous annonçons ce que l'œil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu, ce qui n'est pas monté
au cœur de l'homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment.
Paul apporte ici la preuve qu'il avait une connaissance des paroles de Jésus. Seule la phrase : ce que la main n'a pas touché - parole
probablement trop sensuelle à son goût - manque dans sa citation. Vu le rôle que Paul a joué avant sa conversion, en tant que pharisien
pur et dur, responsable en plus de la lapidation de Stéphane, il est peu concevable qu'il n'eut pas eu pour le moins partiellement
connaissance du discours trop perturbant et donc inacceptable de Jésus. C'est la raison probable pour laquelle il opta, dans la
prédication de son évangile, d'ignorer celui de Jésus. En outre il a explicitement admis vouloir méconnaître le Jésus «de chair et de
sang» (2 Cor 5.16) et ne reconnaître que «le Christ crucifié et ressuscité». Il fait donc précéder sa citation du logion 17 par les
mots : comme il est écrit... Mais des références aux écrits vétérotestamentaires - comme à Is 64. 3-4 - sont fort peu convaincantes.
Ce qui peut être reçu n'appartient ni au domaine du sensoriel ou de l'émotionnel, ni à celui du savoir mental. Il s'agit d'une
expérience d'un ordre différent à laquelle la conscience de l'homme peut avoir accès. L'enrichissement, qui fait suite à une intégration
du supérieur dans l'inférieur, n'est pourtant pas un évènement spectaculaire, mais une évolution progressive dans la conscience
individuelle. Cette expérience est le fruit que le monachos reçoit tout au long de sa démarche libératrice.
18
on dit les disciples à jésus
dis-nous comment sera notre fin
a dit jésus
avez-vous donc dévoilé le commencement
pour que vous vous préoccupiez de la fin
car là où est le commencement là sera la fin
heureux celui qui se tiendra dans le commencement
il connaîtra la fin et ne goûtera pas la mort
Mt 16. 28 - Mc 9. 1 - Lc 9. 27
La question des disciples reflète une inquiétude certaine, qui est également celle de bon nombre de vivants : que sera-t-il après la
mort ? La réponse de Jésus n'est pourtant pas révélatrice. Non pas une réalité «post mortem» devrait être l'objet de notre
préoccupation, mais bien celle que nous vivons aujourd'hui ! Comment pouvons-nous réaliser ici et maintenant la finalité de notre vie... ?
Pour le semeur la finalité s'appelle moisson. Là où il a semé, où s'est réalisée l'unité de la semence et de la bonne terre, là sera
aussi la moisson... Ce lieu a une valeur absolue et est dintemporel. Début et fin sont un, comme sont un le semeur et le
moissonneur... (Jn 4. 35-36) La voie de l'homme est celle de la graine. Dans l'unité avec la bonne terre, là où fut son
commencement, la graine doit cesser d'être graine, doit «lâcher son petit moi», pour devenir semence : servante anonyme...
Celle ou celui qui a reconnu ce substrat absolu de sa vie, la source intemporelle à l'intérieur de chaque être, a également reconnu sa
véritable finalité. Ainsi peut se réaliser le retour du fils prodigue dans la maison paternelle, sa réintégration dans l'autorité
du père. Dans cette prise de conscience tout souci concernant un avenir éternel est dérisoire...
19
a dit jésus
heureux celui qui était déjà avant qu'il ne fût
si vous êtes mes disciples et entendez mes paroles
ces pierres vous serviront
pour vous il y a en effet cinq arbres dans le paradis
qui ne bougent ni l'été ni l'hiver
et leurs feuilles ne tombent pas
celui qui les connaîtra ne goûtera pas la mort
Ce logion confirme d'une façon insolite la réalité absolue à la base de tout être relatif. Comme ce fut le cas du lion au logion 7, nous
sommes une nouvelle fois confrontés à une image déroutante. S'agit-il bien d'une parole de Jésus où serait-ce une image
fantaisiste provenant du milieu gnostique, responsable de la transmission de cet évangile...? Quoi qu'il en soit nous pouvons
toujours tenter de dévoiler le contenu de cette parole particulière.
Dans ce monde relatif tout est continuellement tributaire de la « loi des changements ». Aujourd'hui rien n'est plus tout à fait
pareil à hier. De la loi absolue, qui guide l'évolution naturelle, qui conditionne l'harmonie dans la nature, qui fut un jour
symbolisée dans l'arbre de la connaissance du bien et du mal, de cette loi aucun Adam ne peut s'octroyer l'autorité. Comme pour la
graine, la finalité de l'homme est tout simplement de servir...
L'image de la graine nous ramène au commencement. L'entité biologique, appelé homme, fait partie d'un concept de vie absolu et
donc intemporel, dont il n'est qu'une expression temporelle. Temporellement nous disposons d'un corps, d'une individualité
propre, d'une conscience de notre moi. Cette conscience nous permet d'évaluer notre moi à sa juste valeur, d'en reconnaître la source
absolue et de vivre en conséquence le lien qui nous unit à cette source.
L'unité, dans laquelle nous sommes unis à la Vie, transcende tout phénomène relatif par lequel Elle s'exprime...À chaque arbre chaque
feuille accomplit sa tache au service de la vie. La mort de la feuille n'entame nullement la vie de l'arbre, mais en sert
l'évolution... Une goutte de pluie naquit un jour de l'océan. Elle accomplît sa tâche dans l'harmonie naturelle et retourna enfin vers
l'océan... Elle fut océan, devint goutte et redevint océan...
L'homme est pourtant tellement plus qu'une feuille, qu'une goutte de pluie... Ses capacités sont tellement plus riches, sa tâche tellement
plus élevée. Tout est mis à sa disposition pour vivre la vie en sa plénitude : la motte de terre, une pierre aussi. La motte de terre
ne peut devenir fertile que si la goutte de pluie participe à l'harmonie. Qu'eût été aujourd'hui la vie sur terre, si chaque homme
eût demeuré dans cette loi et eût apprécié sa finalité à sa juste valeur...? Une réalité paradisiaque sans doute... L'expérience de nos
cinq sens, qui nous relient au monde phénoménal - serait-ce là le symbolisme des cinq arbres ? - est tributaire de l'état de la
conscience individuelle. De cette conscience la source est élevée au-dessus de tout phénomène de changement ou de précarité...
Dans la deuxième ligne de ce logion certains pourraient discerner une allusion au phénomène de réincarnation. L'idée d'avoir demeuré
jadis dans un autre corps sur cette terre, une idée qui en soi n'est pas à rejeter d'office, peut-elle toutefois être de quelque
opportunité sur la voie de la connaissance de soi... ?
20
ont dit les disciples à jésus
dis-nous à quoi est comparable le royaume des cieux
il leur dit
il est comparable à une graine de moutarde
la plus petite de toutes les semences
mais quand elle tombe sur la terre travaillée elle produit une grande tige
et elle est un abri pour les oiseaux du ciel
Mt 13. 31-32 - Mc 4. 30-32 - Lc 13. 18-19
L'expression le royaume des cieux semble être une expression
traditionnelle juive, présente également dans les évangiles canoniques. Le discours de Jésus est comme une symphonie, dans
laquelle différents thèmes se rappellent régulièrement à notre attention. L'attente de la venue du royaume fait partie intégrante
de la croyance juive. Mais les disciples se trouvent confrontés à une conception différente de cette réalité... Pour eux, comme pour
nous, l'acceptation de cette conception nouvelle n'est pas évidente ! Un détail non négligeable pourtant : la graine doit tomber sur la terre travaillée...
La conscience de l'homme est comme un terroir dont le potentiel est à peine commensurable. L'état dans lequel elle se présentait alors -
et aujourd'hui toujours - ne correspond hélas plus à sa pureté originelle. Un savoir prétentieux et des visions hallucinatoires
l'ont profondément perturbée. Ce qui fut harmonieux et du le rester, est devenu disharmonieux. De cette pollution l'homme seul est
responsable ! Il s'en suit que lui seul - ce qui veut dire chacun pour soi - peut y remédier. À lui revient maintenant la tâche de
manier la charrue...
La dernière ligne de ce logion illustre de façon imagée notre responsabilité dans cette vie : comme tout ce qui croît et fleurit
dans la nature, ainsi nous-mêmes nous avons à servir Sa loi d'harmonie. L'unité de l'inférieur et du supérieur ne peut
s'exprimer que par une intégration de valeurs supérieures dans la réalité inférieure.
21
a dit mariam à jésus
à qui ressemblent tes disciples
il a dit
ils ressemblent à de jeunes enfants qui se sont installés dans un champ
qui ne leur appartient pas
quand les maîtres du champ viendront ils diront
laissez-nous notre champ
eux ils se déshabillent devant eux et leur rendent leur champ
je dis donc ceci
si le maître de maison sait que le voleur arrive
il veillera avant qu'il ne vienne
et il ne permettra pas qu'il pénètre dans la maison de son royaume
et qu'il y prenne ses affaires
mais vous veillez face au monde
ceinturez vos reins d'une grande force
afin que les pillards ne découvrent le chemin vers vous
car l'acquit que vous attendez ils le découvrirons
que dans votre centre soit un homme averti
lorsque le fruit est mûr il est venu
rapidement sa faucille à la main il l'a cueilli
celui qui a des oreilles pour entendre qu'il entende
Mt 11. 16 et 24. 43-44 - Lc 7. 31-32 et 12. 39-40 - Mc 4. 29
Ce logion est composé de deux parties distinctes. Jésus commence par répondre à Mariam, ensuite il s'adresse à plusieurs personnes - mais
vous, veillez...- probablement ses disciples. Mariam nous est mieux connu sous le nom de Marie Madeleine. Aussi bien de l'évangile de
Philippe que de celui de Marie Madeleine elle-même - deux évangiles faisant également partie de la découverte de Nag Hammadi - nous
pouvons déduire qu'un lien particulier unissait Mariam à Jésus. Philippe la présente même comme sa compagne de vie. Sa question
indique bien qu'elle ne se considère pas comme une disciple.
Pour les disciples la réponse de Jésus n'est pas bien flatteuse... Ils utilisent le champ - leur entité biologique - pour en jouir comme
des gamins, inconscients du fait que ce champ ne leur appartient pas. Quand les propriétaires viennent réclamer leur bien, ils
doivent non seulement le leur laisser mais, en plus, se défaire de ce dont ils se sont parés. Il est clair que pour Jésus les disciples
ne se sont toujours pas rendus compte de leur tâche véritable. Leur démarche intérieure n'a toujours pas commencé...
Notre entité biologique, ce corps physique et psychique qui est le nôtre, nous est offert non pas comme un présent mais comme un prêt.
Un présent nous appartient, un prêt doit être rendu... Tout nous sera repris : la vie biologique comme tout ce dont nous nous sommes parés
dans cette vie. Quel est le sens véritable de ce prêt, quelle en est la finalité...?
La seconde partie du logion met en scène le propriétaire d'une maison, qui a un souci évident de préserver son bien contre toute
effraction. Aux disciples, qui n'ont pas à se soucier de biens matériels et qui n'ont donc pas de maison à protéger, Jésus dit :
veillez face au monde. Car ce monde est le territoire du lion, où
toujours subsiste la tentation de se laisser entraîner dans une
confrontation avec les autres. Ceux qui désirent assumer une
participation au royaume doivent maintenir une prudence alerte face
aux valeurs éphémères du monde inférieur.
La démarche, qui mène à l'expérience du lien qui nous unit à l'Être
absolu, est un processus évolutif dans la conscience individuelle.
La route est longue et son cheminement ne peut se réaliser que pas à
pas. (voir le logion 97) Chaque conception nouvelle franchit une
limite et permet le développement d'une vision nouvelle. Elle est
comme un fruit à cueillir. Tel que le pêcheur avisé nous devons
maintenir une intelligence alerte, afin de distinguer les fruits qui
ont une valeur absolue de ceux qui ne représentent qu'une valeur
éphémère. Les pillards symbolisent en somme nos propres désirs
égocentriques, qui sont toujours sous l'emprise du pouvoir du lion.
22
jésus vit des petits qui tétaient
il dit à ses disciples
ces petits qui tètent sont semblables à ceux qui entrent dans le
royaume
ils lui dirent
alors étant petits entrerons-nous dans le royaume
jésus leur dit
quand vous aurez fait le deux un
et que vous aurez fait l'intérieur comme l'extérieur
et l'extérieur comme l'intérieur
et le supérieur comme l'inférieur
en sorte que vous fassiez le mâle et la femelle en un seul
pour que le mâle ne se fasse mâle ni la femelle se fasse femelle
quand vous aurez fait un œil à la place des yeux (*)
et une main à la place de mains (*)
et un pied à la place de pieds (*)
et une image à la place d'images (*)
alors vous entrerez dans le royaume
Mt 19. 13-14 - Mc 13. 15 - Lc 18. 15-17
2 Clém. 12. 2-6 : En effet, le Seigneur lui-même interrogé pour
savoir quand viendrait le royaume dit : lorsque les deux seront un
et l'extérieur comme l'intérieur, et le mâle avec la femelle, ni
mâle ni femelle... lorsque vous ferez cela, dit-il, viendra le royaume
de mon Père.
Afin de ne pas rompre une harmonie évidente, les lignes indiquées
par (*) ont été transcrites dans l'esprit du logion. En fait il est
écrit :
quand vous aurez fait des yeux à la place d'un œil
et une main à la place d'une main
et un pied à la place d'un pied
et une image à la place d'une image...
Veuillez excuser cette incartade directe dans le texte...
Chez les disciples la confusion est totale : comment pourraient-ils
redevenir petits ? Le symbolisme dans l'image des enfants qui tètent
leur échappe... Ils conçoivent l'image comme une réalité et celle-ci
est totalement étrangère à leur attente juive. L'image de l'unité,
dans laquelle sont unis l'enfant de sept jours et sa source de vie,
représente une réalité qu'ils ne peuvent encore concevoir. Le
nécessaire retour à la pureté originelle, celle qui était au
commencement, est une conception pour laquelle leur conscience n'est
toujours pas réceptive. Le sera-t-elle un jour...?
La vision nouvelle du royaume, en tant qu'une vie consciemment vécue
dans son unité originelle, est au cœur même du discours de Jésus.
Dans l'image de l'unité de la semence et la bonne terre cette
réalité trouve un symbolisme parfait. Il est toutefois nécessaire de
frapper plus d'un coup sur un même clou avant que celui-ci soit fixé
!
La correction textuelle, que nous nous sommes permis d'apporter,
nous semble justifiée. Jésus s'efforce en effet, presque
désespérément, de préciser la notion d'unité : l'intérieur et
l'extérieur, l'inférieur et le supérieur, le masculin et le féminin...
En plus, nous lisons dans Mt 6. 22 et Lc 11. 34-36 cette parole de
Jésus : si donc ton œil est simple (unique), ton corps sera
illuminé. La traduction du grec haplous par lucide ou clair est
erronée ! Ainsi nous constatons que certains traducteurs
évangéliques modernes et le transcripteur copte sont unis dans une
même incompréhension...
Porter son regard vers la lumière intérieure ne nécessite pas deux
yeux...Vers l'extérieur nous voyons avec deux yeux et discernons une
impressionnante variation de couleurs. Qui discerne des couleurs,
sans connaître la lumière, ne voit que des couleurs. Qui connaît la
lumière, connaît toutes les couleurs...! Les images qu'observent nos
yeux lors d'une projection cinématographique ne représentent qu'une
réalité virtuelle. Dans l'obscurité d'une salle de projection elles
nous paraissent pourtant réelles...
La réalité telle qu'elle se manifeste dans ce monde - l'extérieur
qui est aussi l'inférieur - s'exprime par une harmonie d'énergie et
de matière. Pour l'homme l'expérience en est dualiste. Tout y est
polaire, chaque qualité y trouve son contraire ou son complément :
chaud et froid, lumière et obscurité, joie et peine, masculin et
féminin, yin et yang. La valeur unique, sous-jacente à cette
réalité, est d'un ordre absolu et s'appelle harmonie. C'est elle qui
dirige le tout, du nucléaire au cosmique. De cette valeur absolue la
loi de karma, qui en fustige toute perturbation, est le gardien.
Celui ou celle, qui élève sa conscience au niveau de l'unité dans
l'ordre originel, transcende le phénomène de dualisme.
L'image de l'unité du mâle et de la femelle, du masculin et du
féminin, a donné lieu à quelques élucubrations sexuelles, nous
rappelant un état hermaphrodite ou androgyne soi-disant originel...
Elles furent conçues afin de troubler la sérénité de cet évangile.
Une interprétation peut pourtant s'avérer tellement plus simple !
L'image de l'unité de la graine et la bonne terre est accessible à
chaque homme, ayant une connaissance de la vie champêtre. L'image de
l'unité du masculin et du féminin peut aujourd'hui se traduire dans
l'image plus subtile de l'unité du spermatozoïde mâle et de l'ovule
féminin à l'origine de toute vie humaine. Ni la semence mâle, ni
l'ovule femelle n'est à l'origine de la vie. C'est leur unité qui
spontanément engendre la vie...
L'interprétation de l'image, la juste compréhension de la notion
d'unité à la base de toute manifestation de la vie, n'est pourtant
que le point de départ d'un cheminement, qui peut mener à une
expérience réelle. L'expérience d'un l'état de conscience d'unité ne
pourrait en effet se limiter à un processus cérébrale, dans lequel
le dualisme ne serait transcendé que mentalement...
23
a dit jésus
je vous choisirai un entre mille
et deux entre dix mille
et unifiés ils se tiendront debout
Mt 22. 14
Dans ce logion la logique mathématique n'est pas à l'honneur ! Mais
l'analyse mentale, tout en étant un moyen précieux, connaît elle
aussi ses limites... Car la réalité pour laquelle Jésus tente
d'éveiller notre conscience transcende le domaine aussi bien de la
réflexion mentale que celui du vécu émotionnel. L'expérience est
nouvelle, les lois qui la régissent également ! Au-delà du savoir
mental seule une sincérité critique personnelle prévaudra comme
guide véritable. Le nouveau ne serait pas nouveau si l'expérience
n'en était pas différente, voir déroutante...
Le choix, dont il est question, ne se fait pas suite à quelque
privilège fortuit, mais il est la conséquence d'une reconnaissance.
(voir le logion 3) Dans un logion précédant Jésus reconnut en Thomas
le disciple, dont la conscience s'était unifiée à la sienne. Raison
pour laquelle il le choisit. Se considérer comme élu n'est qu'un vœu
quelque peu vaniteux, appelé aussi «whisful thinking»... Ce fut
'illusion d'un peuple entier, le rêve également d'un certain Paul
et, dans son sillage, de l'Église qui s'appela catholique. Toujours
elle se considère en effet comme l'épouse élue par l'époux appelé
Christ. Ni Paul, ni l'Église ne pourraient être suspectés d'une
modestie excessive...
24
ont dit ses disciples
enseigne nous le lieu où tu es
car il est nécessaire que nous le cherchions
leur dit jésus
celui qui a des oreilles qu'il entende
il y a de la lumière à l'intérieur d'un être lumineux
et il illumine le monde entier
s'il n'illumine pas il est une ténèbre
Jn 1. 38-39
Les disciples ne connaissaient-t-ils donc pas le lieu où demeurait
Jésus ... ? Il nous arrive des fois de souhaiter connaître la
circonstance dans laquelle une parole fut dite. Probablement nous
nous trouvons ici dans la situation du chapitre 14 de l'évangile de
Jean. Jésus y réfère à son lien avec le Père, à la maison du Père où
nombreux sont ceux qui peuvent trouver refuge. Thomas y témoigne du
souci de connaître la voie vers le Père, tandis que Philippe formule
cette demande : «montre nous le Père»... Tous deux ont le même désir :
celui de partager l'expérience de Jésus.
La venue du royaume n'est pas un évènement sensoriellement
perceptible. Le lieu où est Jésus n'est pas non plus un endroit
délimité dans l'espace mais une réalité intérieure et donc
spirituelle. Ceci fait partie de la vision nouvelle du royaume... En
conscience Jésus est un avec l'Être, qui est source absolue.
Quiconque est un avec lui demeure dans cette source. Qui demeure
dans la source ne peut garder l'eau pour soi, ne peut en cacher la
lumière... La finalité d'une connaissance est de servir, celle de
l'amour est de se donner... La tache du disciple véritable, qui est
devenu lumineux, est de rayonner la lumière. Qui n'est pas réceptif
à la lumière, demeure dans les ténèbres et ne peut donc rayonner...
25
a dit jésus
aime ton frère comme ton moi intérieur (psychè)
veille sur lui comme sur la prunelle de tes yeux
Mt 22. 37-38 - Mc 12. 29-31 - Lc 10. 27
Dans cette vie nous sommes toutes et tous enfants du même Père. Bien
sûr sommes-nous génétiquement différents, avons-nous subi des
influences diverses par notre éducation, nos attaches culturelles,
par les convictions éthiques ou religieuses de nos aînés. Surmonter
ces différences relatives et focaliser notre esprit sur cette
réalité unique, dans laquelle nous sommes unis dans une même loi
absolue, voilà le défi qui nous concerne tous. À l'exemple de toutes
les cellules de notre corps, notre tâche consiste à vivre en
harmonie. Ceci implique également que nous sommes tous et toutes
responsables les uns des autres.
«A ceci tous reconnaîtrons que vous êtes mes disciples, si vous vous
aimez les uns les autres.» (Jn 13. 35) Comme, dans leur naïveté, les
disciples pensaient devoir redevenir petits pour avoir accès au
royaume, nombreux sont ceux qui pensent qu'il suffit de respecter le
commandement de l'amour du prochain, pour se garantir d'une vie
éternellement bienheureuse... Il va de soi que le souci du prochain
est une tâche essentielle dans l'expression de l'harmonie. L'amour
du prochain ne pourrait pourtant être considéré comme le moyen
suprême par lequel un but imaginaire - le royaume dans l'au delà -
peut se réaliser.
L'amour est le fruit de notre union avec une source, qui à chaque
instant nous délègue la possibilité d'aimer. Il ne convient pas
d'accorder à nous-mêmes le mérite de la bonté, car tout ce que nous
pouvons donner en amour nous le recevons ! Notre tâche principale
consistera donc à fixer solidement nos racines dans cette source.
(«les hommes manquent de racines, ça les gène beaucoup... » Le Petit
Prince XVIII) Dans une prise de conscience de notre intégration dans
une loi absolue d'harmonie, de notre participation ici et maintenant
dans la royauté du Père, réside notre responsabilité au service de
notre prochain.
L'amour du prochain est sans aucun doute l'enseignement pratique
principal, qui fut retenu des évangiles. Cet évangile laboure
pourtant bien davantage le champ de notre conscience ! La valeur
absolue à la base de toute expression de la vie s'appelle harmonie.
Une harmonie dans les pensées s'exprime en intelligence, une
harmonie dans les sentiments en amour... L'harmonie des deux est
nécessaire pour qu'une action soit juste. Utiliser un savoir dans un
état d'esprit égoïste est aussi peu justifiable que de vouloir
exprimer la bonté sans posséder une connaissance nécessaire... Chaque
conscience individuelle peut recevoir une inspiration, lui
permettant de manifester harmonieusement amour et intelligence.
Chaque «moi» jaillit de manière égale d'une source absolue et a donc
une valeur égale. Toute valeur accordée à sa propre personne est
tributaire du psychisme individuel. Relativiser l'importance du moi
dans une fraternité universelle permet de reconnaître dans chaque
être, homme ou femme, blanche ou de couleur, arabe, juive ou
chrétienne, cette qualité essentielle : d'être tous et toutes égaux
dans notre unité avec l'Être absolu...
26
a dit jésus
la paille dans l'œil de ton frère tu la vois
mais la poutre dans ton œil tu ne la vois pas
lorsque tu auras ôté la poutre de ton œil
alors tu verras
et tu pourras ôter la paille de l'œil de ton frère
Mt 7. 3-5 - Lc 6. 41-42
Parce que vivre en harmonie est la finalité de cette vie, chaque
être aspire au bonheur, le fruit naturel de l'harmonie. Mais les
lois de l'inférieur, les règles que l'homme a conçues pour lui-même,
le pousse à réaliser ses propres ambitions et à s'affirmer lui-même
dans une confrontation avec les autres.
Depuis que l'homme fit de l'un le deux, et aussi longtemps qu'il
persiste dans cette séparation, l'inférieur restera isolé de la
lumière du supérieur. La loi qui prévaut dans le monde inférieur est
celle du lion. Cette loi nous incite à détecter les faiblesses chez
l'autre, afin d'en tirer profit. De ce fait les défauts des autres
sont davantage l'objet de notre sens critique que nos propres
manquements. Un changement de mentalité s'impose donc...
Le point de départ de ce changement est une introspection
personnelle et sincère. De quelles valeurs me suis-je donc paré ?
Par quel subterfuge me suis-je accordé savoir, pouvoir et droits ?
De quelle confusion suis-je devenu la victime ? La sincérité est le
moyen le plus efficace pour reconnaître l'orgueil qui ne cesse de
nous harceler, pour déceler dans notre œil la poutre qui nous
empêche de voir.
