Toutefois, ce dernier a tôt fait de remettre les pendules à l’heure :
« Je n’ai aucune raison d’avoir peur de vous, ni de vous serrer la main car vous n’êtes ni une sorcière ni une possédée ! »
Comme les regards se font interrogateurs face à une telle affirmation aussi catégorique, il explique :
« Souvenez-vous de ce mail qui vous a été envoyé récemment… »
« Oui… et alors ? »
« Que vous suggère-t-il ? »
Elle balaie l’air de sa main et répond : « Hé bien… je l’ai lu, je l’ai compris, je ne vois pas ce qu’il aurait de spécial et encore moins ce qu’il pourrait remettre en cause ! »
« C’est moi qui vais vous le dire, mademoiselle. Si vous étiez une sorcière ou bien une possédée du démon, vous n’auriez pas manqué de remarquer que les initiales ont été judicieusement choisies et que leur ensemble forme une phrase latine célèbre : « Vade retro satanas ». Vous y êtes au contraire restée complètement insensible, comme le commun des mortels ne disposant d’aucun pouvoir particulier ! »
La jeune fille, se sentant un peu piégée, ne perd cependant pas pied et riposte :
« C’est du n’importe quoi ! Je garantis que la plupart des gens ne l’auraient pas remarqué non plus, qu’ils soient nantis de pouvoirs, possédés ou pas ! Et puis, regardez donc ça ! »
Elle lui tend sa main, mais cette fois juste devant son nez, paume vers lui et écarte les doigts. L’image est réellement surprenante : les doigts sont très longs et effilés, leur écartement et leur souplesse sont manifestement anormaux. Franchement, on dirait des doigts de grenouille ou ceux de quelque créature hybride monstrueuse. L’investigateur a déjà pu constater que ses mains étaient glacées…
Mais il ne se laisse pas impressionner pour autant :
« Pour le moment, si vous le voulez bien, nous allons considérer cela comme une particularité morphologique et non comme la preuve d’une possession. Mais afin d’écarter cette éventualité qui semble tant vous préoccuper, je vais vous démontrer que vous n’êtes pas possédée du démon, ici même, en direct et avec votre participation. Nous verrons ultérieurement si vous disposez de certaines facultés extrasensorielles. »
Océane semble un peu contrariée de se trouver, sans doute pour la première fois de sa vie, devant quelqu’un qui lui tient tête, ne se démonte pas facilement et aurait même tendance à reprendre l’avantage.
Tout en l’invitant à s’asseoir en face de lui (elle décline cette invitation), il dispose un jeu d’images au format A4 sur la table et lui pose nonchalamment quelques questions :
« Je ne crois pas que vous disposiez d’une force surhumaine, du moins à en juger de votre poignée de main (elle acquiesce), je ne crois pas non plus que vous puissiez soutenir une conversation en latin, en hébreu, en grec ancien ou en araméen… »
Elle hoche la tête, mais contre-attaque :
« Et je ne crois pas que vous feriez mieux que moi… »
« Il vous serait certainement encore plus difficile de prononcer les mots strictement à l’envers, lettre par lettre…"
reprend l'enquêteur.
« En seriez-vous capable, Monsieur ? », répond Océane.
L’enquêteur ignore la question et le ton moqueur et poursuit :
« Vous m’étonneriez si vous me disiez que vous manifestez une aversion particulière à la vue de tout objet pieux puisque vous portez vous-même une chaînette, avec un crucifix… »
La jeune fille ne peut éviter un léger clignement d’yeux qui trahit sa contrariété. Elle choisit le ton ironique pour répondre :
« Non ! Je ne leur accorde pas de valeur religieuse, c’est tout. Pour moi ce ne sont que des breloques. »
« Il se fait cependant que vous venez de vous avouer dépourvue des signes majeurs de possession démoniaque que je viens de citer… »
L’homme qui est assis devant elle, la regarde en coin, au-dessus de ses lunettes et remarque une petite contraction de la mâchoire qui dénonce l’agacement. La réponse fuse comme la morsure d’un serpent :
« Mais si vous étiez si savant, vous ne devriez pas ignorer qu’il en existe d’autres !»
L’enquêteur se lève alors, plonge une main dans sa poche et en ressort une petite croix qu’il présente ostensiblement dans sa paume. Ce faisant, il commente aussi :
« Voici la fameuse croix de Saint-Antoine, un attribut essentiel de l’exorcisme de Léon XIII. Elle est datée de 1892 et authentique. Je ne suis d’ailleurs pas peu fier d’en disposer aujourd’hui, mais vous en connaissez l’usage, n’est-ce pas ? »
La jeune fille rougit et regarde la croix comme s’il s’agissait d’une arme redoutable mettant son existence en péril. Elle prend sa respiration comme pour prononcer une réplique cinglante mais le belge est plus vif et cite :
« Ecce crucem domini, radix David Alleluia, fugite partes adversae, Vicit Leo de tribu Juda… »
En un instant, la scène est plongée comme dans une chape de plomb. On entendrait une mouche voler.
« Et alors ? Vous voyez bien qu’il ne se passe rien. A quoi vous attendiez-vous donc ? A ce que je me désintègre ? Que je me mette à fondre ? Que je vole en éclats ? Il y a de quoi fondre en larmes ou éclater de rire… »
L’homme, imperturbable, remet calmement la croix en poche, puis reprend la parole :
« Dans le cas présent, si vous aviez été possédée, vous auriez subi une véritable provocation intolérable qui aurait suscité des convulsions, une crise de type épileptique, hystérique, ou schizophrénique… Vous auriez cédé au comportement caractéristique que vous évoquiez à mi-mots. Qu’attendez-vous donc pour nous faire une petite démonstration, quant à la nature de ce qui serait en vous ? Vous le savez bien, les personnes placées devant de telles circonstances se mettent à blasphémer épouvantablement, la rage et la haine se lisent très facilement sur leurs visages. Leur révolte s’exprime alors par des actes très spectaculaires, ponctués de cris rauques. Elles s’écroulent au sol et sans plus connaître la moindre pudeur, s’arrachent les vêtements et s’adonnent en public à des activités sexuelles débridées et désordonnées, elles se masturbent sauvagement, de préférence avec leur crucifix… Allez-y donc ! »
Droite comme un i, la jeune fille se transforme en statue de marbre, tétanisée. Quant à l’officiant, il se contente d’apprécier son retournement de situation, quelques secondes seulement car il ne convient pas de laisser s’éterniser cette situation très tendue.
« Je crois que vous êtes une jeune fille de bonne famille, mademoiselle, et que vous ne vous donneriez pas ainsi en spectacle. Vous disposez encore de votre libre arbitre, de la maîtrise de votre corps et de celle de votre âme. Vous n’êtes donc pas possédée. »
Elle plisse les yeux en sifflant : « Je vous ai sous-estimé. Vous allez m’obliger à monter en puissance et vous sortirez d’ici la queue entre les pattes, comme un petit chien effrayé ! »
« Pour cet exploit, mademoiselle, nous vous érigerons un monument. Permettez-nous seulement d’attendre que vous vous en montriez capable. Dans l’immédiat, je vous invite à rejoindre notre table et à participer à un petit jeu. »
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