Dans la loi d'harmonie point il n'y a de lieu pour jugement ou
discrimination, car tous nous sommes à valeur égale issus de l'Être
absolu. Quoi que soit le délit commis par un ou une autre, jamais
nous ne pouvons juger à sa juste valeur des circonstances
personnelles qui l'ont poussé à la faute. Jamais la reconnaissance
d'une erreur chez son prochain ne nous autorise à porter un jugement
sur la personne elle-même...
«Aimer son ennemi» est une parole qui dans les évangiles fut
malencontreusement attribuée à Jésus. En effet, le préalable à toute
considération de quelqu'un comme son ennemi, est un jugement porté
sur la personne elle-même. Ici se distingue la conception bouddhiste
de la commisération : confrontés à une incompréhension envers
l'autre, il convient d'être toujours conscient des restrictions de
notre propre compréhension... À un aveugle nous ne pouvons faire le
reproche de nous heurter... à moins que nous soyons aveugles
nous-mêmes...
27
si vous ne jeûnez pas au monde
vous ne découvrirez pas le royaume
si vous ne faites pas du sabbat le sabbat
vous ne verrez pas le père
Une fois de plus des rites juifs sont mis en cause par Jésus. Son
attitude de rejet face à ces rituels ne nous est plus étrangère.
Qu'ont-ils donc de si dérangeants ? Aussi bien le jeun que le sabbat
réfèrent à une abstinence, mais leur vécu ne correspond plus à leur
conception originelle. Le jeun ne peut se limiter à une abstinence
temporaire d'une alimentation traditionnelle. Le sabbat ne concerne
pas un rite hebdomadaire où l'on s'abstient d'une activité
journalière habituelle pour se consacrer à Dieu.
Au logion 21 Jésus disait : mais vous veillez face au monde. Ici il
s'engage davantage : jeûnez au monde... Ce jeun ne concerne pas un
rituel temporaire mais un état d'esprit permanent ! Si nous voulons
éviter toute confrontation avec le lion du logion 7, il importe de
renoncer aux valeurs que le lion impose. Jeûner au monde ne signifie
pas renoncer au monde, mais refuser toute implication dans les
valeurs trompeuses que nous propose le monde inférieur. Avoir une
attention pour une alimentation saine, afin de maintenir un
équilibre biologique harmonieux, est certes louable. S'astreindre
durant une période limitée à de strictes règles de vie et
d'alimentation, pour satisfaire à un imaginaire commandement divin,
n'est pas une attitude justifiable ! Une nutrition harmonieuse ne
nécessite aucun jeun particulier...
Un raisonnement analogue peut s'appliquer au sabbat. Le sabbat
véritable ne nécessite aucune directive humaine... Une attention
portée vers le supérieur ne pourrait se limiter à un rite
hebdomadaire, mais devrait être un état d'esprit permanent dans
notre conscience. Une participation à un rituel, qui tend à
maintenir un juste état d'esprit intérieur, n'est certes pas à
rejeter. Jamais pourtant un rite ne peut constituer un acte
contraignant, dans le but d'obtenir pour soi une récompense
éternelle... Une attention particulière portée à Dieu un jour sur
sept, fut-ce le temps d'un rituel, ne pourrait compenser un
attachement «au monde» durant les six jours restants ! La conscience
d'un lien nous unissant à l'Être absolu se doit d'être un état
permanent... Cet état implique tout naturellement un renoncement aux
éphémères valeurs inférieures. Sabbat et jeun sont donc
indissociables.
Voir le père ne pourrait évidemment être considéré comme une
expérience sensorielle, mais comme une prise de conscience de cette
réalité, que Jésus nous présente par l'entremise de l'image d'un
père. Dans cet évangile les verbes «voir» et «entendre» sont
quasiment toujours à prendre dans leur sens figuré.
28
a dit jésus
au milieu du monde je me suis tenu
en chair je leur suis apparu
tous je les ai trouvés ivres
personne parmi eux qui soit assoiffé
et mon moi intérieur (psychè) a souffert pour les enfants des hommes
car aveugles ils sont dans leur cœur
et ils ne voient pas que vides ils sont venus au monde
et qu'ils chercheraient à quitter le monde étant vides
si ce n'est que maintenant ils sont ivres
quand ils auront rejeté leur vin alors ils changeront de mentalité
Le constat que fait ici Jésus est accablant... Quel est le sens d'une
source s'il n'y a personne d'assoiffé... L'homme n'a plus conscience
ni de son origine, ni de sa finalité. Dans une complaisance
égocentrique il s'est enivré...
Le corps physique, qui nous est confié et qui recèle tant de
possibilités, est une entité précieuse mais servante. Pourtant, non
sans une arrogance certaine, nous nous imaginons en être le
propriétaire. Comme les gamins prirent possession de leur champ,
nous aussi nous sommes devenus les orgueilleux possesseurs de notre
corps. Nous vivons donc dans l'illusion d'être le seul maître de nos
talents, de ce que nous possédons et croyons savoir. Nous nous
sommes enivrés ! De la source de toutes nos possibilités nous nous
sommes séparés. De cette ivresse l'enfant de sept jours, qui lui
demeure toujours vide et donc pur dans l'unité avec sa source de
vie, sera bientôt la victime... Car cela découle du pouvoir du lion,
qui dicte sa loi dans le monde inférieur.
Comme la bonne terre représente pour la graine et son commencement
et sa finalité, ainsi pour l'homme les deux ne font qu'un. Dans le
rétablissement de l'unité dans sa source réside pour lui la
réalisation de sa finalité : être source lui-même. Mais une coupe ne
peut servir que si elle est vide... Alors seulement elle peut recevoir
l'eau de la source et servir comme sert la source elle-même. Celui
ou celle qui est parvenu à une juste connaissance de soi, qui a
reconnu son ivresse, peut rejeter le vin et devenir à nouveau vide.
La voie de la rédemption véritable passe par une purification
intérieure. Ce cheminement là personne ne peut l'accomplir pour
nous, ni Krishna, ni Bouddha, ni même Jésus... (voir le logion 38)
29
a dit jésus
si la chair a été à cause de l'Esprit c'est une merveille
si par contre l'Esprit a été à cause du corps
c'est la merveille des merveilles
mais moi je m'émerveille de ceci
comment cette grande richesse a demeuré dans cette pauvreté
44
a dit jésus
celui qui blasphème le père à lui sera pardonné
et celui qui blasphème le fils à lui sera pardonné
celui qui par contre qui blasphème l'Esprit pur
à lui ne sera pardonné ni sur terre ni dans le ciel
Mt 12. 31-32 - Mc 3. 28-30 - Lc 12. 10
Pour la première fois nous nous sommes permis d'associer deux
paroles de Jésus. La raison en est que dans chacune d'elles nous est
présentée une réalité nouvelle, ô combien importante : pneuma ou
l'Esprit. Exceptionnellement nous avons utilisé une majuscule, afin
de distinguer l'Esprit pur de l'esprit humain : ce guide intérieur
que nous considérons comme faisant partie intégrante de notre moi
intérieur. Dans le logion 44 l'importance accordée à l'Esprit est
évidente : un blasphème de l'Esprit jamais ne sera pardonné...
Dans le logion 29 nous est présenté la relation entre la chair
(sarks) en ligne 2 et le corps (soma) en ligne 3 d'une part, et
l'Esprit de l'autre. Cette relation est également présente dans le
prologue de l'évangile de Jean : « et la parole (l'esprit) est
devenue chair... ».
Dans la tradition chrétienne le divin nous est présenté sous la
forme d'une trinité : Dieu le Père, le Christ comme son Fils unique
et l'Esprit Saint, l'inspirateur divin de l'homme. Ils sont
distingués tout en étant un seul. Ceci est appelé un mystère. Le mot
mystère nous paraît comme un déguisement de l'orgueil humain, qui
s'est octroyé la connaissance d'une «structure divine»... Dans cette
structure Jésus est élevé au statut divin, malgré le fait que jamais
il ne s'est explicitement présenté lui-même comme fils de Dieu. Ceux
qui croyait reconnaître en lui un « fils de Dieu » - quelque soit la
signification que cet épithète eût alors pu avoir - furent par
contre clairement réprimandés par lui. (Lc 4. 41 - Mc 3. 12) Et
pourtant, ce fut cette filiation divine qui fut fatale à l'homme,
qui avait pris conscience d'un lien intérieur l'unissant à l'Être
absolu... Car l'humain et le Divin devaient obligatoirement restés
séparés...
La conception nouvelle de la trinité implique que le lien intérieur,
dont témoigne Jésus, est le propre de chaque homme. Chaque être
humain est, dans une union spirituelle, enfant du Père. C'est la
prise de conscience de cette unité qui fait toute la différence
entre vie et mort. Mais comment l'homme peut-t-il avoir conscience
d'un lien avec «cela», dont il ne peut s'acquérir une connaissance...
?
Dans l'histoire de la genèse du monde, telle qu'elle nous est
présentée dans le prologue de l'évangile de Jean, le «verbe» joue un
rôle essentiel. Avant le commencement il était en Dieu. Dans le
verbe est la vie. Il est la lumière par qui fut la vie et qui
demeure toujours dans la création. Mais le monde ne l'a pas reconnu.
À tous ceux qui l'on reçu il a donné pouvoir de devenir enfants de
Dieu...
Avant le commencement était absence de tout phénomène relatif, ni
temps ni espace, que le vide : l'Être non manifesté, immuable et
absolu... Dans ce vide réside toutefois le potentiel total de la
création. Verbe est parole : vibration initiale. Vibration
sous-entend : temps, espace et énergie. Le verbe symbolise donc
l'expression de l'Être absolu, la manifestation du non manifesté,
par qui la création toute entière et donc l'homme fut. En Orient
cette impulsion initiale et toujours présente est symbolisée dans le
mantra universel Aum. Le verbe n'était pas seulement au début : il
est toujours présent, à chaque instant. Mais l'homme ne l'a pas
reconnu... Pourtant l'homme peut le reconnaître, car à tout instant il
peut recevoir cette vibration, qui est lumière intérieure. Dans
cette expérience réside la prise de conscience de son état d'enfant
du Père.
Le verbe symbolise l'Esprit. Par l'Esprit fut la création et donc
l'homme. Il demeure toujours dans la création et donc dans l'homme,
par qui il peut être reconnu. L'Être absolu, dans son aspect non
manifesté, ne peut être connu par l'homme. Aucune parole, aucune
image ne pourrait Le lui révéler. Toute représentation n'est que
réalité virtuelle... L'Esprit est l'expression même de l'Être. De
cette expression l'homme peut en faire l'expérience. Car l'Esprit
est le lien spirituel unissant l'homme à l'Être absolu, qui
s'exprime par une inspiration. La tâche du fils de l'homme consiste
dès lors à transformer ce qu'il reçoit par l'Esprit, selon Sa loi
d'harmonie.
La trinité n'est pas une spécification imaginaire, conçue par
l'homme, pour exprimer sa connaissance de l'Être inconnaissable,
mais une réalité essentielle et continuellement présente à
l'intérieur de chaque être. Par l'Esprit l'homme peut redevenir
conscient du lien qui l'unit à sa source de vie. Dans l'image d'une
source l'unité du Père et de l'Esprit peut trouver un symbolisme
révélateur. Une source est un vide duquel jaillit de l'eau. La
source n'est ni le vide, ni l'eau, mais l'unité des deux : sans vide
point d'eau, sans eau point de source... Le vide ne peut faire partie
de l'expérience de l'homme, car vide est absence... De l'eau par
contre il peut en faire l'expérience ! Mais quel est le sens de la
source s'il n'y a personne d'assoiffé..., personne en qui ou par qui
l'eau peut se transformer en vie... ? (voir le logion précédent) Voilà
la tâche de l'homme, qui est aussi sa finalité : servir dans l'unité
avec sa source. Cette vision de la trinité appartient au nouveau...
L'interprétation du logion 29 n'est certes pas simple. À la lumière
de la nouvelle conception de la trinité nous pouvons tenter
d'élucider quelque peu cette parole :
Si l'Esprit est à l'origine de l'homme de chair et de sang, c'est
une merveille : la merveille de la genèse de la vie biologique. Si
toutefois le corps, qui demeure dans les ténèbres de l'ignorance,
porte en soi la possibilité de prendre conscience de l'Esprit et
donc de retrouver la vie, voilà une merveille bien plus merveilleuse
encore...
C'est le miracle de la vie biologique que l'Esprit est devenu chair.
Le plus grand des miracles est toutefois que le corps, la base
physiologique de la conscience, peut reconnaître l'Esprit et ainsi
accéder à la vie. Voilà la naissance nouvelle ! La distinction faite
ici entre sarks et soma est toute subtile... Sarks réfère au corps
animé, à l'unité de soma et psychè. La condition pour que l'homme
prenne à nouveau conscience de son unité originelle est toutefois
que le corps, animé par le psychisme, devienne vide. (voir le logion
précédant) Ceci implique que le psychisme doit retrouver son état
originel de repos, de silence intérieur. Ce qui subsiste alors est
l'état «non animé» du sarks : soma, le corps. Le personnel a déserté
l'office, la porte s'est fermée, à l'intérieur ne subsiste que
silence, paix, repos... Le repos est le moyen par excellence par
lequel le psychisme peut se purifier. (voir le logion 53) Grâce à
cette purification le pneuma pourra à nouveau manifester dans
l'homme Sa loi d'harmonie.
L'Esprit est le plus grand des trésors qui soit à notre disposition,
car porteur du potentiel total de la vie. Il est l'eau, par laquelle
la source est reconnaissable. C'est Lui qui maintient l'harmonie
dans la nature toute entière, qui vivifie les qualités du corps et
du psychisme, qui est aussi la lumière intérieure, source de
connaissance. Pourtant Il est toujours méconnu par l'homme... C'est la
raison pour laquelle l'homme demeure dans les ténèbres de son
ignorance.
celui qui blasphème le père, tire une flèche dans le vide...
celui qui blasphème le fils, se blasphème lui-même, ce qui est
absurde...
mais celui qui, par ignorance, blasphème l'Esprit, méconnaît ce qui
porte la vie en Soi...
Nous sommes bien éloignés du dualisme séparant le corps et l'Esprit,
un dualisme qui caractérise la vision gnostique traditionnelle. Bien
éloignés également de la vision dualiste de Paul, qui prétendait :
La chair et le sang ne peuvent avoir part dans de royaume de Dieu et
le temporel ne peut avoir part dans l'intemporel... (1 Cor 15. 50)
30
a dit jésus
là où il y a trois dieux ce sont des dieux
là où il y en a deux ou un je suis avec lui
Lorsque les juifs entendaient Jésus parler en termes absolus de son
père, ils comprenaient qu'il ne pouvait s'agir que de Jaweh. Mais se
présenter comme fils de Jaweh était un blasphème, car aucun homme ne
pouvait se réclamer d'une descendance divine. Un malentendu qui
engendra des conséquences dramatiques... À ce sujet ils
l'interrogèrent donc.
Une fois de plus sa réponse est perturbante. Que trois dieux sont
des dieux est une évidence. Mais parler de deux ou un, auxquels il
serait uni, est plus qu'énigmatique... Comment l'absolu, symbolisé
dans le mot Dieu, pourrait-il se diviser de telle sorte qu'il y en
ait deux...! Et pourtant...
Lorsque Jésus utilise l'image d'un père pour témoigner de son
alliance à l'Être absolu, cette image est simple. C'est également le
cas lorsqu'il utilise, comme au logion 74, l'image d'une source.
Mais si nous distinguons, comme au logion précédant, dans l'image de
la source le vide et l'eau en tant que symboles du le Père et de
l'Esprit, l'image se décompose, devient «deux». Non pas deux comme
une impossible division de l'Unique, mais comme deux aspects
distincts d'une seule réalité : l'Être dans son aspect intemporel et
immuable et l'Être s'exprimant dans une création. En termes savants
ceci est appelé l'aspect transcendant et immanent du Divin. À cet
Être absolu Jésus est uni : je suis avec Lui.
Jésus exprime donc un état de conscience d'unité avec l'Être absolu.
Cet état de conscience n'engendre toutefois pas une identification à
l'Être...! Unité et identification sont deux notions à ne pas
confondre ! Le fils et son père sont un, mais pas identiques !
L'enfant de sept jours demeure lui aussi dans l'unité avec sa source
de vie...
Puisque l'unité du Père et de l'Esprit fut considérée comme la
source même de la vie, elle fut associée à l'image de l'unité du
masculin et du féminin. Ainsi on retrouve dans des écrits gnostiques
la représentation de l'Esprit - ruah en hébreux est du féminin -
comme la Mère aux côtés du Père. La seule manière d'approcher l'Être
absolu et inconnaissable est en effet de recourir à des images. Mais
celles-ci ne sont qu'un moyen ! Jamais l'image ne peut être
confondue avec la réalité qui en est l'objet. Ce qui en réalité est
unique et absolu peut donc, dans une image relative, se décomposer ...
Comme le Père et l'Esprit sont un, ainsi chaque être est unifié à
cette réalité unique. Car en elle réside la source de toutes les
qualités, que nous accordons pourtant si aisément à nous-mêmes.
Parce qu'existe la création, existe l'homme, et parce qu'existe
l'homme, existe la notion de Dieu. Avant l'apparition de l'homme sur
terre tout était unité : le monde créé et le monde créateur,
l'inférieur et le supérieur. L'homme les a séparés en naturel et
surnaturel... Le sens de la démarche religieuse est de prendre à
nouveau conscience de leur unité.
31
a dit jésus
un prophète n'est pas accepté dans son village
un médecin ne soigne pas ceux qui le connaissent
Mt 13. 57 - Mc 6. 4 - Lc 4. 23-24
La tâche d'un prophète est d'apporter une juste connaissance
concernant le lien unifiant l'inférieur et le supérieur. Celle d'un
médecin est de soigner une disharmonie physique ou psychique. En
Jésus les deux tâches sont réunies. Cette double tâche est également
celle de ses disciples. (voir le logion 14) Aussi bien une prétendue
connaissance qu'une maladie ou une souffrance sont des symptômes
d'une disharmonie. La connaissance de Jésus est holiste, car elle
découle de l'harmonie de l'unité.
Il est probable que cette parole lui fut inspirée par sa propre
expérience. En tant que juif il a du transcender les limites de sa
propre culture, afin de parvenir à la connaissance qui maintenant
est la sienne. La transmission de cette connaissance à ses proches
n'est pas chose simple... Il est un fait que des voix étrangères
attirent plus aisément notre attention que celles qui nous sont
familières. Ainsi Jésus nous est plus familier que le Bouddha. Ses
paroles inattendues dans cet évangile seront pourtant moins
facilement acceptées par notre mental que celles, souvent fort
intéressantes il est vrai, provenant d'un Dalai Lama...
32
a dit jésus
une ville construite sur une haute montagne et qui est forte
ni elle ne pourra être prise
ni elle ne pourra être cachée
33
a dit jésus
ce que tu entendras de ton oreille
de l'autre oreille proclame le sur les toits
car personne n'allume une lampe et la met sous un buisson
ni dans un endroit caché
mais il la met sur un lampadaire
afin que tous ceux qui vont et viennent voient sa lumière
Mt 5. 14 et 7. 24-27 - Lc 6. 47-49
Mt 10. 27 - 5. 15-16 et 4. 21 - Lc 12. 5 - 11.33 et 8. 16
Dans ces deux logia successifs Jésus tente, non sans un enthousiasme
certain, de visualiser la richesse qu'il éprouve à l'intérieure de
lui-même. Il compare la force qu'il reçoit à une ville fortifiée.
Même si nous sommes encore fort éloignés de notre but final, chaque
vision nouvelle que nous pouvons acquérir et qui est inspirée par le
supérieur, a une valeur absolue. Cette richesse ne peut nous être
prise, à moins d'une négligence de notre part... (voir le logion 35)
Comme la lumière d'une lampe elle ne peut non plus rester cachée,
car elle porte en elle une force qui dissipe les ténèbres...
L'image d'une ville fortifié évoque forcément l'idée de pouvoir. La
lumière elle ne suscite pas cette idée. Parce que la lumière est le
fruit d'une loi absolue - une ville fortifiée par contre est le
produit de la main de l'homme - elle ne peut être source de pouvoir.
La lumière ne peut que servir... Comme elle, toute connaissance n'a de
valeur que lorsqu'elle sert. Le fruit d'une connaissance servante
est autorité, jamais il ne peut dégénérer en pouvoir... !
34
a dit jésus
si un aveugle conduit un autre aveugle
ils tombent tous deux dans un fossé
Mt 15. 14 - Lc 6. 39
Tant que l'homme ignore sa véritable nature, qu'il reste séparé de
la lumière de sa source intérieure, il demeure dans les ténèbres de
la pauvreté. Sa compagne au quotidien s'appelle souffrance... La
finalité de l'homme est pourtant ni de souffrir, ni de demeurer dans
les ténèbres. Comme il dispose de deux yeux pour voir vers
l'extérieur, il peut également diriger l'attention de son esprit
vers l'intérieur et faire ainsi l'expérience d'une autre lumière,
qui n'est pas perceptible à l'aide de ses deux yeux. La réceptivité
pour cette lumière détermine qui est aveugle et qui ne l'est pas...
Suivre des guides, qui demeurent dans la présomption de connaître la
voie, n'est pas le bon choix. Nombreux pourtant sont ceux qui
pensent détenir la vérité et se croient appelés au rôle de balise
lumineuse. Dans les ténèbres de notre ignorance nous ne sommes pas
capables de distinguer l'aveugle du voyant... Mais celui ou celle qui
reçoit la lumière intérieure n'a que faire de guides aveugles !
Dans l'évangile de Philippe, déjà cité au logion 21, nous lisons
cette parole remarquable de Jésus. Lorsque des disciples lui font le
reproche d'aimer davantage Marie Madeleine qu'eux-mêmes - car il
l'embrassait souvent sur ... - il leur dit : tant qu'un aveugle et un
voyant demeurent ensembles dans l'obscurité, rien ne les distingue.
Mais lorsque vient la lumière le voyant verra et l'aveugle pas...
C'est ce qui distingue Marie Madeleine des disciples...
35
a dit jésus
il n'est pas possible que quelqu'un pénètre de force
dans la maison du fort
à moins qu'il ne lui lie les mains
alors il bouleversera sa maison
Mt 12. 29 - Mc 3. 27 - Lc 11. 21-22
Le logion 21 contenait déjà une recommandation à la vigilance.
Celle-ci se répète ici. Ce que nous recevons de la source intérieure
a, il est vrai, une valeur absolue qui nous fortifie, mais toujours
nous sommes des êtres de chair et de sang... Toujours les tentations
du monde inférieur sont présentes, nos faiblesses également... Par nos
deux yeux nous observons tant de miroitements capables d'éclipser
temporairement la lumière intérieure. Ainsi le fort se laisse duper,
se laisse lier les mains...
L'ennemi qui est le plus à craindre, qui peut à nouveau nous priver
de notre liberté, qui peut bouleverser notre harmonie intérieure,
est de toute évidence notre «petit moi» et ses désirs égocentriques.
La loi du lion nous pousse en effet à satisfaire nos propres désirs,
car en cela réside précisément notre liberté... croyons-nous...! Mais
celle ou celui qui cherche à se servir soi-même, se fragilise dans
une dépendance, dans une assuétude psychique... Car nos désirs
égocentriques nous entraînent à désirer toujours davantage !
La loi naturelle est ainsi faite que se sont nos désirs qui
déterminent le contenu de notre volonté et qui dirigent donc nos
actes. L'idéal d'une vie sans désirs est une aspiration mal comprise
de la philosophie orientale. Vivre sans désirs n'est pas possible... !
Ce qui, par contre, fait partie de notre tâche est de corriger
l'objet de nos désirs. Notre force et notre liberté ne résident pas
dans le moi dominateur mais dans le moi serviteur... La vie n'est pas
un « self service »...
36
a dit jésus
ne vous souciez pas du matin au soir et du soir au matin
de ce que vous revêtirez
Mt 6. 25-34 - Lc 12. 22-31
Ce logion s'associe tant au logion précédent qu'au suivant. Le souci
pour ce que nous revêtirons, pour ce dont nous pouvons nous parer
dans cette vie, est un souci abusif... Il va de soi que les vêtements
symbolisent toutes les valeurs superficielles, qui peuvent faire
l'objet de notre convoitise. La vanité, le souci de notre apparence,
de l'image que nous présentons de nous-mêmes, n'en est qu'un aspect.
Il sied pourtant de ne pas tirer des conclusions trop hâtives ! Ce
logion ne récuse en effet nullement l'intérêt que nous pouvons
porter à nombre de valeurs relatives, qui font partie de la richesse
et de la beauté de la vie. Jouir de ces valeurs là n'est pas en
désaccord avec une vie spirituelle ! Toutefois, la loi de la vie est
une loi d'harmonie et donc de mesure... Du matin au soir et du soir au
matin est en dehors de toute mesure... Temps et discernement sont mis
à notre disposition. Comment les vivre harmonieusement... ?
37
ont dit ses disciples
quel jour nous apparaîtras-tu et quel jour te verrons-nous
a dit jésus
lorsque vous vous serez défaits de votre honte
et aurez pris vos vêtements et les aurez mis à vos pieds
et que vous les aurez piétinés comme font les petits enfants
alors vous verrez le fils de celui qui est vivant
et vous n'aurez plus de craintes
Le logion 12 nous a appris que les disciples savaient que Jésus les
quittera bientôt. À cette connaissance semble s'ajouter l'attente de
son apparition parmi eux... Cette expectative n'est qu'illusion... comme
n'est qu'illusion l'attente messianique, qui fait partie d'un
concept religieux dans lequel un peuple entier se considère comme
l'élu de Jaweh. Ce genre de considérations vaniteuses fait partie de
la parure, dans laquelle l'homme honteusement a dissimulé son
ignorance en créant l'espérance...
La metanoia, ce retournement dans notre état d'esprit, que préconise
Jésus, est radicale ! Des visions imaginaires doivent faire place à
une recherche réelle du fils de celui qui est vivant... Dans la foi
chrétienne l'expression «fils de l'homme» fut réservée au Christ.
Voir le fils de celui qui est vivant implique non seulement de
reconnaître Jésus en tant que l'être, qui a pris pleinement
conscience de son état d'enfant du père le vivant, mais surtout de
reconnaître cette qualité essentielle en soi-même. Pour accéder à
cette prise de conscience il est toutefois nécessaire, à l'image de
l'enfant de sept jours, de retourner à la pureté originelle, de
devenir intérieurement à nouveau vide et donc de se défaire de toute
parure superficielle.
La honte, qui nous retient de nous voir nous-mêmes dans notre nudité
originelle, est notre orgueil. Celui ou celle qui s'est défait de
son orgueil, qui a rejeté son vin, qui a piétiné ses vêtements, peut
reconnaître en soi-même son «soi» véritable : le fils ou la fille de
l'homme qui est enfant de Celui qui est vivant... L'enfant égaré, qui
a retrouvé le chemin de la maison paternelle et s'est reconnu comme
enfant du Père, ne connaîtra plus de craintes. La réunification n'a
qu'un nom : joie... !
38
a dit jésus
bien des fois vous avez désiré entendre ces paroles que je vous dis
et pour vous il n'y a pas d'autre de qui les entendre
il y aura des jours où vous me chercherez
et ne me trouverez pas
Lc 17. 22 - Jn 7. 33-34 et 8. 21
Le logion précédant précisait la voie des disciples : un
dépouillement de leur ego, un démantèlement des valeurs et
espérances illusoires dans lesquelles ils se sont investis. Les
«vérités» religieuses, que d'autres nous proposent, n'ont qu'une
valeur relative... C'est la raison pour laquelle les croyants restent
confondus à des doutes et des angoisses. Ceux-ci ne peuvent se
dissiper dans un espoir mais dans une connaissance véritable...
À cette connaissance tous et toutes nous aspirons, les disciples
comme nous-mêmes. Seulement voilà, la connaissance que Jésus nous
propose ne concerne pas le domaine du savoir mais celui de l'être...
La gnose ne peut se révéler que dans une expérience personnelle. La
voie de la connaissance de soi est un cheminement que personne
d'autre ne peut parcourir à notre place, pas même Jésus... Sa tâche
consiste à nous enseigner la direction à prendre. Et cette tâche là,
envers ses disciples, lui seul peut l'accomplir...
L'espoir des juifs se fonde sur une rédemption à venir. Selon Paul
cette rédemption est venue par la croix... La parole de Jésus est
perturbante : la rédemption réside dans un cheminement que chacun de
vous doit accomplir dans la solitude de sa nudité intérieure... Son
nom est prise de conscience... Dans cette voie il importe, non pas que
vous me cherchiez moi, mais que vous vous cherchiez vous-mêmes...
39
a dit jésus
les pharisiens et les scribes ont pris les clefs de la gnose
et ils les ont cachées
ni ils sont entrés eux-mêmes
ni ils ont laissé entrer ceux qui le voulaient
vous par contre soyez prudents comme les serpents
et purs comme les colombes
102
a dit jésus
malheur à eux les pharisiens
parce qu'ils ressemblent à un chien qui dort dans la mangeoire des
bœufs
car ni il ne mange ni ne laisse les bœufs manger
Mt 10. 16 et 23. 13 - Lc 11. 52-54
Les vérités religieuses, que d'autres nous proposent, n'ont qu'une
valeur relative... La critique de Jésus concerne ces gens là, qui
s'imaginent être investies d'une connaissance de l'Inconnaissable et
empêchent ainsi d'autres à s'engager dans la voie d'une recherche
véritable : celle de la gnose. Le procès qu'il intente ici concerne
la distinction entre une croyance, comme un ensemble de vérités
conçues par l'homme concernant Dieu, d'une part, et la gnose ou la
conscience religieuse, en tant que l'expérience propre à la
conscience individuelle du lien qui nous unit à l'Être absolu,
d'autre part.
Par delà le monde et suivant la diversité des cultures, les
croyances les plus diverses se sont développées. La fascination pour
un pouvoir absolu, qui transcende les limites terrestres, est
universelle. Depuis que l'homme existe il s'est octroyé une
connaissance d'une réalité absolue et l'a transmise à d'autres. Tant
le judaïsme que le christianisme et l'islam ont leur source au Moyen
Orient et leurs racines dans la bible hébraïque. Leur ancêtre commun
est Abraham. Tous ils partagent une croyance en un Dieu unique, mais
ils ont chacun leur vérité concernant la relation séparant l'homme
de Dieu. Pour ces vérités tous invoquent une révélation divine que
certains auraient reçue. Seulement voilà, cette révélation n'a pas
été perçue de manière égale... Chacun d'eux reste pourtant convaincu
de sa propre prédilection divine. Des confrontations fratricides, au
nom de Dieu, Allah ou Jaweh, ont laissé et laissent toujours de
sanglants sillons dans notre histoire. L'orgueil humain
nécessite-t-il des preuves plus évidentes... ?
Il y a connaissance et ignorance, réalité et fiction... Jamais un
homme ne pourra en empêcher un autre de dissimuler son ignorance par
une fabulation. Tout savoir humain porte la marque de ses
restrictions. Reconnaître cela en nous-mêmes est un premier pas sur
la voie de la connaissance de soi. Dans ce que nous croyons savoir,
ce que nous reconnaissons comme une vérité, nous sommes initialement
totalement dépendants d'autres. Si nous voulons atteindre une
maturité adulte religieuse, nous devons mettre un terme à cette
dépendance ! La voie de la gnose est une voie libératrice. Jamais ce
cheminement là ne pourrait entraver la liberté d'autrui, ni être la
cause de confrontations.
Quiconque impose à autrui sa propre vision religieuse comme une
vérité absolue, commet une faute d'orgueil et porte en cela une
grande responsabilité ! À toute connaissance il convient de servir,
d'être libératrice, non d'asservir. Jamais, par sa gnose, Jésus
usa-t-il de pouvoir...
La recommandation de Jésus à la fin du logion 39 concerne d'une part
les autres et d'autre part nous-mêmes : soyez prudents comme les
serpents et purs comme les colombes. La prudence nous rappelle la
vigilance du pêcheur avisé au logion 8. Une pureté intérieure,
semblable à celle de l'enfant de sept jours, est la condition pour
ne plus tomber dans le piège, dont nous avons été les victimes.
40
a dit jésus
un cep de vigne fut planté en dehors du père
et n'étant pas fort il sera extirpé par sa racine
et il périra
Mt 15. 13 - Jn 15. 5-6
Tout investissement en ce bas monde ne peut être que temporel et
donc éphémère. Notre savoir y sera toujours relatif et donc limité.
Le monde phénoménal, dont nous pouvons acquérir une connaissance,
est lui aussi tributaire de «la loi des changements». Chaque
expérience humaine est dépendante de l'état de la conscience
individuelle et celle-ci aussi est continuellement en évolution. De
cette évolution nous sommes nous-mêmes responsables...
Détacher l'attention de notre esprit du monde phénoménal pour la
diriger vers l'intérieure, vers le repos du vide à l'intérieur de
nous-mêmes, engendre une évolution purificatrice dans les structures
physiologiques de notre conscience. (voir le logion 53) Toute
connaissance, qui émane d'une conscience pure, est inspirée par
l'Esprit. Elle a une valeur absolue, car : sa racine dans le Père. «
Les hommes manquent de racines... ça les gène beaucoup. » (Le petit
Prince XVIII)
41
a dit jésus
celui qui a dans sa main à lui sera donné
celui qui n'a pas
le peu qu'il a lui sera pris de sa paume
Mt 13. 12 et 25. 29 - Lc 8. 18 et 19. 26 - Mc 4. 25
Ce que nous avons dans notre main n'a de valeur que s'il s'agit du
fruit de ce qui fut planté à l'intérieur du Père. (voir le logion
précédent) Tout engagement dans une voie de recherche intérieure
sera reconnu, car il aura des conséquences positives pour nous-mêmes
comme pour d'autres. Ceci aussi est un aspect non négligeable de la
loi de karma, reconnu par Krishna dans la Bhagavad Gita. Ce qui, par
contre, nous est acquit selon des lois inférieures, nous sera
irrémédiablement repris. Ceci est une suite logique du logion
précédent et trouve sa conclusion naturelle au logion 42.
42
a dit jésus
vous soyez passant
Voici le logion le plus court de cet évangile. Être passant ni
signifie nullement être indifférent ! Cette vie est un passage que
nous avons à accomplir dans un engagement harmonieux avec la nature
et les hommes. Par rapport aux biens de ce monde nous nous devons
toutefois d'être passant.
Dans cette vie il nous est donné de jouir et de bénéficier de bien
de richesses que nous offre la nature, de découvrir et d'apprécier
d'autres personnes et d'autres cultures, d'accéder à une
connaissance dans bien de domaines. Mais avant toute chose il nous
est donné de vivre et donc d'agir en harmonie avec la nature et tous
les êtres vivants. Agir en harmonie implique une action sans
dépendance aucune de ses fruits, dénuée de toute attente d'un
bénéfice personnel quelconque. Être détaché et rester libre, voilà
l'état naturel de l'homme, l'état du monachos...
Au début du siècle fut découvert cette inscription sur le porche
d'une porte de l'ancienne ville de Fateh pur Sikri, au sud de Delhi,
construite par le Mogol Akbar le Juste :
Jésus - la paix soit sur lui - a dit
le monde est un pont
passe dessus
mais n'y établis pas ta demeure
Cette parole de Jésus était déjà connue dans le monde arabe au XI°
siècle.
43
ont dit à lui ses disciples
tu es qui pour nous dire ces choses
par ce que je vous dis ne savez-vous pas qui je suis
mais vous êtes comme les juifs
car ils aiment l'arbre et détestent son fruit
et ils aiment le fruit et détestent l'arbre
Jn 8. 25 : Ils lui dirent : qui es-tu ? Jésus leur dit : d'abord ce
que je vous dis. (Cette traduction est celle de l'École biblique de
Jérusalem)
La question «qui es-tu ?» était pour les disciples - comme elle est
toujours pour nous - une question intrigante... Qui est cet homme qui,
comme en témoignent d'autres sources, guérit des malades, réalise
des choses invraisemblables et surtout parle un langage imagé qui
les perturbe ? Sa réponse est précise : ce que je vous dis... Plus
important que ses actes est le contenu de sa parole. Avant toute
chose sa tâche consiste à enseigner une connaissance qui témoigne du
lien intérieur et spirituel qui est le sien. Son désir est
d'instruire ses proches quant à la voie qui mène à cette expérience.
Mais l'image de Dieu, qui leur a été imposée par la croyance juive,
ne correspond pas à celle du père que Jésus leur présente pour
visualiser son lien spirituel intérieur et le rendre accessible à
leur conscience. C'est la raison pour laquelle il fustige ici
l'erreur des juifs. Mais que signifie l'arbre qu'ils aiment et dont
ils détestent le fruit, et quels sont les fruits qu'ils apprécient,
mais dont ils détestent l'arbre... ?
La croyance juive concerne un Dieu unique, mais les fruits de leur
croyance ont un goût amer... Jaweh est en effet un Dieu tout-puissant
et angoissant, car un jour Il sera le Grand Juge de chacun d'eux.
Pour obtenir son indulgence il est donc nécessaire d'observer
scrupuleusement Sa loi, de sacrifier consciencieusement à de
nombreux rites... La relation qu'ils vivent avec leur Dieu est
contraignante, pas agréable à vivre. Les fruits de leur croyance ont
en effet un goût amer...
Les fruits qu'ils apprécient sont ceux qui sont appréciés par tous
les hommes : une vie en harmonie avec soi-même et les autres. Ce
fruit là appartient à l'arbre que Jésus appelle Père, mais que les
juifs ne reconnaissent pas. Parmi les fruits de cet arbre point de
lois ou de rites contraignants. L'homme qui a reconnu en lui-même
son alliance avec le Père, reçoit spontanément Ses fruits - Son
inspiration - comme un don. Pas à pas Il lui révèle la vie en une
plénitude toujours croissante. C'est Lui l'arbre, que les juifs
renient, mais dont ils aiment le fruit...
Ceci précise une fois de plus que la reconnaissance d'une
concordance entre la croyance juive et l'enseignement de Jésus ne
pourrait être que la conséquence d'un malentendu de sa parole ou,
comme ce fut le cas chez Paul, d'une méconnaissance de celle-ci.
44 voir le logion 29
45
a dit jésus
des raisins ne sont pas récoltés sur des buissons épineux
ni sont cueillies des figues sur des chardons
car ils ne donnent pas de fruits
un homme bon produit le bien de son trésor
un homme mauvais produit des choses mauvaises
du trésor pervers qui est dans son cœur
et il dit des choses mauvaises
en effet de l'abondance du cœur il exprime le mal
Mt 7.15-20 et 12.33-37 - Lc 6. 43-45
Notre conscience, là où prennent naissance nos pensées et nos
sentiments, détermine également le choix de nos actions. La cause de
nos erreurs, de nos visions erronées, d'un mauvais état d'esprit,
n'a pas son origine dans une influence ou le pouvoir d'un satan ou
de quelqu'autre source du mal, mais en nous-mêmes, dans les
perturbations dont est victime notre conscience. Toute action
émanant de l'obscurité, d'un état disharmonieux, ne peut que
produire des perturbations. La lumière ne jaillit pas des ténèbres,
mais d'une source de lumière... L'obscurité-elle n'a pas de source.
Elle n'est qu'absence, manque de lumière. C'est la raison pour
laquelle les ténèbres n'ont pas de pouvoir sur la lumière et qu'il
est donc insensé de lutter contre le manque, l'absence d'harmonie.
Celle ou celui qui illumine dissipe spontanément les ténèbres... !
La représentation du monde comme le théâtre d'une lutte entre les
forces du bien et du mal est une vision dualiste certes attrayante
et inspirante pour l'imaginaire, mais qui fait partie du monde de
l'imaginaire... L'imputation de l'origine du mal à un satan équivaut à
la dénégation de notre propre responsabilité. Cette responsabilité
est la conséquence naturelle de notre participation, consciente ou
inconsciente, dans la royauté du Père.
La source de notre conscience est également la source d'où jaillit
la lumière intérieure. Celui ou celle qui renie cette source
intérieure et préfère se confondre dans les ténèbres extérieures,
est soi-même responsable des troubles qui perturbent son cœur... Les
fruits de ses actes sont en conséquence...
46
a dit jésus
parmi les enfantés de la femme
depuis adam jusqu'à jean le baptiste
il n'y pas plus élevé que jean le baptiste
en sorte que ses yeux ne seront point brisés
mais moi je vous dit
celui parmi vous qui se fera petit connaîtra le royaume
et sera plus élevé que jean
Mt 11. 11 - Lc 7. 28
La référence au petit ne nécessite plus de commentaire. La
reconnaissance par Jésus de Jean le Baptiste comme le plus élevé
parmi les hommes depuis Adam, est quand même remarquable. Car, par
cette reconnaissance, il dépasse en importance tous les personnages
bibliques... Qui est cet homme ? Les évangiles nous le font connaître
comme un personnage singulier, qui résidait dans le désert et y
prêchait une metanoia dans l'attente de la venue du royaume. Son
appel, transcrit en grec, était en effet metanoiete, ce qui fut
malencontreusement traduit par : convertissez-vous. La metanoia est
en effet un retournement de mentalité bien plus radical que ne le
laisse supposer une conversion ! Il aurait également baptisé Jésus.
Sa vision religieuse est juste, car : ses yeux ne seront pas brisés...
Pourtant lui non plus n'a pas encore réalisé sa finalité, ne s'est
pas encore fait petit...
Une fois de plus Jésus prend ses distances par rapport à ceux qui
dans l'histoire religieuse juive l'ont précédé. Dans l'évangile de
Jean il les fustige même comme «voleurs et brigands»... (Jn 10. 8)
47
a dit jésus
il n'est pas possible qu'un homme monte deux chevaux
ou qu'il bande deux arcs
et il n'est pas possible qu'un serviteur serve deux maîtres
car il honorera l'un et outragera l'autre
aucun homme ne boit du vieux vin
sans désirer aussitôt de boire le vin nouveau
et le vin nouveau n'est pas mis dans de vieilles outres
de peur qu'elles ne se fendent
et le vieux vin n'est pas mis dans une outre neuve
pour qu'il ne se gâte pas
et un vieux tissu n'est pas cousu à un vêtement neuf
car une déchirure se produirait
Mt 6. 24 et 9. 16-17 - Lc 16. 13 et 5. 36-39 - Mc 2. 21-22
Dans la première partie de ce logion Jésus précise que le choix, qui
s'impose à nous, ne tolère pas de compromis. Notre expérience de vie
nous apprend pourtant que, dans nos rapports humains, un compromis
est bien souvent le meilleur des choix. Seulement voilà, il ne
s'agit pas ici de rapports humains mais d'un choix essentiel et
personnel, qui détermine l'orientation que nous donnons à notre vie.
Quelle voie vais-je suivre...? Pour qui ou quoi ai-je à servir dans
cette vie...?
Ceux, qui parmi nous ont fait un choix religieux et se proposent
d'honorer la volonté de Dieu, méritent tout notre respect. Mais en
quoi consiste cet engagement ? Est-ce honorer des commandements ou
des prescriptions dictés par une autorité ecclésiastique et donc
humaine ? En quoi la volonté d'Allah est-t-elle différente de celle
de Jaweh ou de celle du Dieu des catholiques, des protestants ou des
orthodoxes ? Quel Dieu interdit l'usage de préservatifs, refuse le
sacerdoce aux femmes ou, tel que Paul le perçut, ne leur accorde pas
les mêmes droits qu'aux hommes ? Tant que des humains décident du
contenu de la volonté de Dieu, il nous reste bien des choix...
Projeter une qualité humaine - le vouloir - sur l'Être absolu est un
exercice dépourvu de tout sens... «Cela», que Jésus nous présente par
l'entremise de l'image d'un père, qu'il conçoit comme une source
d'inspiration à l'intérieur de lui-même, n'est conciliable ni à
l'image de Jaweh, ni à celle de «Dieu le Père», telle qu'elle nous
est présentée par la croyance chrétienne... Le choix, que Jésus nous
impose ici, est aussi radical que bouleversant ! Il fait partie du
cheminement auquel il nous invite et qui constitue un défi pour la
liberté et la responsabilité personnelle de chaque être.
La deuxième partie du logion nous est plus familière. L'amateur de
vin se doit toutefois de prendre en considération les conditions
précaires dans lesquelles ce liquide fut jadis conservé. C'est la
raison pour laquelle le vin nouveau prévalait sur le vieux vin. En
outre nous pouvons constater qu'une déviation commune est présente
dans les évangiles canoniques. Dans ce logion il est en effet
question d'une réparation d'un vêtement neuf, qui ne pourrait se
faire à l'aide d'un vieux tissu. Ceci nous semble l'évidence même !
Chez les trois évangélistes synoptiques il s'agit par contre de la
réparation d'un vêtement ancien à l'aide d'un tissu neuf, qui ne
serait concevable... Que faisait notre arrière grand-mère lorsqu'un
vêtement était usée à un endroit précis...?
Plus important toutefois est de sonder l'image afin d'y déceler le
message. Que signifient le vieux vin et le vin nouveau, les vieilles
outres et les outres neuves, le vêtement neuf et le tissu usagé ? Le
nouveau, dont il s'agit dans l'enseignement de Jésus, est la prise
de conscience du lien intérieur unissant chaque être, ici et
maintenant, à l'Être absolu, sa source de vie. Ce lien est
universel, car chaque homme peut le reconnaître. Il surpasse donc le
domaine de l'imaginaire religieux... Le choix qui s'impose à nous est
radical : ou nous accédons à la vision nouvelle et n'avons que faire
de l'ancien, ou nous demeurons dans l'ancien... Servir deux maîtres,
le Dieu de l'ancien et le Père du nouveau n'est pas conciliable... !
Et pourtant ce fut le Dieu de l'ancien qui devint celui de la
croyance nouvelle, différente de la croyance juive... Nous pouvons
essayer de comprendre maintenant comment cette nouvelle croyance a
pu prendre racine. La condition essentielle, pour qu'une croyance
nouvelle eût pu prétendre à quelque chance de survie, était qu'elle
soit fondée sur la croyance des ancêtres et donc sur l'Ancien
Testament. Mais, selon les autorités religieuses en place, la
prédication de Jésus n'était pas conciliable à la croyance des
ancêtres... C'est alors qu'intervient le personnage de Paul...
Paul était un pharisien convaincu et, selon ses propres écrits, le
plus ardent parmi les persécuteurs des disciples de Jésus. Il n'est
donc pas concevable qu'il n'eut pas eu, pour le moins partiellement,
connaissance du contenu pernicieux de l'enseignement de Jésus. Ceci
ne l'a toutefois pas empêché, après les évènements insolites sur le
chemin de Damas et sa soudaine conversion, de reconnaître en Jésus
crucifié et ressuscité le Messie tant attendu par les juifs.
Seulement voilà, l'évangile de Jésus était toujours ce qu'il était :
inacceptable pour la majorité des juifs, comme pour Paul... Le génie
de Paul fit qu'il parvint à substituer son propre évangile à celui
de Jésus, devenu superflu... car, comme il le précisa humblement
dans son premier épître aux corinthiens : notre pensée est la pensée
du Christ... ! (2. 16)
L'évangile que Paul prêcha n'avait rien de commun avec l'évangile de
Jésus ! La reconnaissance de Jésus en tant que Christ - christos
étant la traduction grecque de mashiah - eut deux conséquences
déterminantes. D'une part elle confirma le lien avec l'ancestral et,
d'autre part, elle eut pour effet que Paul subit l'anathème de sa
propre religion juive. Une croyance nouvelle, fondée sur la
conception théologique de Paul et non pas sur l'enseignement de
Jésus, était née...
48
a dit jésus
si deux font la paix entre eux dans cette seule maison
ils diront à la montagne éloigne-toi
et elle s'éloignera
Mt 17. 20 - 18. 19 et 21. 21 - Lc 17. 16 - Mc 11. 22-23
Le message est limpide : deux ont a faire la paix, à s'unifier. Dans
cette seule maison peut référer au corps, le support physiologique
dans lequel nous sommes invités à accomplir notre tâche. Cette
maison pourrait aussi référer à la «demeure» du Père, dans laquelle
tous nous sommes invités à résider.
Dans la création tout parait s'exprimer en notions dualistes. Notre
jugement s'y fonde si aisément sur des normes de bien et de mal.
Ainsi sont les règles dans le monde inférieur. En méconnaissant la
loi d'harmonie l'homme s'est séparé de sa source d'inspiration. Il
s'est nanti de lois, a présomptueusement prôné son savoir et a ainsi
bouleversé une échelle de valeurs absolue. Ce qui à l'origine était
un, est devenu deux...
Notre tâche, ici et maintenant, est évidente : rétablir l'unité.
Quiconque s'est rendu compte de son erreur, peut s'engager dans une
voie menant à l'unité originelle, peut parcourir le cheminement du
fils prodigue. Ainsi chaque être peut à nouveau prendre conscience
de son intégration dans l'autorité du Père, dans Sa loi d'harmonie.
Son inspiration agit comme la lumière : elle dissipe les ténèbres,
aplanit chaque obstacle, tel que nous le révèle l'image de la
montagne.
Ce n'est donc pas une «foi» en qui ou en quoi que ce soit, qui est
en mesure d'éloigner des montagnes, mais la réalisation de l'unité
originelle. Comme les croyances ont méconnu le sens profond de cette
unité, elles ont non seulement pas déplacé des montagnes, mais en
plus, causé de profonds abîmes parmi les hommes...
49
a dit jésus
heureux sont eux les monachos ceux qui sont choisis
parce que vous découvrirez le royaume
comme vous êtes issus de lui
vous y retournerez
Le cheminement nécessaire pour réaliser notre finalité, pour
participer dans la royauté, est celui du monachos. La signification
de monachos a déjà été précisée dans l'introduction (traduire est
trahir...) et au logion 16. Chaque être, désireux d'accéder à une
maturité spirituelle, se doit de se libérer mentalement de liens
contraignants, d'une assuétude à de valeurs trompeuses, religieuses
ou autres, et de s'engager dans la voie libératrice d'une recherche
personnelle. Des vérités rassurantes, que d'autres nous proposent,
sont sans valeurs... La richesse véritable est à découvrir
individuellement au plus profond de soi. Voilà le défi du nouveau !
La finalité de la graine se réalise dans son retour à l'endroit de
son origine. Dans cette unité elle cesse d'être graine pour servir
comme semence et devenir germe... Pour l'homme, la réalisation de sa
finalité consistera donc dans un retour à l'état de conscience
originel : celui d'unité dans l'Être absolu. Cet état est celui du
monachos ou du bodhisattva. Celle ou celui, qui se sera reconnu,
sera choisi...
50
a dit jésus
s'ils vous disent vous venez d'où
dites leur nous sommes venus de la lumière
là où la lumière s'est produite
par elle-même elle s'est dressée
et elle s'est manifestée dans leur image
s'ils vous disent qui êtes-vous
dites nous (sommes) ses enfants
et nous (sommes) les choisis du père le vivant
s'ils vous demandent
quel est le signe de votre père qui est en vous
dites leur c'est un mouvement et un repos
Voici une des paroles les plus impressionnantes de cet évangile. Il
s'agit en quelque sorte d'un mini récit de la genèse, tel qu'il nous
est proposé dans le prologue de l'évangile de Jean. Le symbolisme du
verbe y est repris et précisé par celui de la lumière. L'accès à une
juste compréhension du contenu de cette parole nécessitera temps et
patience... Que celui (ou celle) qui cherche ne cesse de chercher...
La lumière est un symbole éminemment riche et universellement
utilisé. Elle est non seulement la condition première pour toute
expérience visuelle, elle détermine également le rythme des jours et
des nuits, de l'activité et du repos, des saisons. En plus, en
harmonie avec la matière, elle est responsable pour la chaleur comme
pour la production de l'oxygène. Sans la lumière la vie sur terre ne
pourrait exister... C'est la raison pour laquelle elle représente le
symbole par excellence pour l'action ô combien essentielle de
l'Esprit.
La qualité la plus évidente de la lumière est celle de permettre la
visibilité. Symboliquement voir réfère à la faculté d'accéder à une
vision, à une connaissance. Et pourtant, la lumière elle-même n'est
pas visible... Des images ne se révèlent à nos yeux que grâce à une
union harmonieuse de lumière et matière... Ainsi une projection
cinématographique nécessite un écran pour révéler l'image que la
lumière porte en elle.
Quel est le signe par lequel l'enfant du père le vivant, qui porte
en lui la lumière et dont la tâche est d'illuminer, est
reconnaissable ? C'est une expression d'harmonie, la loi unique à la
base de toute vie. L'expression de l'harmonie est : équilibre,
mesure... Le rythme essentielle dans la création est mouvement et
repos, activité et non-activité, jour et nuit, été et hiver... C'est
cette loi de mesure qui régit et soutient la nature toute entière,
qui nous révèle l'unité au-delà du dualisme, l'ordre au-delà du
chaos... Dans l'accomplissement de l'unité, dans l'état de conscience
du monachos, mouvement et repos, activité et non-activité, sont un.
Dans l'évangile de Jean Jésus nous présente le signe de
reconnaissance de ses disciples comme : si vous vous aimez les uns
les autres. Ici le signe est : c'est un mouvement et un repos.
Comment concilier ces deux paroles... ? Comme l'intelligence est
l'expression d'une harmonie dans les pensées, l'amour est
l'expression d'une harmonie dans les sentiments... Une complicité dans
Sa loi d'harmonie est donc la condition première pour toute
expression d'amour...
51
on dit à lui ses disciples
quand viendra le jour du repos de ceux qui sont morts
et quel jour le monde nouveau viendra-t-il
il leur dit
ce que vous guettez cela est venu
mais cela vous ne le reconnaissez pas
52
on dit à lui ses disciples
vingt-quatre prophètes ont parlé en israël
et tous ont parlé par toi
il leur dit
de celui qui est vivant devant vous
vous vous êtes détournés
et vous avez parlé de ceux qui sont morts
Suite à une question et une vision de ses disciples, Jésus fait à
chaque fois une même constatation désolante : à la lumière son
témoignage ne se révèle que la nuit profonde de leur
incompréhension... Une fois de plus se confirme la ténacité de leurs
attaches à l'ancien et s'étale leur manque de maturité spirituelle.
Ils n'ont toujours pas compris que la réalité, représentée par le
royaume - le monde nouveau - est intérieure et donc spirituelle, et
qu'elle ne correspond pas à l'attente suscitée par les écrits
bibliques.
Pour nous également sa réponse est troublante... Il sied en effet de
constater que notre prière : «que Votre (Ton) règne arrive ...» n'est
pas bien réaliste... Hormis le fait qu'un progrès douteux d'une
modernité religieuse permet aujourd'hui à l'homme de tutoyer Dieu,
force est de constater que nous sommes toujours ignorants quant à la
présence de la royauté du Père dans notre vie... Car dans ce monde
l'autorité du Père est établie ! Son autorité est au service de
chaque être qui le désire vraiment. À tous et à toutes elle nous est
offerte comme un repas de mariage, la fête de l'unité qui est source
de vie... Toute demande est dérisoire... À chaque instant nous sommes
invités à participer dans Son autorité... Cette prise de conscience
déclare l'attitude de refus de Jésus par rapport à la prière
implorante des juifs, qui est devenue aussi celle des chrétiens.
Pour les disciples, qui demeurent toujours dans l'ancien, le message
de Jésus reflète celui de tous les prophètes. Sa réponse est
incisive : vous n'êtes toujours pas capables de distinguer celui qui
est vivant de ceux qui sont morts...
Il est compréhensible que ces deux logia n'ont pas laissé de traces
dans les évangiles canoniques. Seul Jean atteste d'une parole
parallèle : tous, qui sont venus avant moi, sont des voleurs et des
brigands (Jn 10. 8). Fait remarquable est qu'Augustin avait lui une
connaissance du logion 52. Dans : « Contra adversarium legis et
prophetarum » XI. 4. 14 nous lisons en effet : « Lorsque les
apôtres... demandaient au Seigneur ce qu'il pensait des prophètes des
juifs, il répondit : celui qui est vivant devant vous, vous le
rejetez et nous parlons des morts ! »
53
ont dit à lui ses disciples
la circoncision est-elle utile ou non
il leur dit
si elle était utile leur père les engendrerait circoncis de leur
mère
mais la circoncision véritable en esprit a trouvé toute son utilité
À nouveau un rite juif est mis en cause. La réponse de Jésus à ses
disciples est aussi précise qu'évidente : à une telle pratique ne
peut être accordée une signification religieuse... Ce que le Père a
prévu ne pourrait être corrigé par la main de l'homme ! Plus
importante toutefois est la transposition du geste rituel vers une
réalité spirituelle. Une valeur véritable concerne l'esprit et non
pas le zizi...
Dans le logion 27 le jeun fut précisé comme : jeûnez face au monde.
Cette recommandation n'invitait pas à un renoncement au monde, mais
à un détachement de valeurs superficielles qui régissent le monde
inférieur. Le jeun concerne donc le domaine de l'activité. La
circoncision est un rituel dont l'acte consiste en un geste concret
de détachement. La transposition de ce geste vers l'esprit, lui
donne une dimension intérieure et le situe donc dans le domaine de
la non-activité.
Activité et non-activité sont intimement liées, car la base de toute
action est un repos. Pneuma, l'esprit, se manifeste à travers notre
psychisme, comme une énergie dirigeante, qui détermine le choix de
nos actions. Plus notre état psychique est harmonieux, plus l'action
aura de chances d'être juste. La circoncision en esprit concerne une
metanoia, un retournement mental, dans lequel notre esprit se
détache de l'attention portée vers le domaine de l'activité, pour se
diriger vers celui de la non-activité, du repos dans sa source
intérieure.
Dans l'évangile de Matthieu (6. 6) Jésus a cette parole remarquable
:
Mais toi, quand tu pries, entre dans ta chambre et, ayant fermé la
porte, prie ton Père qui est dans le secret et ton Père, qui voit
dans le secret, te donnera de retour.
Précisons que la traduction : prie ton Père dans le secret est une
transcription inexacte.
À nouveau il s'agit là d'une parole imagée. La chambre dont nous
devons fermer la porte est notre chambre intérieure, l'endroit où
réside notre conscience. Si nous voulons porter notre attention vers
le Père, la source inspiratrice intérieure, il est impératif de
détacher l'attention de notre esprit du domaine où il dirige nos
actions : la porte doit être fermée. Ceci représente l'état dans
lequel notre conscience, libérée de toute implication dans le monde
extérieur, peut retrouver un repos intense et conscient, dans lequel
sa réceptivité pour les dons de l'Esprit est optimale. Cet état
représente la finalité de la prière : une attention dirigée vers le
Père, qui lui-même est dans le secret. Le Père «voit», mais nous ne
pouvons le «voir»... Pour notre conscience le Père n'est pas
accessible... Le but de la prière est de nous rendre réceptifs pour
Son inspiration, Son Esprit...
Cet état de conscience, empreint d'une intense spiritualité,
correspond pourtant à une logique scientifique. La nature nous
apprend en effet que tout état de repos, de potentiel énergétique
mineur, correspond naturellement à un état d'ordre ou d'harmonie
supérieur. À chaque fois que nous induisons un état de repos intense
dans les structures, qui constituent la base physiologique de notre
conscience, nous recevons une impulsion d'harmonie par laquelle
notre système nerveux central retrouve une fraction de sa pureté
originelle. À partir de structures plus ordonnées la qualité de
toute expérience, des pensées, des sentiments et des actions, sera
donc plus harmonieuse. Ceci est la voie par laquelle l'Esprit et Sa
loi naturelle se manifestent dans l'homme.
Les traditions orientales nous apprennent que la pratique de la
méditation est la base même de toute évolution personnelle. Le but
d'une méditation est de détacher temporairement l'attention de notre
esprit du domaine de l'activité et de la diriger vers celui de la
non-activité, du repos intérieur. La spécificité d'un état méditatif
est que la conscience y reste en éveil, bien que la qualité du repos
soit intense. Malgré que cet état spécifique soit un état naturel,
les attaches contraignantes de notre esprit à une activité
extérieure sont devenues telles qu'une aide est devenue nécessaire
pour induire un état de repos méditatif dans notre conscience.
Différentes techniques peuvent être utilisées pour atteindre un tel
repos. La plus communément pratiquée est l'utilisation d'un mantra.
Un mantra est un son possédant une valeur vibratoire spécifique, qui
est produite dans notre cerveau par la pensée répétitive d'un mot
sans contenu mental. Le manque de contenu engendre une absence
d'activité mentale. Ainsi l'attention de l'esprit est captée et
détournée vers le domaine de la non-activité, de l'absence de
pensées.
En Occident nous connaissons également la pratique de telles
techniques. Les chants grégoriens, la récitation de litanies avec sa
succession de «priez pour nous», la pratique du rosaire, ce sont
autant de moyens capables d'induire un repos méditatif, à condition
de ne pas porter une attention au contenu des mots. Dans l'absence
de pensées, qui caractérise l'état de silence méditatif, il n'existe
plus de «moi». Chaque individu redevient «être», uni à l'Être, car
réceptif pour Son inspiration. La goutte de pluie rejoint l'océan,
sa mère naturelle... Cette qualité de repos est le composant devenu
nécessaire pour rétablir l'équilibre originel dans le rythme de
mouvement et de repos. (voir le logion 50) La condition essentielle
pour y parvenir est une circoncision en esprit...
54
a dit jésus
heureux les pauvres
parce que le royaume des cieux est vôtre
Mt 5. 3 - Lc 6. 20
Être pauvre ne signifie pas nécessairement demeurer dans un état
d'indigence... Ceux qui sont capables de pourvoir en leurs besoins
vitaux, sans pour autant prétendre à quelque superflu dérisoire, ne
peuvent s'attacher à des valeurs qui s'avèrent être superficielles
et trompeuses. Spontanément la vie leur apprend à apprécier ces
valeurs là, qui ne sont pas tributaires d'une précarité temporelle.
Combien de fois n'avons-nous pas pu constater que la solidarité
parmi les plus dépourvus est bien plus sincère que parmi les riches.
La joie du partage avec d'autres, qui, en plus, leur sont souvent
totalement étrangers, est la richesse qu'ils récoltent. Cette leçon
nous est surtout proposée par des hommes et des femmes que nous
considérons comme plus primitifs que nous... Et pourtant nous ne
souhaitons à personne le privilège de ne pas être riche...
Dans l'expression de l'harmonie tout est une question de mesure !
Que la richesse n'est pas une garantie de bonheur est une évidence.
Être pauvre peut signifier : ne pas posséder de superflu. À ce que
nous ne possédons pas nous ne pouvons pas nous attacher... Celui ou
celle qui est détaché du superflu peut plus librement porter son
attention vers ces valeurs là, qui ne sont pas tributaires du
temporel. Comment distinguer être et avoir... ?
55
a dit jésus
celui qui ne récuse pas son père et sa mère
ne pourra se faire mon disciple
et s'il ne récuse pas ses frères et ses sœurs
et ne porte sa croix comme moi
il ne sera pas digne de moi
101
celui qui ne récuse pas son père et sa mère comme moi
ne pourra se faire mon disciple
et celui qui n'aime pas son père et sa mère comme moi
ne pourra se faire mon disciple
car ma mère m'a enfanté
mais ma mère véritable m'a donné la vie
Mt 10. 37-38 - Lc 14. 26-27
La raison pour laquelle nous avons associé ces deux paroles est
évidente. Chacune nous confronte en outre avec un même problème de
traduction. Traduire est un exercice délicat ! Vingt siècles nous
séparent en effet du contenu d'une parole, émanant en plus d'une
culture foncièrement différente de la notre. Le verbe que nous avons
traduit par récuser fut, dans la tradition évangélique, traduite par
haïr. Cette traduction du grec misein n'est pas inexacte. Se pose
pourtant la question : pourquoi a-t-on opté pour l'interprétation la
plus extrême du verbe grec ? Il nous semble que le contenu que nous
accordons aujourd'hui au verbe haïr, n'est pas conciliable avec la
personne de Jésus. Il est probable qu'une traduction par prendre ses
distances pourrait bien être la plus appropriée aujourd'hui. En
effet, au logion 101 la valeur d'aimer est également mis en exergue.
Atteindre le stade d'adulte signifie pour l'enfant : prendre ses
distances par rapport au cocon familial sécurisant, pour s'engager
dans une voie de responsabilités et de choix personnels. Cet
engagement n'engendre nullement une haine envers ses parents ! Il
est clair pourtant que Jésus opte pour un engagement radical :
s'ouvrir au nouveau nécessite une rupture avec l'ancien. Accéder à
un stade adulte religieux suppose en effet un renoncement à des
valeurs imposées par d'autres pour s'engager dans la voie d'une
recherche personnelle et sincère. Ce cheminement là ne peut se faire
que dans la solitude d'une liberté personnelle.
La gnose de Jésus est une connaissance servante et donc libératrice.
Son disciple est un être libéré, qui porte en lui le germe de la vie
nouvelle. La liberté mentale, nécessaire à toute évolution
spirituelle, peut être entravée par des liens émotionnels. La
douleur inhérente à un détachement, symbolisée ici par le port d'une
croix, fait partie d'un processus évolutif menant à une vie
religieuse adulte. La liberté nouvelle, le fruit du détachement, ne
peut en aucun cas porter un préjudice à la pratique de l'amour !
Fait remarquable au logion 101 est que l'image de la mère se
substitue à celle du père. Vu le statut religieux de la femme juive,
cette substitution ne pouvait être que culturellement dérangeante et
ne facilitait certes pas l'accès à la parole imagée de Jésus. (voir
le logion 114) Par cette image il différencie la vie biologique, que
nous recevons de notre mère, de la vie véritable, que nous recevons
de notre mère véritable. La naissance biologique est une merveille
dont l'enfant n'est ni conscient, ni responsable. La naissance
spirituelle par contre nécessite un engagement conscient et
responsable.
La référence à la croix ne pourrait être une allusion à Golgotha,
puisque Jésus parle ici au présent. À lui aussi incombe la tâche
d'assumer les conséquences de son choix. Jadis celles-ci pouvaient
mener à une humiliation à une croix réelle...
56
a dit jésus
celui qui a connu le monde a découvert un cadavre
et celui qui a découvert un cadavre
le monde n'est pas digne de lui
80
a dit jésus
celui qui a connu le monde a découvert le corps
mais celui qui a découvert le corps
le monde n'est pas digne de lui
Deux logia qui se distinguent à peine. Il est probable que nous
sommes ici en présence de deux variantes d'une même parole. Il
importe toutefois d'en évaluer la différence. Car différence il y a
entre un cadavre et un corps et non seulement biologiquement ! Le
premier est inutile, le second par contre a une valeur certaine car
il est le moyen par lequel l'Esprit s'exprime en nous. (voir le
logion 29) Tout corps qui en soi-même a reconnu l'Esprit est devenu
vivant. Sinon il n'est que cadavre.
Les valeurs humaines qui régissent le monde sont relatives et donc
précaires. Elles déterminent pourtant la «conscience de soi»,
l'importance accordée à notre moi, le rôle qui nous incombe dans la
société . Mais dans celle-ci prévaut avant toute chose la loi du
lion, celle du plus fort, du plus influent, car à lui ou elle
appartient le pouvoir. De ce pouvoir je suis devenu dépendant, car
sournoisement il a restreint ma liberté. Cette prise de conscience
implique une invitation à une recherche de valeurs véritables dans
une direction différente. Des cadavres peuvent redevenir des corps,
retrouver la vie en reconnaissant l'Esprit. Celui ou celle, qui en
soi-même a reconnu l'Esprit, a surpassé les valeurs du monde : le
monde n'est pas digne de lui (ou d'elle)...
57
a dit jésus
le royaume du père est semblable à un homme
qui possédait une semence excellente
son ennemi vint la nuit et répandit de l'ivraie parmi la semence
excellente
l'homme ne laissa pas arracher l'ivraie
de peur dit-il que vous alliez en disant nous arracherons l'ivraie
et que vous arrachiez le blé avec elle
en effet le jour de la moisson les ivraies apparaîtront
elles seront arrachées et brûlées
Mt 13. 24-30
Matthieu est le seul évangéliste à rapporter cette parole, dans une
formulation nettement amplifiée il est vrai. En plus il fait suivre
son discours d'une interprétation qui de toute évidence, et comme ce
fut le cas pour l'ajout au parabole du semeur, ne pourrait être
attribuée à Jésus. Son interprétation peut en outre officier comme
exemple pour l'ivraie semée parmi la bonne semence... Ceci est devenu
hélas le sort réservé à bien de commentaires évangéliques !
Toutes et tous nous étions un jour un enfant de sept jours, exempts
encore de toute souillure, demeurant dans la pureté de l'union avec
notre source de vie. Ce que nous recevions alors correspondait à Sa
loi d'harmonie. De cette loi l'homme s'est séparé... Du fruit de
l'arbre de la connaissance - l'autorité du Créateur - Adam s'est
accaparé. Son savoir est devenu loi. Mais celui qui agit en fonction
d'un prétendu et donc prétentieux savoir ne peut causer que
perturbations. De celles-ci chaque enfant est devenu la victime. Ce
qui au commencement était vierge et pur sera bien vite souillé par
les conséquences de l'orgueil humain.
Une prise de conscience de cette évolution fatidique requiert, à
l'exemple du vieil homme au logion 4, expérience et réflexion. La
patience est une belle vertu ! Il n'est pas évident de distinguer
rapidement l'ivraie des fruits de la bonne semence... La faculté de
distinguer est tributaire de l'intelligence et donc d'une expérience
de la vie. Une perception exacte de valeurs ne peut s'opérer qu'à la
condition que notre conscience soit suffisamment épurée, purifiée,
de sorte qu'elle puisse redevenir comme de celle de l'enfant de sept
jours...
La loi de karma relie toute action à ses conséquences. Ce que nous
semons nous le récoltons ! Au chapitre 4 de l'évangile de Jean Jésus
nous propose cette image remarquable : semeur et moissonneur sont
un... Le jour de la moisson, qui fut perçu par Matthieu comme le jour
du jugement dernier, accompagné d'horreurs ô combien menaçantes, est
indissolublement rattaché au jour où semence et bonne terre ont
retrouvé leur unité... La où est le commencement là sera la fin... Comme
dans le jeu de l'oie, veuillez retourner à la case 18...
58
a dit jésus
heureux l'homme qui a connu l'épreuve
il a découvert la vie
L'épuration nécessaire, dont il était question dans le commentaire
précédent, ne peut s'opérer sans épreuves, sans peines... ! Cette
réalité fut déjà précisée par Jésus dans l'image d'une croix à
porter. Ce logion nous confronte à l'un des aspects les plus
délicats dans cette vie : l'expérience de la souffrance... Une
souffrance peut être subie, elle peut aussi être acceptée... Le sens
d'une épreuve, qui un jour nous plongea dans la détresse la plus
complète, peut des fois se révéler que des années plus tard... Souvent
une expérience douloureuse est nécessaire pour nous contraindre à
une juste réflexion, afin que nous puissions prendre conscience de
nos propres erreurs. Cette prise de conscience est essentielle dans
le cheminement que nous devons accomplir. La souffrance est comme un
garde-fou personnel, comme la loi de karma est le garde-fou de
l'harmonie universelle...
Une connaissance de la création relative nous apprend qu'à la base
de toute évolution se trouve une loi d'harmonie. Cette loi associe
particules élémentaires, atomes, molécules et cellules dans une
création continue. Parce qu'à l'homme et à lui seul est déléguée une
liberté d'action, lui seul peut interférer dans cette loi et causer
des perturbations. Mais la loi est absolue et toute perturbation
engendrera dès lors un réflexe, par lequel l'harmonie sera
préservée. En cela réside le sens de la loi de karma, qui préserve
l'harmonie dans le monde inférieur.
Karma signifie action. Lorsque nous agissons à l'encontre de la loi
d'harmonie, nous provoquons la perturbation d'un équilibre qui
cherche à se rétablir soi-même. Inexorablement, bon gré mal gré,
l'addition nous sera donc présentée... Si nous sommes capables de
percevoir la relation de cause à effet, nous pouvons, non sans
quelque peine il est vrai, en accepter les conséquences. En absence
de toute compréhension nous sommes confrontés à une injustice
intolérable...
Une des caractéristiques du monde créé est une interdépendance
permanente, qui concerne toute chose et tout être. Chaque
perturbation individuelle aura donc des conséquences collectives,
comme la collectivité entière pourra bénéficier d'une action
positive individuelle. Dans les conséquences de la loi de karma
toutes et tous, coupables ou innocents, nous sommes concernés, car
unis dans une solidarité universelle.
Depuis que l'homme est apparu sur terre il a été la cause de tant de
perturbations qu'il nous est impossible aujourd'hui d'évaluer à sa
juste valeur l'ensemble des conséquences de la loi de karma. Ce
manque de perception ne nous permet toutefois pas d'affirmer qu'un
évènement, dont le sens nous échappe, soit dépourvu de sens...
Attribuer la cause des épreuves que nous subissons à une volonté
divine, à un hypothétique pouvoir de satan ou à une fatalité,
implique une méconnaissance de notre propre responsabilité... ! Car
une liberté d'action est déléguée à l'homme. Sa responsabilité en
est la conséquence... Parce que, consciemment ou inconsciemment, tous
et toutes nous sommes intégrés dans la royauté du Père, dans Sa loi
d'harmonie et donc dans le développement de la vie sur terre, nous
sommes tous et toutes responsables de l'évolution de cette création.
Personne n'est exempt de fautes. Dans les conséquences de celles-ci
nous sommes tous solidaires... nonobstant notre ignorance, notre
perception de justice ou d'injustice... La prise de conscience de
cette réalité, la réflexion qu'elle peut susciter en nous, peut être
déterminante dans l'évolution de notre propre vie. Jamais pourtant
la souffrance ne pourrait être acceptée comme une maîtresse, à qui
nous avons fatalement à nous soumettre, ni ne pourrait-elle être
reconnue comme un moyen qui, à l'image de la souffrance du Christ,
peut nous ouvrir les portes du ciel...
Dans le Christ furent unifiés amour et souffrance. Cette association
présente une incompatibilité évidente... Car l'amour est une
expression d'harmonie, la souffrance par contre la conséquence d'une
disharmonie...
59
a dit jésus
scrutez celui qui est vivant tant que vous êtes vivants
afin que vous ne mouriez
et cherchant à le voir vous ne pourriez voir
À plus d'une reprise Jésus nous engage à ne pas abandonner notre
vigilance. Ce qui est acquis peut, par inadvertance, être perdu...
Toujours nous restons des êtres fragiles, marqués par nos faiblesses
! Même si nous sommes devenus conscients de notre tâche, du
cheminement qui doit être le nôtre, cette conscience peut à tout
instant être envahie par l'ivraie toujours présente et nous
détourner de la juste voie. Scruter celui qui est vivant signifie :
diriger notre regard vers la source de la lumière intérieure, celle
qui nous permet de voir. Car la réceptivité pour cette lumière
détermine la distinction entre vie et mort.
60
ils virent un samaritain qui portait un agneau et entrait en judée
il dit à ses disciples
que va-t-il faire de l'agneau
ils lui dirent
le tuer et le manger
il leur dit
tant que l'agneau est vivant il ne le mangera pas
mais bien s'il le tue et qu'il devienne cadavre
ils dirent
autrement il ne pourra pas faire
il leur dit
vous cherchez pour vous-même un lieu dans un repos
pour que vous ne deveniez cadavres et ne soyez mangés
La recommandation dans le logion précédant se répète ici de façon
plus explicite encore. Malgré que nous ayons pu accéder à une vision
nouvelle, que nous ayons relativisé la valeur de notre moi dans une
reconnaissance mentale de la source absolue de toutes nos facultés
et que nous soyons parvenu à un état de conscience plus serein, le
pouvoir de l'ancien n'est pas prêt à désarmer... La résistance de
l'ancien moi, investi de tant de respectabilité, n'est pas à
sous-estimer ! C'est lui qui peut nous faire régresser à l'état de
cadavre et nous donner à nouveau en pâture au lion...
Au logion 59 la recommandation de Jésus était : scrutez celui qui
est vivant tant que vous êtes vivants. Ici elle est : cherchez pour
vous-même un lieu dans un repos. Quelle concordance il y a-t-il
entre ces deux recommandations ? La direction vers laquelle nous
devons scrutez le vivant est intérieure, vers le silence du vide à
l'intérieur de nous, là se situe aussi le lieu du repos. Ceci nous
rappelle le logion 53 et sa circoncision en esprit.
En outre s'impose ici une réflexion étonnante... Le mot hébraïque
désignant un agneau est talya. Mais ce mot signifie également
serviteur. Une confusion est donc inévitable... Jésus est le
serviteur, pas l'agneau ! Car un serviteur sert tant qu'il est
vivant, un agneau ne sert que s'il est devenu cadavre... Paul honora
un cadavre... ressuscité il est vrai.
61
a dit jésus
deux reposeront là sur un lit
l'un mourra l'autre vivra
a dit salomé
qui es-tu homme
étant issu de un tu es monté sur mon lit
et tu as mangé à ma table
jésus lui dit
je suis celui qui est issu de celui qui est égal (*)
il m'a été donné ce qui est à mon père
- je suis ta disciple
à cause de cela je dis ceci
quand il sera désert il sera rempli de lumière
mais quand il sera partagé il sera rempli de ténèbres
Lc 17. 34-35 - Mt 24. 40-41 - Jn 14. 10 et 16. 15
Ce logion nous présente une rencontre particulière entre Jésus et
une femme, appelée Salomé. Une rencontre entre deux personnes, comme
celle avec la samaritaine dans l'évangile de Jean, suscite toujours
la question : comment cette conversion a-t-elle été transmise...? En
plus ce logion témoigne d'une certaine intimité. Une situation
insolite donc pour une conversation religieuse, sujet strictement
réservé alors à la gente masculine. Une telle discrimination n'a
toutefois pas sa place dans la gnose de Jésus.
Dans ses paroles nous reconnaissons les thèmes principaux de son
enseignement :
- le choix entre vie et mort
- l'unité avec le Père
- la nécessité de redevenir vide ou désert
La vision dont témoigne Jésus est radicale : ou nous devenons
vivants, ou nous restons morts. Il n'y a pas de demie mesure... Ou
nous rejetons le vin qui nous a enivrés et sommes-nous à nouveau
devenus vides, déserts, et donc réceptifs à la lumière intérieure,
ou nous demeurons dans le partage de la séparation et donc dans les
ténèbres...
La ligne 8, indiquée par (*) peut être l'occasion d'une réflexion en
profondeur ! Quelle est la nature du lien unissant le fils de
l'homme au Père...? Moi et le Père sommes un dit Jésus dans Jn 10. 30.
Unité signifie-t-elle identité...? La graine et la bonne terre sont
un, l'époux et l'épouse sont un... mais pas pareilles... Jésus se
présente ici comme : issu de celui qui est égal. Le fruit de la
graine est graine... La goutte de pluie, qui est issue de l'océan, ne
pourrait considérer l'océan comme son égal... Quoique... tous deux sont
H2O !
Bien qu'il était sans doute, comme le Bouddha, un être peu commun,
Jésus était aussi, comme en témoignent les évangiles, un être de
chair et de sang. Pour lui non plus il n'était pas toujours facile
d'exprimer sa connaissance dans un langage accessible à tous.
Parfois ses paroles ressemblent davantage aux koans du bouddhisme
zen...
62
a dit jésus
je dis mes mystères à ceux qui sont dignes de mes mystères
ce que ta droite fera
que ta gauche ne sache pas ce qu'elle fait
Mt 5. 3-4 Notez également la prétentieuse manipulation chez Mt 13.
10-13, Mc 4. 10-12 et Lc 8. 9-10
Une parole mystérieuse en effet, qui laissa des traces dans les
évangiles canoniques. Toute action conçue dans l'harmonie de l'unité
est une action juste. Elle est à la fois servante, libératrice et
dépourvue de toute expectation quant aux fruits qu'elle pourrait
nous apporter. Qui donne avec sa droite tout en désirant recevoir
avec sa gauche n'agit pas selon Sa loi...
«Sois concerné par l'action elle-même, non par ses fruits» nous dit
Krishna dans la Bhagavad Gita. «Tant que nos propres désirs
déterminent le choix de nos actions, nous demeurons dans un cycle
qui ne produit que souffrance» ainsi parle le Bouddha. Au chapitre 4
de l'évangile de Jean Jésus nous dit : semeur et moissonneur sont
un...
Les conséquences de l'action sont inhérentes à l'action elle-même :
ce que nous semons nous le moissonnons... Semeur et moissonneur sont
en effet un. Il n'y a pas de comptes a rendre, ni de droite à
gauche, ni à un Juge Suprême ! Cause et effet sont unis dans
l'action elle-même. En cela réside l'essence même de la loi de
karma.
La tâche du semeur est de semer... La conséquence de son geste ne le
concerne plus. La tâche du serviteur est de servir. Ni ce qu'il
donne, ni les conséquences de son service ne lui appartiennent. Même
la bonté, que nous pouvons exprimer et que fièrement nous nous
accordons à nous-mêmes, ne nous appartient pas ! Nous ne pouvons
être que reconnaissants de recevoir la faculté d'exprimer une bonté...
Celui ou celle, qui s'octroie quelque mérite que ce soit, s'attache,
se rend dépendant. Dépendance est manque de liberté... Dans Sa loi
point il y a de place pour une dépendance, seulement pour une
harmonie librement consentie !
63
a dit jésus
il était un homme riche qui possédait une grande fortune
il dit j'utiliserai ma fortune pour semer récolter planter
afin que je remplisse mes greniers de fruits
en sorte que je ne sois privé de rien
et cette nuit là il mourut
celui qui a des oreilles qu'il entende
Lc 12. 16-20
Si besoin en était, veuillez consulter le logion 42 ou 54
64
a dit jésus
un homme avait des invités
et lorsqu'il eut préparé le repas il envoya son serviteur
afin qu'il convie les invités
il alla au premier et lui dit mon maître te convie
il dit j'ai de l'argent pour des marchands
ils viennent ce soir et je leur donnerai des ordres
je m'excuse pour le repas
il alla vers un autre et lui dit mon maître te convie
il dit j'ai acheté une maison et il me faut un jour
je ne serai pas disponible
il vint chez un autre et lui dit mon maître te convie
il lui dit mon ami va se marier et je ferai le repas
je ne pourrai pas venir excuse moi pour le repas
il alla vers un autre et lui dit mon maître te convie
il lui dit j'ai acheté une ferme et irai recevoir le revenu
je ne pourrai pas venir je m'excuse
le serviteur vint et dit à son maître
ceux que tu as conviés au repas se sont excusés
le maître dit à son serviteur
va au bord des chemins
ceux que tu rencontreras amène les pour prendre le repas
les acheteurs et les marchands ne rentreront pas
dans les lieux de mon père
Mt 22. 1-10 - Lc 14. 15-24
Que représente le repas auquel ces personnes sont invitées, mais
qu'elles n'apprécient pas à sa juste valeur ? Est-ce une récompense
céleste qui nous attend au terme de nos épreuves terrestres ? La
dernière ligne du logion précise en effet qu'il s'agit bien du Père
qui invite. Et qui sont les conviés, acheteurs et marchands, qui se
sont excusés ? Ne s'agit-il pas de nous, qui aimons tant notre
profit...? Et ceux qui, finalement, sont conviés à la fête parce
qu'ils ont déjà entamé leur cheminement...? Ce festin pourrait-il
faire partie de la réalité de cette vie terrestre...?
La réalité biblique du paradis terrestre est considérée comme une
fabulation... Que cette vie puisse être vécue comme un festin nous
semble tout aussi fantaisiste ! Notre expérience quotidienne
s'oppose foncièrement à une telle vision. Pourtant ce n'est pas la
première fois que cet évangile nous confronte à une réalité peu
crédible. Dans l'ivresse qui est la nôtre, la pauvreté des ténèbres
dans lesquelles toujours nous demeurons, dans un savoir prétentieux
concernant Dieu et ses commandements, les lieux aussi où Il demeure,
bref, dans l'orgueil qui nous pousse à nous considérer nous-mêmes
comme les détenteurs d'une connaissance véritable, voir infaillible,
il nous est quasiment impossible d'imaginer une réalité différente,
qui serait la conséquence d'une vie vécue selon Sa loi d'harmonie... À
l'invitation de cette loi, à laquelle répondent pourtant
spontanément toutes les plantes, tous les animaux, toutes les
cellules de notre propre corps aussi, à cette invitation notre moi
reste sourd...
Ce que vous guettez cela est venu, mais vous ne le reconnaissez pas
était dit au logion 51. Comme le nirvana pour le Bouddha, la
participation dans la royauté du Père fait, selon Jésus, partie de
la réalité de cette vie. Chez Luc (17. 21) aussi nous lisons : car
le royaume de Dieu est au-dedans de vous... Une vie vécue dans l'unité
avec l'Être absolu, qui est à la fois source et loi, qui est
symbolisé par Jésus dans l'image d'un père, cela serait donc le
repas auquel tous et toutes nous sommes conviés ici et maintenant.
Si la réalité d'un festin, comme celle du paradis terrestre, eût à
l'origine fait partie du scénario de la création, qu'elle pourrait
bien être la cause de la tournure désastreuse qu'ont prise les
évènements ? Ce scénario pourrait-il encore être corrigé ? La
réponse à cette question nous confronte à la responsabilité de
chaque être humain sur cette terre. Car à lui seul est déléguée une
liberté d'action. Le prix de cette liberté s'appelle toutefois
responsabilité, tant individuelle que collective. Au logion 58 nous
avons tenté d'évaluer la loi de karma : dans l'action même réside sa
conséquence. Toute action juste tente à rétablir l'harmonie, toute
action fautive perturbe l'harmonie. Une action, émanant d'une
conscience qui méconnaît les valeurs véritables, aura toujours des
conséquences néfastes !
Depuis que l'homme, l'Adam, est apparu sur terre il a méconnu
l'autorité du Père, a renié Sa loi d'harmonie. Toujours nous sommes
l'Adam, car toujours ce sont nos désirs égocentriques qui
déterminent le choix de nos actions. Ce qui est sacro-saint dans
notre vie est moi, mon et ma... Voici ma famille, ma maison, mon
travail, mon droit, mon peuple, ma culture, ma foi... Il y a urgence à
dé-mon-ter un certain orgueil, à dé-mâ-ter un bateau ivre... Non pas
que nous ayons à répudier nos valeurs, mais une bonne dose de
relativisation pourrait bien convenir...
Un arbre est constitué de milliards de cellules, qui toutes sont à
l'écoute de Sa loi. Imaginez un instant que ces cellules se
comporteraient comme des êtres humains... Il n'y aurait plus d'arbre
mais un amas de poussière, car toute cohérence harmonieuse aurait
disparu ! Ce qui détermine notre comportement n'est pas une
responsabilité collective, mais un intérêt personnel. Cet état
d'esprit est, depuis la chute d'Adam, à l'origine d'une spirale de
négativité dont les conséquences sont devenues maintenant
incommensurables. Car impitoyablement la loi fustige toute
perturbation. Comme Jésus au logion 28, nous ne pouvons que faire un
constat désolant et reconnaître notre propre responsabilité.
Ce qui sur cette petite planète nous unis tous et toutes est
tellement plus important que ce qui nous sépare. Porter notre
attention vers ces valeurs, qui nous unissent dans une même source
de vie et sa loi, nécessite toutefois un abandon de préoccupations
égocentriques, qui nous rendent sourds à l'invitation la plus
essentielle. Celle ou celui qui a pris conscience de cette réalité
et s'est engagé dans la voie d'un juste cheminement, est convié à la
fête chez le Père.
Quelque soit l'image de cette réalité terrestre, qui puisse être la
nôtre, jamais elle ne pourrait constituer une excuse pour
méconnaître notre responsabilité ici et maintenant. Car tous
ensembles nous déterminons aujourd'hui une qualité de vie pour tous
ceux qui viennent après nous sur cette planète.
65
il a dit
un homme fortuné avait un vignoble
il le donna à des cultivateurs pour qu'ils le travaillent
afin d'en recevoir le fruit de leurs mains
il envoya son serviteur pour que les cultivateurs lui donnent
le fruit du vignoble
ils s'emparèrent du serviteur et le frappèrent
un peu plus ils l'eussent tué
le serviteur alla et le dit à son maître
son maître se dit peut-être ne les a-t-il pas reconnus (*)
il envoya un autre serviteur
les cultivateurs le frappèrent lui aussi
alors le maître envoya son fils se disant
peut-être respecteront-ils mon fils
puisque les cultivateurs le reconnaissaient comme l'héritier du
vignoble
ils le saisirent et le tuèrent
celui qui a des oreilles qu'il entende
Mt 21. 33-41 - Mc 12. 1-9 - Lc 20. 9-16
(*) Cette ligne fut traduite littéralement. Une erreur de
transcription est probable. Plus logique serait en effet : peut-être
ne l'ont-ils pas reconnu.
Cette vie biologique nous la recevons non pas comme un présent mais
comme un prêt. Un présent nous appartient, un prêt doit être rendu !
Si nous voulons jouir pleinement du prêt qui nous est confié, il
nous incombe de respecter des règles élémentaires. Avant toute chose
nous devons être et rester conscients que toutes les facultés, qui
nous sont déléguées et que nous considérons comme nôtres, ne nous
appartiennent pas. De ce prêt les fruits non plus ne nous reviennent
pas... En réclamer la possession est péché d'orgueil : s'accorder à
soi ce qui ne lui appartient pas... Ceci concerne non seulement les
fruits que nous récoltons mais également les droits, le savoir, le
pouvoir et même la bonté dont nous nous sommes parés.
Quand les conditions de vie nous sont favorables et nous permettent
une certaine aisance matérielle, nous avons le privilège de
découvrir et de jouir de bien de choses agréables, comme d'un bon
vin... Ceci n'a rien de réprimandable, à condition toutefois de rester
conscient de la source donatrice et de sa loi d'harmonie. Car une
jouissance ne peut se faire ni au détriment d'autrui, ni au
détriment de la nature. Le but du prêt, qui nous est confié, est
qu'il soit utilisé à bon escient. En tant que bons serviteurs il
nous incombe de cultiver le vignoble et d'en récolter les fruits.
La tâche du serviteur est de servir et donc de remettre au seigneur
du vignoble les fruits qu'il a récoltés. Ceci est le sens véritable
de l'offrande : l'homme élève le fruit de son service vers le Père
donateur. Par cette reconnaissance il s'élève lui-même à sa
véritable nature : celle de fils ou fille du père le vivant. Alors
seulement il jouira pleinement du vin qu'il aura produit dans
l'unité avec le seigneur du vignoble. Car point de festin sans vin !
Entendue dans une perspective chrétienne cette parole est
apparemment prophétique... Qui autre que le Christ crucifié
pourrait-il bien être symbolisé par le fils unique assassiné...?!
Cette image ne peut pourtant nous détourner de l'essence même du
message de Jésus, qui est que tous et toutes nous sommes enfants du
Père. Le sens de l'unique héritier appartient à l'image, qui tente
de nous démontrer que l'homme est prêt à tout pour s'accorder à
lui-même richesse et pouvoir, qui ne lui reviennent pas ! L'image du
propriétaire du vignoble symbolise une réalité absolue. Ce qui dans
l'image a un sens, ne l'a pas forcément dans la réalité symbolisée !
Dans l'absolu il ne pourrait être question d'héritage ...
66
a dit jésus
renseignez-moi sur la pierre
celle qu'ont dédaignée les bâtisseurs
c'est elle la pierre d'angle
Mt 21. 42-43 - Mc 12. 10-11 - Lc 20. 17-18
Jadis le choix de la pierre d'angle par les bâtisseurs était
considéré comme déterminant pour la qualité d'un édifice.
Symboliquement la pierre d'angle réfère donc à une valeur
essentielle dans la gnose de Jésus. La condition première pour
accéder à une juste vision religieuse est une recherche personnelle.
Celle-ci suppose la volonté de se remettre en question, de
relativiser des valeurs reçues, afin de s'engager dans une voie
spirituelle libératrice. Cette pierre d'angle fut toutefois méconnue
par les autorités religieuses, car elles ont caché les clefs de la
gnose. (voir le logion 39) À la place elles ont prôné leurs propres
vérités quant à Dieu et ses commandements. Un savoir prétentieux,
car inaccessible à l'homme, remplaça l'expérience de la gnose,
autorité devint pouvoir... En plus, l'engagement dans une voie de
recherche personnelle est un cheminement bien plus exigeant que
l'acceptation de prescriptions religieuses !
Comme la musique naît du silence et l'eau de la source jaillit du
vide, toute connaissance émane de la conscience individuelle. L'état
de pureté de la conscience détermine la qualité de toute
connaissance. Pour nous, humains, cette pureté ne se retrouve que
chez l'enfant de sept jours..., cet enfant que prétentieusement
certains croient devoir baptiser... La conscience elle-même représente
donc l'ultime pierre d'angle dont dépend la valeur de toute
évolution personnelle. Peu nombreux sont ceux ou celles qui l'ont
reconnue. Dans cette reconnaissance pourtant Krishna, Bouddha et
Jésus sont unis.
Les traditions religieuses orientales ont toujours une attention
particulière pour un cheminement personnel, dans lequel un rôle
prépondérant est réservé à la méditation. En occident, par contre,
nous sommes devenus les héritiers d'un savoir judéo-chrétien. Six
cent ans après Jésus est venu Mohammed. Tant le judaïsme que le
christianisme et l'islam se fondent d'une part sur la Bible
hébraïque et d'autre part sur le pouvoir de l'imaginaire de l'homme.
Certaines personnes furent reconnues comme prophètes ou envoyés
divins. L'Inconnaissable fut saisit dans un prétentieux savoir...
Celui-ci a mené et mène toujours à une démarche religieuse
dogmatique, qui fut et est toujours la cause de tant de
confrontations humaines sanglantes et douloureuses.
67
a dit jésus
celui qui connaît le tout
s'il est privé de lui-même
il est privé du domaine entier
La connaissance de soi serait donc la valeur fondamentale,
conditionnant tout savoir dans quelque domaine que ce soit. Cette
connaissance est celle du connaisseur, de la nature profonde du
«soi», qui a perçu et transcendé les illusions engendrées par
l'importance accordée au «moi».
Parmi les richesses naturelles, le domaine dans lequel il peut
réaliser la finalité de son être, l'homme s'est érigé lui-même comme
dominateur. Sur tout il peut régner. Dans cette ivresse il a négligé
la source de ses possibilités et sa loi inspiratrice, qui en tout
manifeste l'harmonie. Dans les ténèbres de son ignorance il s'est
égaré. Dans un prétendu savoir réside maintenant son pouvoir
illusoire... Parvenir à une juste connaissance de soi sous-entend une
prise de conscience qu'à l'intérieur de nous-mêmes tous et toutes
nous sommes unis à l'Être absolu. Cette prise de conscience engendre
la reconnaissance de notre responsabilité dans une participation à
Son autorité.
De la reconnaissance d'un lien qui nous unit à l'Être découle
également la reconnaissance d'un «soi» ayant un point d'attache avec
l'absolu. Ce «soi» est le «moi» qui s'est libéré de ses spécificités
psychiques et somatiques. Par ce «soi» chaque être est relié de
manière égale à sa source absolue. À travers le «soi» individuel
l'Esprit donne forme et contenu à des structures par lesquelles se
manifestent à la fois le corps, le psychisme et l'ego.
Chaque arbre se distingue de chaque autre, mais est de manière égale
relié à la terre : par ses racines. À travers ses racines il reçoit
le suc vital de la terre. À la superficie des radicelles les plus
fines, là où s'opère la transformation de la nappe phréatique en un
suc individuel, lui permettant une expression individuelle et
unique, là se situe le mystère du «soi» individuel...
Afin de réaliser sa finalité et de servir en produisant de nombreux
fruits, chaque graine doit cesser d'être graine, doit
obligatoirement passer par un processus de «démantèlement». Ainsi
chaque être, qui désire réaliser sa finalité, doit nécessairement se
libérer mentalement de toute attache au «moi» personnel. Cette
libération passe, selon l'enseignement de Jésus, par l'expérience du
repos dans le vide au plus profond de soi. Ce détachement mental -
la circoncision en esprit - nous révèle les richesses que chaque
«soi» individuel peut recevoir et exprimer en une créativité
personnelle.
Dans cette connaissance de soi, dans la prise de conscience qu'au
plus profond de nous-mêmes tous et toutes nous sommes unis à l'Être
absolu, notre terroir universel car spirituel, le vide dont le tout
est pénétré, réside la valeur et la responsabilité de chaque vie
individuelle. Dans cet état de conscience ne peut plus exister la
tentation d'accorder au «moi» les fruits que nous produisons...
La nécessité de relativiser notre moi personnel, d'en intégrer
l'importance dans le contexte d'une harmonie universelle, n'engendre
pourtant nullement la négation de l'ego individuel ! Toujours, à
l'intérieur de l'homme, son ego restera le principe centralisant de
la conscience individuelle. Pour lui son ego représente donc une
grande richesse. Mais dans la loi d'harmonie chaque individualité
sert l'unité. Dans cette serviabilité il ne peut exister de
dépendance. Aucune entité n'est plus importante qu'une autre. Aucun
rapport de force ne pourrait s'y manifester... Mais de cette loi
l'homme s'est distancé. Il a méconnu la tâche servante de son ego
pour en faire un ego dominateur... Dans cet orgueil il s'est enivré...
Ce qui est toujours une grande richesse, son ego, est devenu son
plus grand ennemi...
68
a dit jésus
vous êtes des heureux
lorsqu'on vous récuse et qu'on vous persécute
et qu'il ne sera trouvé de traces en vous là où vous étiez
persécutés
Mt 5. 11 - Lc 6. 22
La traduction de la dernière ligne pose quelque problème. La
transcription mot à mot en est : et ne sera pas découvert de lieu
dans l'endroit où vous aurez été persécutés en vous.
Lorsque le «moi» s'est libéré, s'est détaché des valeurs somatiques
et psychiques qui lui sont propres et a pris conscience du «soi»
véritable, il est devenu invulnérable face à l'agression des autres.
Douleur et souffrance font partie du monde inférieur et ne peuvent
sévir tant qu'existe une dépendance des lois inférieures. C'est la
raison pour laquelle, en fait, chaque être porte en soi la cause de
sa propre souffrance... Une libération totale engendrerait donc une
indépendance de la loi de karma et, par conséquent, du mal causé par
autrui. Une gifle sur la joue droite ou sur la gauche ne pourrait
plus nous perturber...
Cette dernière réflexion, présente également dans les évangiles
canoniques, ressemble davantage à un joli conte de fée qu'à la
réalité du vécu... L'expérience du cheminement nous apprend pourtant
que notre vulnérabilité, bien qu'elle soit toujours présente, peut
ostensiblement décroître. Plus nous devenons réceptifs à la lumière
intérieure, moins nous nous laissons perturber par des ombrages...
Cette expérience peut nourrir le rêve d'un futur bien plus bel
encore...
L'enseignement de Jésus est l'expression de son expérience
personnelle, de sa gnose. Ici il nous apprend que lorsque nous
demeurons dans l'harmonie de l'unité, nous ne pouvons plus être
touchés par l'agressivité de qui que ce soit. Ceci concerne donc au
premier chef sa propre personne. Comment expliquer dès lors que
Jésus lui-même aurait connu la souffrance...? Qu'ont observé les
hommes et qu'elle était la réalité à l'intérieur de lui-même...? En
quoi, par ailleurs, pourrait consister la valeur d'une glorification
de la souffrance qui, en fait, est la conséquence d'un état de
disharmonie et non d'unité...? Ce pourrait-il que la souffrance d'un
autre puisse être salvatrice pour nous-mêmes...? Est-ce bien
raisonnable d'accorder à la souffrance d'un homme un effet
rédempteur pour toute une humanité, passée et à venir...? Cette
représentation des faits ne signifie-t-elle pas pour nous tous une
solution de facilité...? La glorification de la croix, dans le sillage
de la théologie paulinienne, n'eut-elle pas pour conséquence de
méconnaître la valeur libératrice de la parole de Jésus...?
69
a dit jésus
heureux sont ceux qui ont été persécutés dans leur cœur
ils ont connu le père en vérité
heureux sont ceux qui sont affamés
car sera rassasié le ventre de qui veut
Mt 5. 6 - Lc 6. 21
Cette parole s'associe à la parole précédente, au logion 58 aussi.
Toute expérience de souffrance ou de peine est un moyen par lequel
nous pouvons évaluer notre vulnérabilité et de nos limitations. Car
jamais nous ne serons à même de déceler le sens de ce qui peut nous
survenir. Puisque notre intelligence ne peut avoir accès au domaine
de l'absolu, les conséquences de la loi de karma sont un défi
constant pour notre perception de justice. Dans ces restrictions
demeure notre vulnérabilité...
Toute épreuve peut engendrer une sagesse. Plus nous sommes attachés
aux valeurs inférieures - et les êtres aussi font partie du monde
inférieur - plus nous sommes confrontés à notre fragilité
intérieure. Cette expérience est hélas nécessaire pour évaluer
quelles valeurs nous rendent forts et quelles sont celles qui nous
fragilisent, afin de déterminer pour nous-mêmes une juste échelle de
valeurs existentielles. Parce qu'existe la lumière, existent les
ténèbres... Celui ou celle qui a soif de lumière, qui est affamé
d'harmonie, peut en découvrir la source à l'intérieur de soi-même et
évaluer la force qu'elle peut lui donner.
Au chapitre 4 de l'évangile de Jean l'image de l'eau est reprise par
celle du pain. Le sens de l'image reste toutefois inchangé.
Quiconque découvre la source véritable en soi-même ne sera non
seulement plus jamais assoiffé ou affamé, mais sera source lui-même.
Ceux qui dans le désert ont mangé la manne du ciel sont morts... Mais
celui qui mange le pain que donne mon Père vivra... (Jn 6. 30 et
suite) La condition toutefois pour apprécier ce pain est d'être
affamé...
70
a dit jésus
quand vous aurez engendré cela en vous
ce qui est vôtre vous sauvera
si vous n'avez pas cela en vous
ce qui n'est pas vôtre vous tuera
La vie est un processus évolutif, caractérisé par une croissance
spontanée et dirigé par une loi absolue. La tâche du semeur est de
semer... Ce qu'engendre l'unité de la graine et de la bonne terre
n'est plus de sa compétence. La vie se manifeste spontanément ! Il y
va de même pour le nouveau, qui peut s'épanouir dans notre
conscience. Mais pour engendrer cela en nous il est nécessaire de
labourer le terroir de notre conscience, afin qu'il devienne de la
bonne terre. En cela consiste le nécessaire processus de
purification intérieure. Alors seulement la vie pourra se manifester
spontanément et engendrer cela en nous, par une intégration du
supérieur dans l'inférieur.
Ce qui est le fruit du supérieur a une valeur absolue. Il ne s'agit
plus d'un prêt mais d'un présent... ! Qui reçoit la lumière n'est plus
une ténèbre ! Qui n'a pas cela en soi est mortellement malade...
71
a dit jésus
je renverserai cette maison
et personne ne pourra la reconstruire
Une fois de plus se pose la question de savoir en quelle
circonstance cette parole fut dite. Que signifie cette maison ? En
plus, jamais la tâche du fils de l'homme ne pourrait s'exprimer par
une destruction, un combat «contre», un renversement... Une
interprétation plausible ne peut, à notre avis, se dévoiler que par
une référence au logion 66 et sa pierre d'angle.
Lorsque la pierre d'angle est méconnue par les bâtisseurs, l'édifice
ne peut être solide. En le renversant cela peut être démontré...
Combien de croyances ne furent-elles pas fondées sur des pierres
d'angle plus que douteuses...?
72
un homme dit à jésus
parle à mes frères
afin qu'ils partagent les biens de mon père avec moi
il lui dit
homme qui a fait de moi un partageur
il se tourna vers ses disciples et leur dit
suis-je un partageur
Lc 12. 13-15
La tâche de Jésus est élevée au dessus des lois conçues par l'homme,
afin de maintenir un ordre équitable dans ce bas monde. Une loi peut
être bonne ou mauvaise. Cela ne le concerne pas. Lorsqu'une femme
fut sur le point d'être lapidée, il ne s'est opposé ni à un
jugement, ni à une loi. «Que celui qui est sans fautes jette la
première pierre...» Il confronte l'homme à soi-même, à sa
responsabilité.
D'autre part Jésus ne pourrait pas non plus être considéré comme un
médiateur entre Dieu et les hommes. Le but de sa parole est de
témoigner d'une lumière intérieure. La lumière n'intercède, ni ne
départage, elle illumine... Quiconque se rend réceptif à sa parole et
en recherche le sens véritable, peut bénéficier de l'illumination de
son enseignement et reconnaître son «soi» véritable. Cette voie de
rédemption chaque être doit l'assumer personnellement, sans
médiateur. Voilà le défi que nous propose Jésus. Au besoin retournez
au logion 38.
73
a dit jésus
la moisson est abondante mais les ouvriers sont rares
priez donc le maître qu'il envoie des ouvriers à la moisson
Mt 9. 37-38 - Lc 10. 2
En sa plénitude la vie est à notre disposition, car la moisson est
abondante. Les rares ouvriers, qui ont atteint le lieu de la
moisson, nous rappellent ceux qui, au logion 64, eurent accès au
repas parce qu'ils parcouraient déjà le chemin... Parcourir le chemin
suppose un engagement conscient, une volonté de se remettre en
question, une prise de conscience de la nécessité d'une purification
intérieure, afin de devenir réceptif à l'invitation du Père. Là où
est le commencement, où demeure l'enfant de sept jours, où se
réalise l'unité de la semence et de la bonne terre, là aussi est le
lieu de la moisson. Celle ou celui, qui connaît l'endroit de
l'unité, en connaît aussi la voie et participera dans la moisson. Je
suis la voie, la vérité et la vie... (Jn 14. 6) Comme ce fut le cas
pour le repas, l'invitation appartient au Père. La réponse toutefois
ressort de notre responsabilité...
L'image d'une moisson abondante est elle aussi peu conciliable avec
notre vécu réel... L'attente d'une moisson dans l'au-delà est-elle
toutefois plus réaliste...?
74
il a dit
maître nombreux sont ceux autour du puit
mais personne dans le puit
75
a dit jésus
nombreux sont ceux qui se tiennent près de la porte
mais ce sont les monachos
qui entreront dans l'endroit du mariage
Au logion 74 Jésus utilise l'image d'un point d'eau, d'un puit, qui
dans les régions arides est source de vie. Au logion 75 il nous
propose l'endroit du mariage, le lieu où est fêtée l'unité de
l'homme et de la femme, une unité qui est source de vie nouvelle. Le
symbolisme d'une source a déjà été utilisé à maintes reprises. (voir
le logion 29) L'image du mariage rappelle celle de l'unité de la
semence et de la bonne terre. Tant pour le puit que pour le mariage,
l'invitation est d'entrer à l'intérieur.
Au départ de toute vie biologique humaine se trouve l'union d'un
spermatozoïde et d'un ovule : l'unité du masculin et du féminin. La
transposition de l'image biologique vers une réalité spirituelle est
une démarche qui, dans les évangiles canoniques, est restée muette...
Culturellement il était alors en effet plus que délicat d'accorder à
la femme une valeur égale à celle de l'homme. (voir le logion 114 !)
Dans son élévation de Jésus en tant que fils de Dieu, le psychisme
paulinien ne pouvait concevoir l'image d'un Christ de chair et de
sang, qui en plus serait «souillé» par quelqu'acte sexuel... Dans les
évangiles Jésus figure donc comme un époux sans épouse...! En
s'accordant à elle-même le statut d'épouse du Christ, l'Église parât
de manière plus que douteuse à sa propre incompréhension...
Se tenir autour du puit ou près de la porte du mariage n'est pas la
bonne démarche. Que peut faire la différence entre une présence à
l'extérieur et celle à l'intérieur ? Au logion 75 la réponse est
limpide : le monachos. Ceux ou celles, qui flânent autour du puit,
qui, poussés par quelque curiosité, se tiennent près de la porte du
mariage, préfèrent pourtant la terre ferme qui porte leurs pas ou la
douce insouciance à l'abri de murs sécurisants de leur foi... Une
simple curiosité ne suffit pas pour s'engager vraiment dans une voie
de recherche spirituelle !
Le monachos s'est libéré dans son esprit, a relativisé la valeur du
«moi» tributaire de normes relatives et précaires, et a reconnu sa
valeur véritable dans le lien l'unissant à l'Être absolu. Cette
union lui a révélé sa finalité de serviteur dans l'autorité du Père.
Dans la prise de conscience d'un lien intérieur et donc vertical - à
l'image du puit - il s'est débarrassé de liens horizontaux. Détaché,
libéré, le monachos est devenu un dans la source et participe dans
la fête du mariage.
Le monachos n'est pourtant reconnaissable à aucun signe extérieur.
C'est l'état d'esprit intérieur qui importe. Son engagement dans la
société est marqué par une intégration de la lumière intérieure dans
sa conscience. La tâche du monachos n'est ni de fuir la disharmonie,
ni de la combattre, mais de faire rayonner cette lumière intérieure.
Toute forme de spiritualité suppose un cheminement intérieur. Ce
cheminement fait nécessairement partie d'un équilibre mental
naturel, qui détermine l'évolution de l'homme. Mais cette voie fut
méconnue par les autorités religieuses. Notre parcours fut délimité
par des commandements et des interdits, accompagnés de la menace
d'une éternelle torture infernale... C'est la manière que choisit
l'Église pour nous faire connaître l'enseignement de Jésus... à moins
que ce ne soit la doctrine de Paul...
Aujourd'hui, et depuis quelques décennies, nous constatons dans le
monde occidental, un renouveau spirituel inspiré par l'exemple
oriental. Bien que ce phénomène, appelé «new age», témoigne trop
souvent d'un mimétisme superficiel, il reflète néanmoins un besoin
réel de spiritualité, auquel une Église arthrosée ne peut répondre.
Cet évangile n'a pourtant pas sa place dans une vitrine «new age» !
La metanoia, à laquelle Jésus invita ses disciples voici deux mille
ans, était alors de toute évidence trop radicale pour être entendue.
Aujourd'hui son invitation est plus que jamais actuelle. Reste à
voir ce que vingt siècles d'histoire ont pu apprendre à la
conscience humaine... L'homme est-il prêt aujourd'hui à une véritable
et nécessaire introspection... ? Son éveil est-il tel qu'il puisse
vivre sa liberté, sa responsabilité, son intelligence et son amour
dans une communion spirituelle avec la source de toutes ses
facultés... ?
76
a dit jésus
le royaume du père est comparable à un marchand
qui possédait un ballot et découvrit une perle
le marchand était un homme sage
il vendit le ballot et acheta pour lui cette perle
vous aussi cherchez le trésor qui ne périt pas
qui demeure dans l'endroit où la mite ne peut le manger
ni le ver ne peut le détruire
Mt 13. 45-46 et 6. 19-20 - Lc 12. 33
Le choix que fait le marchand est comparable à celui du pêcheur
avisé au logion 8. Ici le marchand opte pour la valeur inaltérable
de la perle plutôt que pour ses biens périssables. Une fois de plus
est mis en exergue l'importance de l'intelligence, de la faculté de
discernement qui nous est confiée. C'est un trait caractéristique
qui distingue cet évangile des évangiles canoniques, où l'amour du
prochain et le don de soi sont bien davantage à l'honneur.
L'intelligence au service d'une réflexion religieuse libre et
personnelle - comme, entre autres, Teilhard de Chardin en fit
l'expérience - ne fut hélas jamais appréciée par les autorités
ecclésiastiques...
Comme nous est déléguée la faculté d'aimer, au même titre nous est
déléguée la faculté de réfléchir... Dans l'autorité du Père notre
tâche consiste à faire un usage optimal de toutes les facultés mises
à notre disposition. Cela fait partie de notre responsabilité, qui
est la conséquence de la liberté qui elle aussi nous est déléguée.
En outre, toute expression de bonté n'a de valeur que si l'action se
fonde sur une juste connaissance !
77
a dit jésus
je suis la lumière qui est sur eux tous
je suis le tout
le tout est venu de moi (*)
et le tout est venu à moi
fendez le bois là je suis
soulevez la pierre là vous me trouverez
Jn 8. 12
(*) Nous soupçonnons ici une inversion des lignes 4 et 5.
L'expérience de la lumière intérieure, du vide dont le tout est
pénétré, est en effet la base de l'expression qui peut en être
faite.
L'expérience d'un état de conscience d'unité, dont témoignent
mystiques et yogi, ne peut s'exprimer en paroles... La parole
appartient au monde relatif et s'exprime donc en termes dualistes.
La lumière et sa source sont un... Celui ou celle qui en soi-même
reconnaît cette lumière est un avec la lumière et donc uni à sa
source, qui est aussi le vide... Le vide est «cela» qui pénètre le
tout, qui permet l'expression de chaque vibration, de chaque
particule élémentaire, de chaque atome. Dans l'inférieur «cela»
s'exprime en énergie et matière, en images et couleurs. Au plus
profond de l'être du monachos «cela» se manifeste comme une lumière
embrasante : je suis être, parce que le vide me pénètre de sa
lumière et m'élève dans sa source... Ceci n'est pas l'expression d'une
exaltation de soi, mais la reconnaissance d'une intégration dans et
au service de l'Être absolu.
Ceux qui voient dans l'inférieur ne distinguent que des couleurs...
Celle ou celui qui connaît la lumière, connaît toutes les couleurs !
Qui reconnaît la source dans le vide, voit le tout en soi et
soi-même dans le tout. La suspicion de panthéisme, dont ce logion
fait l'objet, appartient à ceux qui voient avec deux yeux et ne
distinguent que des couleurs. Pour la lumière dans les couleurs
leurs yeux sont encore trop faibles, leur conscience trop aveugle...
78
a dit jésus
pourquoi êtes-vous sortis vers la campagne
pour voir un roseau agité par le vent
et pour voir un homme paré de vêtements délicats
là sont vos rois et vos supérieurs
ceux-ci portent des vêtements délicats
et ils ne pourront pas connaître la vérité
Mt 11. 7-10 - Lc 7. 24-27
D'où vient le roseau et d'où le vent qui l'agite ? Ils témoignent
d'une vie pure, spontanée et naturelle. La connaissance de la nature
et de ses lois est une opportunité pour relativiser tout prétentieux
pouvoir humain. Chaque expression naturelle répond en effet à une
loi absolue d'harmonie. Dans la reconnaissance d'un lien permanent,
unissant toute expression relative à sa source absolue, réside la
conscience religieuse universelle.
Notre attention se porte hélas bien plus aisément vers un spectacle
artificiel présenté par de hauts dignitaires parés de vêtements
délicats. Ce n'est pourtant pas auprès de ces gens là, détenteurs de
savoir et de pouvoir, que nous découvrirons la sagesse véritable...
L'enseignement que nous donne la nature est bien plus précieux qu'un
cortège de professeurs ou de cardinaux...
La mention de rois nous pose un problème... Le fait qu'il s'agisse ici
d'un pluriel suppose un usage malpropre du mot. Car un roi est
unique... et n'est pas à confondre avec des supérieurs ordinaires...
79
une femme dans la foule lui dit
heureux le ventre qui t'a porté et les seins qui t'ont nourri
il lui dit
heureux sont ceux qui ont entendu la parole du père
et qui l'ont gardée en vérité
car il y aura des jours où vous direz
heureux le ventre qui n'a pas conçu
et les seins qui n'ont pas allaité
Lc 11. 27-28 et 23. 29
Ainsi que Paul nous en donna un témoignage explicite, l'espoir d'un
avènement divin libérateur était solidement ancré dans l'esprit des
juifs. L'histoire du peuple «élu par Jaweh» est marquée par de
nombreuses dominations étrangères. Un jour viendrait pourtant où
l'autorité divine serait rétablie. Mais avant que cela puisse se
faire la venue d'un Messie était nécessaire. Ceux, qui jadis furent
reconnus comme tel, n'ont pu mener leur tâche à bien. Peut-être
cette femme a-t-elle reconnu en Jésus un prophète illuminé ou même
le Messie tant attendu... Hélas, il ne peut que la désabuser. Ils ne
se trouvent pas sur la même longueur d'onde...
L'avènement libérateur qu'espèrent les juifs n'est qu'un rêve. Comme
n'est qu'illusion l'alliance qu'ils croient avoir avec leur Dieu. Il
n'est pas évident de remettre en question des convictions aussi
profondément enracinées dans les esprits et qui détiennent en plus
une réponse à des angoisses existentielles. Ce constat est valable
tant pour l'homme moderne, que pour les contemporains de Jésus. La
réalité représentée dans l'image d'un royaume est bien réelle, mais
elle ne correspond pas à l'attente juive. L'avènement du royaume
n'est pas le happening, tel qu'il fut conçu dans la Bible hébraïque
et reconnu par Paul, mais une réalité intérieure, qui ne peut se
révéler qu'au terme d'un cheminement intérieur. En cela consiste la
parole du Père, que Jésus tente d'exprimer. Seulement voilà : ils ne
l'écoutent pas. Il ne peut que constater la confusion et tenter de
les préserver d'une attente illusoire et d'alléluias présomptueux...
Toujours la loi de karma accomplira sa tâche et fustigera les
erreurs humaines, faisant des victimes parmi coupables et innocents.
Ceci peut nous paraître contraire à tout sentiment de justice,
contraire aussi à l'image d'une l'infinie bonté divine... Pour des
images l'homme seul est responsable. La loi est ce qu'elle est :
imperturbable et impitoyable...
80 voir le logion 56
81
a dit jésus
celui qui s'est fait important qu'il se fasse roi
et celui qui exerce un pouvoir qu'il renonce
110
a dit jésus
celui qui a trouvé le monde et s'est fait important
qu'il renonce au monde
Autorité et pouvoir sont deux notions distinctes, qui dans notre
société et probablement depuis que l'homme est apparu sur terre,
sont très aisément confondues. Le fruit naturel de toute
connaissance est autorité. Dans l'histoire biblique elle fut
symbolisée par le fruit de l'arbre de la connaissance, dont Adam
s'est accaparé. Une autorité repose sur une connaissance mise au
service et donc libératrice pour autrui. Quiconque exerce un pouvoir
ne met pas sa connaissance au service d'autrui, mais sert soi-même
afin de se faire important. Tout exercice de pouvoir restreint la
liberté d'autrui.
Cette confusion fut fatale à ceux qui se sont considérés comme les
héritiers des disciples. Depuis que l'empereur romain Constantin
fit, au quatrième siècle, de la croyance chrétienne religion d'état,
l'autorité religieuse et le pouvoir politique, Dieu et César, se
sont épousés. Jamais une telle alliance contre nature n'eût pu être
conçue... surtout pas au nom de Jésus, le serviteur, qui jamais ne
s'est rallié aux puissants mais a toujours pris partie pour les plus
faibles... En Jésus est en effet personnifié le témoignage que jamais
une connaissance religieuse ne pourrait engendrer quelqu'exercice de
pouvoir que ce soit...
Chaque croyance se fonde sur une prétendue connaissance du divin,
qui fut concrétisée dans des commandements et des interdits. Ceux-ci
furent présentés comme étant d'origine divine et donc irrévocables.
Cette connaissance n'a pas été mise au service de l'homme, pour lui
elle n'était pas libératrice mais contraignante : autorité est
devenue pouvoir... Renoncer à toute implication dans un exercice de
pouvoir est le message évident qui nous est présenté dans ces deux
logia. Car quiconque participe à un pouvoir subit la loi du lion.
L'histoire de l'Église de Rome illustre bien toutes les conséquences
que peuvent engendrer aussi bien la confusion entre autorité et
pouvoir que le désir de s'octroyer un pouvoir...
Du logion 81 est à déduire que le titre de roi n'est pas à confondre
avec un exercice de pouvoir ! L'autorité royale engendre elle aussi
une responsabilité au service des autres. La confusion entre
autorité et pouvoir trouve son origine dans la conscience
individuelle et appartient donc à la responsabilité de chaque être.
Lorsque, victime de perturbations, la conscience se trouble, le moi
se fait orgueilleux et s'accorde un pouvoir, il s'engage dans une
voie fatale illustrée par l'histoire du péché originel. Adam -
l'homme - s'est accaparé du fruit de l'arbre de la connaissance et
s'est ainsi octroyé un pouvoir dirigeant dans la création. Il a
confondu être et avoir, donner et prendre... Le geste d'Adam n'était
pas donnant mais prenant... Inexorablement ce geste fut sanctionné par
la loi de karma.
Toujours son orgueil est nôtre... Toujours, et nonobstant la croix,
une lucidité rédemptrice nous fait défaut... La prise de conscience
des conséquences dévastatrices de l'orgueil humain, qui a usurpé
tant d'un savoir que d'un pouvoir illicite, est déterminante dans le
choix de notre réponse à l'invitation de Jésus dans cet évangile.
82
a dit jésus
celui qui est près de moi est près de la flamme
et celui qui est éloigné de moi est éloigné du royaume
Origines - homilia in Jeremiam 20.3 : j'ai lu quelque part que le
Sauveur a dit - je me demande si on a mis ces mots dans la bouche du
Sauveur ou si on l'a cité de mémoire ou bien encore si ce qu'on dit
est vrai - en tout cas voici ce que le Sauveur dit en ce passage :
celui qui est près de moi est près du feu, celui qui est loin de moi
est loin du royaume.
Hors mis le soleil et la lune, une flamme représentait alors
l'unique source de lumière. La source de la lumière véritable Jésus
l'a reconnue à l'intérieure de lui-même. Qui est près de lui est
donc près de la source. Il est évident que cette proximité n'est pas
physique mais spirituelle ! L'expérience d'un lien spirituel ne
repose ni dans le temps ni dans l'espace. Celle ou celui qui s'est
élevé à l'état de conscience de Jésus, transcende temps et espace et
est unifié à lui dans la royauté du Père.
83
a dit jésus
des images apparaissent à l'homme
et la lumière qui est en elles est cachée
dans l'image de la lumière du père elle se dévoilera
et son image sera cachée par sa lumière
Cette parole nous invite à une réflexion peu commune ! Le symbolisme
de la lumière était déjà présente au logion 50. La lumière est
source de visibilité, bien qu'elle-même soit invisible... En effet, la
nuit nous voyons la lumière de la lune au milieu des ténèbres. Nous
savons pourtant que la lune n'est pas un astre, qu'elle n'est pas
une source de lumière. Elle réfléchit la lumière du soleil, qui est
donc bien présente là où nous ne voyons que ténèbres... De même une
projection cinématographique ne peut se passer d'un écran, dont la
matière rend visible les images portées par la lumière. Dans une
union harmonieuse avec la matière la lumière est servante, afin de
nous révéler les images qu'elle porte en elle.
La lumière du Père est d'une nature différente. Elle est la lumière
intérieure, qui inspire à une connaissance ou une vision nouvelle, à
un engagement plus conforme à notre finalité. Reçue par l'écran de
notre conscience elle est appelée pneuma, Esprit, «le souffle» du
Père. Par elle, et uniquement par elle, la réalité proposée par
l'entremise de l'image d'un père peut se révéler en nous. La
révélation de la présence d'une réalité intérieure absolue ne peut
toutefois être confondue avec l'impossible connaissance de cette
réalité...
Imaginez un instant un bel après-midi d'été, inondé de lumière. Dans
l'image de la lumière nous est révélée sa source : le soleil. Mais
le soleil lui-même nous est caché... par sa lumière ! Ainsi toujours
l'image du Père nous sera cachée par sa lumière... Aucun être ne peut
se prévaloir d'une connaissance du Père, il ne peut être qu'ébloui...
Théologien, où est ton deuil...?
84
a dit jésus
les jours où vous voyez votre ressemblance vous êtes réjouis
mais lorsque vous verrez vos images
qui étaient avant vous au début
qui ne meurent ni se manifestent
combien supporterez-vous
Dans les images, que nous percevons de nous-mêmes, par l'entremise
du miroir que d'autres nous proposent, nous distinguons notre moi.
Ces images peuvent nous flatter ou nous décevoir... Elles sont
pourtant déterminantes pour l'image que nous concevons de
nous-mêmes. Quelque puisse être l'importance de «l'image de soi»,
toujours cette image sera fondée sur des valeurs relatives et donc
éphémères. Si nous voulons voir notre image véritable, qui se cache
derrière l'image de soi, il est nécessaire de transcender les
valeurs relatives. Car le «soi véritable», dont le moi n'est que
l'expression visible et temporelle, réside dans la lumière
intérieure qui est invisible et intemporelle. C'est la raison pour
laquelle le «soi véritable» est invulnérable... (voir le logion 67)
Dans ce «soi» chaque être est de manière égale unifié à l'Être
absolu.
85
a dit jésus
adam est issu d'une grande puissance et d'une grande richesse
et il n'a pas été digne de vous
car s'il eût été digne il n'aurait pas goûté la mort
L'histoire du péché originel fait partie de la culture juive. Reste
pourtant la question de savoir comment ce récit biblique fut perçu...?
Le geste d'Adam est-il considéré comme un péché unique d'un homme,
pour lequel Dieu a puni l'humanité entière, ou s'agit-il d'un conte
symbolique fustigeant l'état d'esprit orgueilleux de l'être humain
qui, reniant l'autorité du Créateur, s'est accordé à lui-même un
pouvoir illicite ?
La loi d'harmonie, qui préside à toute expression de la vie dans son
infinie diversité, appartient au supérieur. De cette loi aucun homme
ne peut s'octroyer l'autorité. Toute usurpation est geste d'orgueil.
Poussé par son savoir prétentieux l'homme s'est séparé d'une
autorité absolue - une grande puissance et une grande richesse -
dont la loi d'harmonie est l'expression.
Toujours nous sommes l'Adam, car orgueilleusement nous nous
accordons toujours un savoir et un pouvoir illicite. Depuis Abraham
et jusqu'à aujourd'hui des hommes s'imaginent être les interprètes
d'une «volonté divine». Toujours des hommes abusent d'une prétendue
connaissance du divin afin d'imposer un pouvoir à d'autres. Il est
illusoire de croire que la croix a libéré l'humanité de ce «péché
originel» ! Une prise de conscience de notre orgueil, qui toujours
nous isole de la source unique dont est issu Adam, est la condition
première à une reconnaissance de notre finalité et à un engagement
dans la voie libératrice d'une véritable connaissance de soi.
L'expression : il n'a pas été digne de vous peut susciter la
présomption que Jésus considère ses disciples comme des êtres
quasiment parfaits. Cet évangile nous enseigne pourtant bien souvent
le contraire... Il est probable qu'il fait ici allusion à l'image dont
il est question au logion précédent : le potentiel absolu présent
dans chaque être.
86
a dit jésus
les renards ont leur tanière et les oiseaux ont leur nid
mais le fils de l'homme n'a pas d'endroit
où incliner sa tête et se reposer
Mt 8. 19-20 - Lc 9. 17-18
La nature est la matrice biologique d'où sont issus l'animal et
l'homme. Elle est aussi la terre nourricière qui nous permet un
développement libre et harmonieux. Elle est en plus une mère pleine
de sagesse, qui nous enseigne les valeurs de l'harmonie, tantôt
généreuse tantôt péniblement sévère. Car la loi, qui préside à son
expression, est aussi celle qui dirige toutes les cellules de notre
corps. Seulement, l'expression de cette loi engendre à l'intérieur
de l'homme un tel raffinement de son cerveau, qu'il se considère
comme étant supérieur à la nature. En une certaine mesure il est en
effet capable de subordonner la nature, de domestiquer des animaux.
Mais ici aussi l'orgueil de l'Adam a sévi !
L'homme ne peut impunément manier la nature, la maltraiter pour en
tirer un profit. Car elle n'est qu'un prêt, dont rien ne lui
appartient, ni tanière, ni nid, ni quelqu'endroit que ce soit. Ici
également la loi de karma est de rigueur et pour chaque abus nous
est présentée une note de frais... Trop souvent hélas nous préférons
ignorer les nombreux avertissements que la nature nous adresse. La
nécessité de vivre en harmonie avec la nature est pourtant un souci
tellement plus concret que la reconnaissance d'une source
d'harmonie, aussi bien dans la nature qu'à l'intérieur de
nous-mêmes. Seulement voilà, aussi longtemps que notre harmonie
intérieure sera défectueuse, une harmonie avec notre environnement
naturel restera problématique !
87
a dit jésus
misérable est le corps qui dépend d'un corps
et misérable est le moi intérieur (psychè) qui dépend de ces deux
Dans le logion précédent nous étions confrontés à la relation qui
nous unit à notre environnement naturel. Ici nous sommes confrontés
à notre dépendance par rapport au corporel. Comme la nature est un
prêt mis à notre disposition, afin de nous permettre un
développement harmonieux, notre corps est lui aussi un prêt qui nous
est confié individuellement. Il est l'outil par lequel notre moi
peut se manifester en une expression personnelle. Comme la nature,
notre corps sert lui aussi, afin de nous révéler la loi d'harmonie,
par laquelle s'exprime l'Être absolu.
Mais, depuis que l'homme a substitué son propre savoir à la loi
d'harmonie, la société humaine porte la marque non plus d'une
harmonie mais d'une dépendance. Des liens horizontaux et donc
superficiels sont devenus tellement plus importants que cet unique
lien intérieur, qui constitue la racine véritable de toute vie
relative. Dépendance signifie manque de liberté et engendre
esclavage, rapport de forces et confrontations. En se séparant de sa
source, en reniant sa loi, le moi serviteur fit place au moi
dominateur.
L'équilibre à l'intérieur de l'homme en subit les conséquences.
L'unité du corporel et du psychique devint disharmonieuse, son
intelligence se troubla. Un savoir imaginaire remplaça une
connaissance pure. Ainsi le «moi» est devenu dépendant du corps
comme le corps est devenu dépendant du «moi». Des corps sont devenus
dépendants d'autres corps et de cette dépendance des «moi» sont
devenus les victimes. L'inspiration, qui à l'origine guidait un
équilibre harmonieux, ne pouvait plus se manifester...
Toute dépendance corporelle engendre des désirs égocentriques. Tant
que ces désirs-là déterminent le choix de nos actions, nous
demeurons dans une vulnérabilité qui rend délicate toute tentative
de relation harmonieuse. Nos attentes ne sont plus réalistes, parce
que nos désirs ne répondent plus aux normes d'harmonie. Aussi bien
un savoir que l'amour n'ont de valeur que lorsqu'ils se donnent. La
faculté de donner harmonieusement est mis à notre disposition par
une source inspiratrice. La condition essentielle pour vivre en
harmonie toute relation humaine consiste donc à fixer solidement nos
racines dans cette source absolue. «Les hommes manquent de racines,
ça les gène beaucoup...» (Le petit Prince XVIII)
Dans la loi d'harmonie règnent unité et serviabilité. Ceci concerne
aussi bien l'esprit, le psychisme que le corps. Si nous voulons
évoluer vers un idéal d'harmonie, nous devons renoncer à toute forme
de dépendance. Ceci ne signifie toutefois pas que nous devons, selon
la parole de Paul, renoncer à tout ce qui fait partie du monde «de
la chair et du sang» ! Comme la lumière ne peut exprimer sa
visibilité que dans une union harmonieuse avec la matière, ainsi «la
chair» demeurera toujours le substrat par lequel s'exprime l'Esprit.
L'harmonie physique, appelée sexualité, dans laquelle deux corps
peuvent s'unir, appartient elle aussi à l'expression de Sa loi... En
cette loi point de place pour une dépendance, seulement pour une
union harmonieuse...
88
a dit jésus
des anges viennent vers vous et des prophètes
et ce qui est à vous ils vous le donneront
et vous-mêmes donnez leur ce qui est dans votre main
dites-vous quel jour viendront-ils
et recevront-ils ce qui est leur
Voici sans doute le logion le plus cryptique de cet évangile.
Sincèrement, le sens de cette projection futuriste nous échappe... Le
rôle dévolu aux anges et aux prophètes nous semble pour le moins
suspect, surtout lorsqu'on connaît l'opinion de Jésus concernant les
prophètes. (voir le logion 52) En plus il s'agit ici de l'unique
mention d'anges faite par Jésus dans cet évangile. Les verbes donner
et recevoir nous font soupçonner un négoce suspect dans lequel
seraient compromis anges et prophètes... Ne s'agirait-il pas là d'une
émanation de l'ancien ou d'une gnose mal comprise... ?
L'impression dominante à la lecture de ce logion est la suspicion
d'une manipulation, d'une variante fantaisiste du logion 41, mise
dans la bouche de Jésus. Dans les évangiles canoniques de telles
manipulations sont hélas trop souvent présentes. Certains vont même
jusqu'à prétendre qu'elles y sont plus nombreuses que les paroles
authentiques de Jésus... Dans cet évangile un problème analogue est de
mise au logion 114. «Être passant» nous semble ici l'attitude la
plus indiquée...
89
a dit jésus
pourquoi lavez-vous l'extérieur de la coupe
ne comprenez-vous pas que celui qui a créé l'intérieur
et aussi celui qui a créé l'extérieur
Mt 23. 25 - Lc 11. 37-40
La formulation faite par Luc au verset 11. 40 nous semble plus
logique : celui qui a fait l'extérieur n'a-t-il pas fait aussi
l'intérieur ? Cette possible inversion n'a pourtant pas de
conséquences interprétatives.
Une fois de plus il s'agit de la relation entre l'intérieur et
l'extérieur, le supérieur et l'inférieur. Le serviteur se doit de
servir comme sert une coupe. L'importance d'une coupe est déterminée
par son contenu, par l'intérieur. Mais l'intérieur ne peut servir
qu'à la condition qu'il soit propre donc vide. En plus : il n'y a
pas d'intérieur sans extérieur... Une attention portée vers
l'extérieur n'est pas réprimandable, mais n'a de sens qu'en fonction
d'un service commun : l'extérieur sert l'intérieur comme l'intérieur
sert l'eau de la source.
90
a dit jésus
venez vers moi car mon joug est efficace
et douce mon autorité
et vous trouverez un repos pour vous-mêmes
Mt 11. 28-30
Un joug est un objet servant à unir l'homme à sa charge, de telle
sorte que celle-ci devienne plus facilement transportable. Dans
cette image aussi est symbolisée une unité. Dans la conscience
d'unité aucune tâche n'est lourde à porter, aucune autorité n'y est
contraignante. Là est également l'endroit où se révèle le repos
véritable, qui est paix intérieure.
À la réflexion que la racine du mot joug est le sanskrit yug, qui
est également la racine de yoga, nous est révélée une relation
troublante... La signification profonde de yoga concerne en effet une
unité, un lien qui relie, une réalité religieuse... (voir la Bhagavad
Gita) Dans l'image du joug se dévoile une conscience religieuse
universelle, qui transcende temps et cultures
91
ils lui dirent
dis nous qui tu es afin que nous croyions en toi
il leur dit
vous scrutez le visage du ciel et de la terre
et celui qui est devant vous vous ne le reconnaissez pas
et en cet instant vous ne pouvez le sonder
Lc 11. 56 - Mt 16. 1-3 - Jn 14. 8-9
Qui sont ces hommes qui s'adressent ici à Jésus ? De toute évidence
ce sont des personnages importants, car ils scrutent le visage du
ciel et de la terre. Il s'agit donc de nos scientifiques, de nos
savants, ceux qui ont fait preuve d'un savoir certain. Face à lui
ils se sentent quelque peu déroutés : ils veulent bien croire en lui
mais désirent savoir qui il est, quelle preuve d'autorité il peut
leur soumettre. Ils ont en effet leurs propres critères pour juger
de l'importance d'une personne, de la valeur de sa connaissance.
Celui qui a l'audace de prétendre à un savoir religieux se doit
d'être pour le moins théologien...
Mais la gnose n'a que faire d'un savant savoir... Par rapport à elle,
même un théologien est un profane... Car la gnose est une connaissance
qui ne peut être transmise par une autorité religieuse, qui ne peut
être enseignée à une université. Avoir accès à la gnose pose
d'autres exigences au disciple... Et la première de celles-ci est une
disponibilité mentale à relativiser un savoir personnel, qui peut
pourtant nous valoir une importance certaine au regard des autres.
Toute conviction de détenir une vérité s'oppose à la première
invitation que nous propose Jésus : que celui qui cherche ne cesse
de chercher...
Ces savants sont bien des «chercheurs», mais pas dans la bonne
direction... Ils ne se posent pas encore les bonnes questions. Leur
conscience n'est pas encore réceptive à la gnose que leur propose
Jésus.
92
a dit jésus
cherchez et vous trouverez
mais ces choses sur lesquelles vous m'avez interrogé jadis
et que je ne vous ai pas dites alors
maintenant je veux les dire
et elles ne vous intéressent pas
Dans la tradition orientale un guru ne répond à la question de son
disciple que lorsqu'il considère que celui-ci est apte à recevoir la
réponse. Souvent sa réponse prend la forme d'une nouvelle question,
qui doit mener le disciple à la solution de la question initiale.
Ainsi chaque vision nouvelle est comme un fruit que le disciple peut
cueillir sur sa voie de recherche spirituelle. (voir le logion 21)
Jésus sait que son temps est limité. Ce que jadis il a omis de leur
dire, parce qu'ils n'étaient pas aptes à recevoir la réponse, il
désire le dire maintenant. Mais leur intérêt fait défaut... La voie de
recherche, à laquelle il a invité ses disciples, n'a pas abouti...
Il n'est donc pas étonnant que son enseignement, tel qu'il nous est
proposé dans cet évangile, n'a pu être transmis par des évangélistes
dans sa pureté originelle. L'invitation à un engagement personnel
dans une recherche de la juste compréhension de ses paroles fut
remplacée par le devoir de croire ce que d'autres avaient cru
comprendre et ce que pieusement ils présentaient comme l'unique
vérité...
93
ne donnez pas aux chiens ce qui est pur
pour qu'ils ne le jettent pas sur le fumier
ne jetez pas de perles aux pourceaux
pour qu'ils n'en fassent pas de saletés
Mt 7. 6
Ce qui possède une valeur impérissable se doit d'être traité avec
respect et circonspection. La connaissance que Jésus met à notre
disposition est d'une valeur supérieure à celle qui peut, au regard
des autres, faire de nous un personnage important. La science est un
savoir qui peut être appris, peut être transmis à d'autres par le
jeu de questions et de réponses. Comme un guru Jésus propose ses
réponses sous une forme cachée. Il présente des images que le
disciple doit dévoiler lui-même. C'est la voie par laquelle la gnose
peut se révéler au disciple comme une connaissance engendrée par une
expérience personnelle. La valeur de cette connaissance est telle
qu'elle ne convient pas à une consommation de masse. La gnose n'est
pas du « fast food » !
94
a dit jésus
celui qui cherche trouvera
et à celui qui frappe vers l'intérieur sera ouvert
La source est à notre disposition, la table de la fête du mariage
est dressée... seulement nous en ignorons l'endroit. Celui ou celle
qui se donne de la peine et ne cesse de chercher trouvera... à
condition toutefois de chercher dans la bonne direction : vers
l'intérieur ! Mais la recherche intérieure connaît-elle aussi des
graduations... Qui flâne dans son petit jardin secret n'est pas
nécessairement parvenu à fermer la porte de sa chambre intérieure... À
l'intérieur du vide de cette chambre demeure le Père dans le secret...
(voir commentaire au logion 53) À tous ceux ou celles, qui portent
leur attention vers le silence du vide à l'intérieur de soi, sera
ouvert. L'accès au nouveau ne constitue toutefois pas un évènement
spectaculaire ! Car la voie qui mène à la source est longue et
solitaire, son cheminement est discret... Sa richesse ne se dévoile
que pas à pas. Pourtant, plus nous nous approchons de la source,
plus l'eau devient limpide...
95
a dit jésus
si vous avez de l'argent ne le prêtez pas
mais donnez le à celui qui ne vous le rendra pas
Lc 6. 34
Il y a être, il y a avoir... Les conditions de vie, dont l'homme est
responsable, sont devenues telles, que posséder de l'argent est
nécessaire pour vivre décemment. L'argent n'est pourtant qu'un
moyen, pas un but en soi ! Le but est de vivre en harmonie, aussi
bien avec soi-même qu'avec les autres. Le mot «solidarité» est
présent dans bien de jolis discours. Dans la pratique sa réalisation
est entravé par tant d'intérêts personnels ou politiques.
Ce qui était moyen est devenu but... Non plus un savoir économique au
service de l'épanouissement de l'homme, mais l'homme en fonction de
lois économiques ! Son savoir a déboussolé l'échelle de valeurs...
Quelle est la valeur de ce qui m'appartient, de mes mérites, des
aumônes que je donne...? En quelle mesure sommes nous, croyants ou
non-croyants, sincères et conséquents dans la pratique de jolis
principes, contenus dans un message évangélique ou dans quelqu'autre
idéologie...?
96
a dit jésus
le royaume du père est comparable à une femme
elle prit un peu de levure et le cacha dans de la pâte
et elle en fit de grands pains
celui qui a des oreilles qu'il entende
Mt 11. 33 - Lc 13. 20-21
C'est à l'intérieur de la pâte que la levure est active et qu'elle
produit, en harmonie avec la pâte, de grands pains. La participation
dans la royauté du Père est une expérience intérieure, qui peut se
révéler spontanément dans cette vie, à la condition d'avoir réalisé
l'unité de la levure et de la pâte... Comme le geste du semeur,
l'action de la main de la femme est nécessaire pour déclencher une
évolution naturelle et spontanée. Unir, semence et bonne terre,
levure et pâte est semble-t-il chose simple... En réalité elle
nécessite un nouvel état d'esprit, car le savoir de l'homme a
déboussolé les valeurs... L'intégration de la levure dans la pâte ne
fait plus partie de notre préoccupation ! Nous consommons des pains
que d'autres ont préparés pour nous avec des pâtes religieusement
manipulées ou non... Ainsi nous est proposée la manne, don de Jaweh,
ou le pain que nous offre le Père...
L'image de la levure est devenue le symbole d'une foi capable de
déplacer des montagnes, de l'enthousiasme aussi par lequel la parole
évangélique inspirerait le monde. Hélas, trop d'hommes «inspirés» se
présentèrent comme boulangers... tandis que la femme, connaissant la
valeur de la levure, fut et est toujours trop souvent maintenue à
l'écart...
97
a dit jésus
le royaume du père est comparable à une femme
qui portait une cruche pleine de farine
alors qu'elle allait un long chemin l'oreille de la cruche se brisa
la farine s'écoula derrière elle sur le chemin
comme elle ne le savait pas elle ne pouvait en être peinée
lorsqu'elle eut atteint l'intérieur de sa maison
elle déposa la cruche et vit qu'elle était vide
Dévoiler la connaissance cachée dans une image est un processus
mental, qui nécessite intelligence et perspicacité. Il arrive
pourtant que l'image transcende toute logique rationnelle. Elle se
distingue alors par une beauté troublante, par une poésie volatile...
C'est un long chemin que va la femme, un chemin qui dure ce que dure
une vie... Un chemin que tous nous avons à parcourir dans le solitude
de notre unicité... Ce qui se passe durant son cheminement lui échappe
: elle n'est pas consciente de perdre quelque chose. Le vide est la
valeur qui, spontanément et sans causer de peine, prend la place de
ce qui ne représente qu'une valeur relative... Mais le vide ne fait
pas partie de notre échelle de valeurs mentales. Plus nous savons,
plus nous sommes importants... ainsi le veut la règle conçue par
l'homme !
Diriger l'attention de notre esprit vers le domaine de la réflexion,
afin d'y concevoir des idées nouvelles, une vision différente des
choses, est certes utile et nécessaire, mais signifie : labourer la
terre de notre jardin mental... Celui ou celle qui peut se circoncire
en esprit, qui peut laisser son mental s'inonder par le silence du
vide, dans lequel il a sa source, reçoit le privilège d'apprécier la
valeur unique du vide. Ce qui, dans cet état de conscience d'unité
dans la source, peut être reçu, se manifeste spontanément et sans
peine, comme dans la cruche de la femme insouciante la farine cède
spontanément sa place au vide... Une juste appréciation de valeurs
émane, comme l'eau de la source, du vide, le substrat de la
conscience. Cette expérience est le fruit que le monachos reçoit
tout au long de son cheminement solitaire et libérateur.
Une coupe ne peut servir que si elle est vide... Par quel bizarre
mélange la coupe de notre conscience fut-elle envahie...? Quoi que ce
soit, une purification s'impose. Ceci nous rappelle les paroles du
logion 28 ou celles du logion 61. À chaque fois nous fut enseigné le
besoin de redevenir vides. Ceci nous rappelle aussi en toute
subtilité la valeur de la circoncision en esprit... (logion 53)
L'image de l'unité de la graine et de la bonne terre est fascinante
par sa simplicité englobant une universalité. Par la subtilité de
son contenu à peine perceptible, cette image de la femme portant une
cruche respire le sublime... Nous touchons ici à la limite où la
parole n'est tout juste pas superflue...
98
a dit jésus
le royaume du père est comparable à un homme
qui voulait tuer un grand personnage
dans sa maison il dégaina une épée et transperça le mur
afin de tester la solidité de sa main
alors il tua le grand personnage
Ce serait faire preuve de naïveté que de voir dans cette parole une
incitation à la violence. L'image n'est qu'un moyen pour aborder une
réalité. Elle doit donc être reconnaissable par ceux auxquels elle
s'adresse. Ni la réalité de conflits humains, ni l'usage de la
violence ne sont étrangers aux disciples.
Qui autre que notre moi dominateur pourrait-on reconnaître dans
l'image du personnage important, à qui il est nécessaire de lui
régler son compte...? Un moi, imbu des règles du lion, enivré par des
valeurs trompeuses, un moi qui, demeurant dans l'illusion de son
propre pouvoir, s'est élevé soi-même sur un trône. De ce moi là il
est impératif de se débarrasser. De son ivresse le vin doit être
rejeté... de la poutre dans son œil il doit être libéré... L'unique
combat véritable que nous devons mener est celui avec nous-mêmes.
(voir le logion 16)
99
les disciples lui dirent
tes frères et ta mère se tiennent à l'extérieur
il leur dit
ceux qui en ces lieux font la volonté de mon père
ceux-là sont mes frères et ma mère
ce sont eux qui entreront dans le royaume de mon père
Mt 12. 45-50 - Mc 3. 31-35 - Lc 8. 19-21
Tous et toutes nous avons une mère biologique et peut-être aussi des
frères et des sœurs. Mais nous avons également une Mère ou un Père
spirituel. De ce Père là Jésus n'est pas le fils unique... !
Un lien spirituel dépasse les limites d'une expérience physique ou
mentale. C'est la raison pour laquelle il ne peut être appréhendé
que par le biais de l'image. L'expression la volonté de mon Père
appartient elle aussi à l'image... Car la volonté est une qualité
humaine. Elle représente une énergie qui engage à l'action et dont
le contenu est défini par des désirs personnels. Parce que nous
commettons l'erreur de projeter une qualité humaine et donc relative
sur une réalité absolue, nous sommes perplexes devant tant
d'atrocités que la volonté de Dieu puisse permettre... La sincérité
nous oblige à reconnaître que l'image de Dieu, qui nous a été
imposée dans notre culture, est impuissante face au «vouloir» de
l'homme... Car, par le Père, fut délégué à l'homme l'accomplissement
de Sa volonté : la réalisation de Sa loi d'harmonie ! Dans son
intégration dans l'autorité du Père c'est l'homme qui prend les
décisions, pas le Père... En cela réside le sens de notre liberté et
donc de notre responsabilité !
« Inch Allah »... « que Votre volonté soit faite »... ce sont là de
pieuses déférences envers un pouvoir imaginaire... ! La responsabilité
de ce qui se passe sur terre ne revient pas à une insondable volonté
divine, ni à quelque pouvoir d'un satan, ni à une fatalité... ! Par la
liberté, qui lui fut déléguée, l'Adam porte lui-même l'entière
responsabilité de ses actes. Dans cette réalité régit la loi qui
fustige tout, le bien comme le mal.
Le monachos, qui demeure dans l'unité avec le Père, se laisse guider
par Sa loi et accomplit ainsi «Sa volonté». Dans cette réalité nous
sommes tous et toutes frères et sœurs les uns des autres, car unis
dans la même paternité.
100
ils montraient à jésus une pièce d'or en disant
les agents de césar exigent de nous des tributs
il leur dit
donnez à césar ce qui est à césar
donnez à dieu ce qui est à dieu
et ce qui est mien donnez-le moi
Mt 22. 15-22 - Mc 12. 13-17 - Lc 20. 20-26
Exceptionnellement dans cet évangile Jésus ne parle pas du Père mais
de Dieu. Ceux, qui lui adressent la parole, vénèrent un Dieu. Jaweh
est son nom. Il s'agit donc de Jaweh et non du Père... En plus, par
rapport à ce Dieu, Jésus prend délibérément ses distances, car : et
ce qui est mien donnez-le moi... Pas étonnant que cette phrase se soit
égarée dans les évangiles canoniques...
Jésus nous présente ici trois exemples d'autorité. Il y a César, qui
symbolise l'autorité politique et militaire. Une autorité avide de
pouvoir ! Les juifs vivaient alors sous une occupation romaine. De
cette situation déplaisante et inacceptable pour un homme libre ils
doivent donc assumer les conséquences. Par leur question à Jésus ils
veulent de toute évidence mettre à l'épreuve son engagement
politique. Mais sa tâche est élevée au-dessus de la réalité
politique. Son engagement libérateur surpasse le monde phénoménal.
Il n'est pas un combattant contre le mal ou l'injustice. Il ne lui
incombe donc pas de créer quelque agitation contre l'occupant. La
loi du plus fort appartient au lion. Ceux qui s'engagent dans un
combat avec le lion ont à en subir les conséquences. La situation
étant ce qu'elle est, il convient donc de donner à César ce qui lui
revient, selon la loi du plus fort.
La deuxième autorité est Dieu, le Dieu des juifs, le produit de leur
imagination. De ce Dieu tout puissant, dont ils s'imaginent être
complètement séparés, l'autorité est bien plus contraignante encore
que celle de César. Car leur croyance leur impose une implication
permanente dans la volonté et les commandements de leur Dieu. Les
juifs doivent donc s'astreindre à de nombreux devoirs : faire
l'offrande, prier, donner l'aumône, jeûner, respecter le sabbat, se
laisser circoncire, des rituels pour lesquels Jésus dans cet
évangile témoigne de peu de mansuétude... Mais l'accès au royaume de
leur Dieu se mérite... Pour leur conception religieuse Jésus fait
preuve d'indulgence, car : donnez à Dieu ce qui est à Dieu... si cela
est votre conviction.
Jésus lui-même est la troisième autorité. Une autorité qui
n'ambitionne ni contrainte, ni pouvoir, mais qui est servante. Une
autorité qui ne témoigne pas de soi-même mais d'une source
intérieure à laquelle il est uni. Pour préciser ce lien intérieur et
donc spirituel Jésus nous propose l'image du lien intime unissant le
fils à son père. Il invite les hommes à modifier leur état d'esprit,
à s'engager dans une voie de recherche intérieure, à découvrir leur
unité avec l'Être absolu et, comme d'un père, d'en recevoir
l'inspiration. Son souci n'est pas de s'octroyer un pouvoir, ni de
rétablir un pouvoir divin sur terre. Car l'autorité du Père est
établie ! Elle est au service de chaque être qui s'ouvre à Son
Esprit. Ce qui revient à Jésus est notre attention, notre écoute.
Son enseignement est une invitation personnelle : changez votre
mentalité, prenez conscience de qui vous êtes vraiment, de votre
responsabilité dans l'autorité du Père, et servez comme moi-même je
sers.
Le Dieu de l'ancien et le Père du nouveau n'ont en effet rien de
commun... Le vêtement neuf, dont témoigne Jésus, n'a pas besoin de
retouche à l'aide d'un vieux tissu, le vin nouveau n'a que faire de
vielles outres...
101 voir le logion 55
102 voir le logion 37
103
a dit jésus
heureux est l'homme qui connaît l'endroit par où entrent les
pillards
en sorte qu'il se dressera et rassemblera ses forces
et ceinturera ses reins avant qu'ils ne rentrent
Ce logion est à associer à la seconde partie du logion 21, au logion
98 aussi. Les pillards, les acolytes du lion, qui tout compte fait
pourraient bien représenter nos propres désirs égocentriques,
constituent toujours un réel danger. La connaissance de nos
faiblesses, des endroits où notre moi est vulnérable, est importante
car elle peut nous protéger contre nous-mêmes et préserver ainsi une
relation harmonieuse avec autrui. Lutter contre n'est jamais le bon
choix... Se fortifier soi-même, afin de résister à des tentations
malveillantes, est par contre une attitude recommandable. Car,
finalement, nous sommes nous-mêmes responsables de ce que nous
pouvons acquérir, mais ce qui peut aussi nous être repris.
104
ils lui dirent
viens prions aujourd'hui et jeûnons
a dit jésus
quelle est donc la faute que j'ai commise
ou en quoi ai-je failli
mais quand le marié aura quitté la chambre nuptiale
alors qu'on jeûne et qu'on prie
Mt 9. 14-15 - Mc 2. 18-20 - Lc 5. 33-35
Après l'image de l'enfant de sept jours et celle de la graine,
l'image aussi de la levure et du joug, l'image surtout de l'union du
fils et de son père, voici la dernière métaphore par laquelle l'idée
centrale de cet évangile - l'unité - est visualisée.
La spécificité de la chambre nuptiale ne dure qu'une nuit... la nuit
où se réalise entre l'homme et la femme l'unité qui engendre la vie
nouvelle. C'est également le lieu où demeure l'enfant de sept jours,
où la graine retrouve la bonne terre, où est la source elle-même...
L'ovule fécondé, le fruit de l'unité du masculin et du féminin, de
l'époux et de l'épouse, est le germe de la vie nouvelle, qui s'est
défait de l'ancien. L'ancien est séparation, isolement, mort...
Combien est vaine l'ovule qui ne fut pas fécondé... vaine la semence
qui ne féconda point...
Le nouveau ne peut être jugé par des valeurs de l'ancien ! La vérité
nouvelle est absence de vérités, la voie nouvelle absence de voie,
que cheminement. Dans le nouveau point de voile pour cacher notre
nudité... point de mérites personnels pour nous enorgueillir... Mais la
vie nouvelle ne peut révéler sa richesse que si elle est fondée non
dans la séparation mais dans l'unité en sa source, qui est Être
absolu. Celle ou celui dont la conscience est établie dans cette
unité n'a que faire du jeun, de la prière ou de la méditation...
Seulement, quand l'unité est rompue, quand le marié a quitté la
chambre nuptiale et que séparation est devenue réalité, alors peut
être fait appel au jeun et à la prière, afin de rétablir le un là où
est venu le deux, la séparation...
105
a dit jésus
celui qui connaîtra le père et la mère
sera-t-il appelé fils de pute
Comme aux logia 24 et 71 nous sommes à nouveau quelque peu gênés par
un manque d'information. Dans quelle circonstance cette parole
fut-elle dite ? Pourquoi Jésus utilise-t-il un gros mot ? Ses
disciples ou lui-même furent-ils injuriés de cette manière... ?
Un fils de pute ne peut faire partie de la société, car il ne
connaît pas son père. La conséquence de son ignorance est conflit
social, répudiation. Nombreux pourtant sont ceux qui connaissent
leur père, mais pas leur véritable Père ou Mère... Celui qui sera
parvenu à une juste connaissance, qui aura reconnu son Père ou sa
Mère véritable, ne pourrait être appelé fils de pute ! Car dans
cette connaissance est dissoute toute ignorance ...
Comme au logion 101, la mention de la mère est remarquable. Dans la
culture religieuse juive la femme était en effet totalement
subordonnée à l'homme. Cette discrimination ne fait pas partie de la
gnose de Jésus ! La différence avec l'état d'esprit de Paul est
cuisante... Pourquoi l'Église a-t-elle suivi davantage l'exemple de
Paul que celui de Jésus... ? La vénération particulière, dont la mère
biologique de Jésus est devenu l'objet quelques siècles plus tard,
témoigne d'une compensation exaltante pour le manque de féminité
toujours présent dans une l'Église, qui jadis s'est appelée
catholique... Une universalité qui concernait surtout, et à
l'encontre de l'état d'esprit de Jésus, la gente masculine de
l'univers... (voir le logion 114...)
106
a dit jésus
quand vous aurez fait le deux un
vous serez fils de l'homme
et si vous dites montagne éloigne-toi elle s'éloignera
Ce logion est une variante plus explicite du logion 48. Dans sa
simplicité la limpidité en est étonnante ! Celui ou celle qui a
parcouru le cheminement du monachos, qui en conscience a réalisé
l'unité, a reconnu sa véritable nature : celle du fils ou de la
fille du Père ou de la Mère. Ce cheminement est le défi du nouveau
que personnifie Jésus. À cette invitation il joint en plus la
promesse de possibilités insoupçonnées : aucun obstacle ne vous
gênera plus...
Une fois de plus apparaît ici que le dénominatif fils de l'homme ne
concerne pas que Jésus... Car potentiellement chaque être est fils ou
fille de l'homme, car enfant du Père le vivant.
107
a dit jésus
le royaume est comparable à un berger
qui possédait cent moutons
l'un d'entre eux le plus grand s'égara
il laissa les quatre-vingt-dix-neuf
et chercha après lui seul jusqu'à ce qu'il l'eût retrouvé
comme il s'était donné de la peine il dit au mouton
je te veux plus que les quatre-vingt-dix-neuf
Mt 18. 12-14 - Lc 15. 1-7
Le sens de l'image, que nous présente ce logion, est à rapprocher de
celui du pêcheur avisé au logion 8 ou du marchand sage au logion 76.
La femme portant une cruche - logion 97 - ne pouvait être peinée,
car elle n'était pas consciente de ce qu'elle perdait. En plus la
valeur en était banale. Le manque de quelque chose d'important - il
s'agit ici du mouton le plus grand - en révèle la valeur. La joie
d'une retrouvaille se mesure à la peine qu'on s'est donné pour
retrouver l'égaré ! Il n'est pourtant pas évident de se séparer de
ce qui, au regard des autres, nous certifie une importance certaine
- et des fois il peut s'agir d'un troupeau entier - dans l'espoir de
découvrir l'unique, le plus précieux...
En un certain sens les trois logia se complètent. Ce qui fut pris à
l'enfant de sept jours, il pourra le retrouvé grâce au discernement
du pêcheur avisé, à la sagesse du marchand et à l'engagement du
berger responsable.
108
a dit jésus
celui qui boit de ma bouche sera comme moi
moi-même je serai lui
et ce qui est caché lui sera révélé
La réalité biologique nous apprend que chaque être est unique, que
tous et toutes nous sommes différents les uns des autres. Comment
Jésus peut-il reconnaître en quelqu'autre son égal... ? Parce que sa
connaissance transcende la réalité biologique. Sa perception du réel
concerne l'Être absolu, qui est la source même de toute vie
relative. Dans la prise de conscience d'un lien, l'unissant à cette
source, réside sa connaissance. Cette connaissance sert non pas à
savoir mais à être...
Celui qui boira l'eau que je lui donnerai deviendra source lui-même...
dit Jésus dans l'évangile de Jean. C'est l'instant où, en
conscience, le disciple est unifié à lui. La réceptivité du disciple
est la condition essentielle pour accéder à l'état de conscience de
Jésus. Cette réceptivité concerne directement le vide intérieur. Tel
que l'eau de la source, la gnose s'écoule du vide, qui est aussi le
substrat de la conscience. Si Jésus se donne tant de peine pour
communiquer sa connaissance à d'autres, il le fait parce qu'il a
pleine conscience que personne n'est différent de lui dans son unité
avec le Père.
Le piège dont nous, en tant que chrétiens, avons été les victimes
est précisément la reconnaissance de Jésus comme l'unique fils du
Père. Tous et toutes nous sommes fils et filles de l'homme... Être
comme lui, accéder à son état de conscience, voilà le défi du
nouveau ! Dans Jn 6. 56 Jésus exprime cela dans une parole
déroutante : celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en
moi et moi en lui. Ces paroles résonnent comme un cri du cœur, comme
une image extrême par laquelle il tente de nous dire que chaque être
peut être comme lui, peut devenir sa chair et son sang... Hélas, dans
cette image ne fut pas reconnu Jésus le vivant, l'homme de chair et
de sang, celui qui est serviteur parce qu'il est vivant... Car c'est
précisément cette présence-là que Paul refusa de reconnaître... (2 Cor
5. 16) Cette image devint donc pour l'Église catholique la raison
d'être d'un rituel par lequel est remémoré le sang rédempteur versé
par le Christ crucifié. Car ce Christ là - crucifié et ressuscité -
représentait l'unique image de Jésus digne de l'attention de Paul...
Le serviteur vivant devint donc cadavre d'agneau... (voir commentaire
au logion 60)
109
a dit jésus
le royaume est comparable à un homme
qui avait dans son champ un trésor caché
dont il ignorait la présence
à sa mort il le laissa à son fils
le fils ignorant vendit le champ
et celui qui l'avait acheté vint
et en le labourant découvrit le trésor
et il prêta de l'argent à ceux qu'il voulut
Mt 13. 44
Ce logion illustre le rapport de valeurs qui peut exister entre
connaissance et ignorance, ainsi que le cheminement nécessaire pour
parvenir à une juste connaissance. Nous devons labourer nous-mêmes
le champ de notre conscience ! La recherche, qui s'impose à nous,
suppose une mise en question sincère et tenace de vérités que
d'autres nous ont imposées. Ceci est le propre d'un cheminement qui,
à contre courant, mène à la source. Celle ou celui qui a découvert
le trésor à l'intérieur de soi, peut donner sans compter !
110 voir le logion 80
111
a dit jésus
les cieux et la terre s'enrouleront devant vous
et le vivant issu du vivant ne verra ni mort ni crainte
parce que jésus dit
celui qui se trouve lui-même
le monde n'est pas digne de lui
Tout, ce qui s'exprime dans ce monde relatif, ce qui fait partie de
notre vie quotidienne, notre présence corporelle aussi, tout cela
constitue une réalité qui constamment est sujette à des changements.
À l'origine de cette manifestation est la Vie, absolue, intemporelle
et inconcevable, dont la source est vide, silence, repos... Ce qui est
inconcevable est inconnaissable. Mais l'inconnaissable représente
toujours une source d'angoisses. Seule une connaissance peut
dissoudre l'ignorance et les angoisses qu'elle engendre.
Lors d'une projection cinématographique nous observons des images,
qui nous apparaissent comme étant la réalité, mais que nous pouvons
relativiser grâce à une connaissance du phénomène de la projection
visuelle. Ainsi nous pouvons également reconnaître en tout phénomène
temporel et donc éphémère une manifestation relative de l'Être
absolu et inaltérable. À tout phénomène il y a une fin, à une
projection comme à la vie biologique. Naissance et mort vont et
viennent... les feuilles de l'arbre se meurent... Ceci ne signifie
nullement la fin de la Vie...
Celle ou celui, qui dans cette vie a pris conscience de son unité
dans une source absolue, dans cette source est devenu vivant. Car de
cette vie les racines ont leurs assises dans le Père le vivant. Dans
cette expérience se révèle la véritable nature du «soi». Notre
réalité biologique est alors reconnue comme l'expression
individuelle et temporelle de l'Être universel et intemporel. Dans
cet état de conscience nous sommes libérés de toute attache à des
valeurs temporelles et transcendons de ce fait les valeurs du monde.
En cela réside également la certitude d'un retour à un port
d'attache sécurisant car absolu. Quiconque n'a pas réalisé ce
cheminement demeure dans l'angoisse de l'inconnu...
112
a dit jésus
malheur à la chair celle qui dépend du moi intérieur (psychè)
malheur au moi intérieur celui qui dépend de la chair
Une fois de plus sont fustigées dans ce logion les conséquences de
la dépendance. Dans l'introduction (voir traduire est trahir...) nous
avons tenté de distinguer les notions de soma (corps), sarks (l'être
de chair et de sang) et psychè (le moi intérieur). Ces notions
étaient déjà présentes dans les logia 29 et 87. L'homme de chair et
de sang est une combinaison de soma et psychè. Dans cette relation
un rôle prépondérant est dévolu au psychè, aussi bien dans son
aspect conscient que subconscient. Car le psychique détermine
l'image de notre ego.
Dans la sensibilité du psychè face à tant d'influences extérieures,
qui peuvent en perturber l'harmonie, réside aussi notre
vulnérabilité. D'une part le psychè est tributaire des actions du
sarks, qui peuvent troubler son harmonie. D'autre part la
disharmonie, présente dans le psychè, aura toujours une influence
perturbante sur le choix de nos actions. Voilà le cercle vicieux qui
inlassablement tient en mouvement la roue de samsara : toute action
est la conséquence d'une action précédente et la cause d'une
suivante... Pourtant, ce cercle vicieux peu être rompu. Le moyen pour
y parvenir est la circoncision en esprit, dont il est question au
logion 53. Notre esprit doit se détacher, afin de s'immerger dans la
non-activité, dans le silence du vide intérieur. La porte de notre
chambre intérieure doit, de temps en temps, se fermer...
Dans la pureté originelle, dans laquelle réside toujours l'enfant de
sept jours, dans l'unité qui unit l'inférieur au supérieur, chaque
cellule de notre corps est unie harmonieusement à toutes les autres.
Où règne l'harmonie il ne peut y avoir de dépendance ! La dépendance
appartient à l'inférieur. Dans le dualisme, dans lequel nous
percevons toute manifestation relative, nous discernons des valeurs
différentes. Certaines choses sont plus importantes que d'autres.
Dans l'unité originelle cette distinction n'est pas de mise... ! La
bonne terre n'est pas plus importante que la semence, le
spermatozoïde mâle pas plus important que l'ovule femelle, l'homme
pas plus important que la femme... Seule leur union harmonieuse a une
valeur réelle...
Avoir et dépendance appartiennent à l'ancien, être dans l'harmonie
de l'unité au nouveau ! Pour la lumière du nouveau notre œil est
encore trop faible, notre conscience trop aveugle... En cela réside la
difficulté que nous éprouvons à accéder à la gnose de Jésus. Cette
difficulté engendre la tentation de retenir surtout la dernière
ligne de ce logion, qui, isolée de la première, pourrait illustrer
un dualisme existant entre «l'esprit» et «le corps». Mais il s'agit
de psychè et non de pneuma. En plus, il n'y a pas que la dernière
ligne...
113
ses disciples lui dirent
quel jour le royaume viendra-t-il
sa venue ne s'observera pas
on ne dira pas il est par ici ou le voilà
mais le royaume du père s'étend sur la terre
et les hommes ne le voient pas
Lc 17. 20-21 : le royaume de Dieu ne se laisse pas épier, ni on ne
dira le voici ou il est là
car le royaume de Dieu est au-dedans de vous.
La question des disciples nous rappelle une fois de plus combien est
tenace leur attachement à l'ancien. Se détacher de l'ancien est
pourtant la condition première pour que le nouveau puisse
s'épanouir. Au début de cet évangile, au logion 3, Jésus précisa sa
conception du royaume : il est l'intérieur de vous et il est
l'extérieur de vous... Au logion 51 il tint ce propos : ce que vous
attendez est venu mais vous ne le reconnaissez pas. Dans ce logion
il confirme que le royaume n'est pas le happening tant attendu par
Paul et les juifs, mais une réalité qui s'étend sur la terre. Sur
terre la royauté du Père est établie... Cette réalité ne peut
toutefois être perçue par les hommes à la condition que leur
aptitude à percevoir se transforme, que leur conception du royaume
se modifie.
Il va de soi que le verbe voir ne réfère pas à une expérience
sensorielle mais symbolise un acquit de connaissance. Le manque, qui
nous accable aujourd'hui, concerne aussi bien une juste connaissance
de soi qu'une appréciation exacte de la loi, qui gère la création
entière comme elle gère notre propre physiologie. La conception
d'unité, dans laquelle chaque être est uni à cette loi, ne fait plus
partie de notre conscience. Une juste connaissance de soi peut à
nouveau nous la révéler.
Tout ce qui s'exprime sur terre, chaque cellule végétale ou animale,
chaque cellule de notre propre corps aussi est spontanément à
l'écoute d'une loi d'harmonie, la parole du Père dans la création. À
l'homme est toutefois déléguée la liberté d'écouter ses propres
désirs, de déterminer des choix personnels. Cette liberté l'élève
bien sur au-dessus de toute autre espèce dans la création, mais
comporte également une responsabilité impressionnante. Comme la
nature toute entière témoigne d'une intégration du supérieur dans
l'inférieur, la tâche de l'homme consistera donc à réaliser
l'intégration de cette unité dans sa propre conscience. Dans la
prise de conscience de son intégration dans la royauté du Père, ici
et maintenant, réside pour lui sa responsabilité au service de Son
autorité.
Parce que l'homme ne voit ni n'écoute, il est devenu aveugle et
sourd... La lumière intérieure n'illumine plus sa conscience. Dans les
ténèbres de son ignorance son intelligence ne lui est plus d'aucun
secours. Il s'est enivré dans son propre savoir et pouvoir... Voilà le
constat désolant que fait Jésus... De cette pénible réalité le dernier
logion de cet évangile est illustration navrante...
114
simon pierre leur dit
que mariam sorte de chez nous
car les femmes ne sont pas dignes de la vie
a dit jésus
voici que je l'attirerai afin qu'elle devienne mâle
pour qu'elle aussi soit un esprit vivant
semblable à vous mâles
car toute femme qui se fera mâle
entrera dans le royaume des cieux
Le dernier logion de cet évangile remarquable témoigne d'un
anti-climax dégrisant ! Il nous rejette dans une réalité ô combien
humaine, qui de toute évidence est peu réceptive à la parole de
Jésus.
Les évangiles canoniques nous proposent eux aussi une image du
caractère impulsif de Simon Pierre. La grossièreté de sa remarque ne
laisse planer aucun doute quant à la place de la femme dans la
culture religieuse juive. De cet état d'esprit Paul témoigna lui
aussi sans aucune ambiguïté. Pour Paul, l'homme qui en paroles
exaltantes chanta pourtant l'amour, Jésus fut en effet tellement
plus important en tant que «Christ crucifié et ressuscité», que
comme l'homme qui reconnut dans chaque être, homme ou femme, son
égal. L'état d'esprit juif, dont témoignèrent Pierre et Paul,
fustigea hélas bien davantage le christianisme que ne le fit celui
de Jésus.
Face à leur sentiment de supériorité, l'attitude de Jésus a du être
ressentie comme une atteinte à leur honorabilité masculine. Ici
Simon Pierre n'accepte pas qu'une femme demeure parmi eux. Dans
l'ancien - toujours présent hélas, et malgré la qualification de
«catholique» - la religion était en effet considérée comme un
territoire uniquement réservé à la gente masculine...
Afin de spécifier son union spirituelle, l'unité dans laquelle la
vie peut nous révéler sa richesse totale, Jésus fait dans cet
évangile appel à l'image de l'unité du masculin et du féminin. Le
même symbolisme est à l'honneur dans l'image du mariage et dans
celle de la chambre nuptiale. Il est donc compréhensible que ces
images furent la cause d'une certaine commotion parmi les disciples.
En plus, la relation particulière qui unissait Jésus et Mariam -
Marie Madeleine, à qui Jean reconnut le privilège d'être la première
à reconnaître le Jésus ressuscité - ne fut pas toujours acceptée de
bon cœur par ses disciples.
Dans ce logion la métaphore utilisée par Jésus a subi une
transformation remarquable ! L'image de l'unité du masculin et du
féminin dégénère en effet en une mutation nécessaire de la féminité,
qui se ferait mâle... Il est évident que les paroles, mises ici dans
la bouche de Jésus, ne pourrait en aucun cas lui être attribuées !
La nécessité d'une telle mutation serait en outre un blâme au
Créateur... Le fruit de l'unité du masculin et du féminin, symbolisé
dans le mariage, est l'ovule fécondé, comme le germe est le fruit de
l'unité de la graine et de la bonne terre...
Comment le symbolisme dans une image peut-il être reconnu si l'image
elle-même n'est pas acceptée... ? La manipulation, qu'a subie l'image
dans ce logion, ne pourrait se concevoir que dans la plume d'un
transcripteur qui, imbu de son orgueil masculin, ne pouvait accepter
- comme ne pouvait le faire Simon Pierre - l'égalité de l'homme et
de la femme comme symbole de l'unité. Simon Pierre et ses conjoints
peuvent pourtant en appeler à quelque mansuétude... En effet, le
décryptage du symbolisme dans la métaphore de l'unité du masculin et
du féminin, de l'époux et de l'épouse, comme dans celle du mariage
et de la chambre nuptiale, la transposition d'une union biologique
vers une union spirituelle, se sont avérés être un défi
insurmontable pour vingt siècles de théologie chrétienne... Ni la
signification radicale de l'unité, ni les nombreuses images référant
à elle, n'ont pu effleurer la conscience de ceux qui se sont
présentés comme les héritiers des disciples. De même que ceux-ci
croyaient devoir redevenir petits pour avoir accès au royaume, ainsi
leurs héritiers semblent toujours croire que la vie nous est
transmise par une cigogne ou par un chou-fleur et non pas par
l'unité de papa et maman... L'épouvante paulinienne face à la
sexualité - domaine de la chair et du sang - a, en outre, laissé des
traces plus que pénibles dans l'éducation chrétienne...
L'aspiration de Jésus à une élévation de la conscience humaine à une
vision d'unité - et non pas de séparation - de l'inférieur et du
supérieur, du naturel et du surnaturel, fut sans doute trop
perturbante pour être acceptable. Ce dernier logion nous confirme
combien il était difficile pour les hommes de se défaire de leurs
prérogatives et, par une juste perception des images, d'être
réceptifs à une vision nouvelle. Jadis cette démarche représentait
pour eux - comme elle représente aujourd'hui toujours pour une
grande majorité d'entre nous - un engagement trop révolutionnaire.
Peu nombreux furent ceux ou celles en qui s'est opérée une metanoia,
ce bouleversement mental libérateur et nécessaire proposé par Jésus.
Parmi eux : Marie Madeleine et Judas Thomas...
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